La transformation numérique conjuguée au féminin
Une nouvelle revue consacrée à la numérisation du monde du travail dans une perspective de genre vient d’être publiée. Pertinent
Accroissement des tâches automatisées, expansion des économies de plateforme, essor du home-office: la numérisation et ses exigences de nouvelles compétences bouleversent le monde professionnel. Ce phénomène s’est encore accéléré avec la crise sanitaire et un recours élargi au télétravail et aux réunions virtuelles. Mais quel est l’impact de cette évolution sur les employés et les postes de travail? Ce développement représente-t-il une chance de réduire les inégalités entre hommes et femmes ou un danger de les exacerber? Quelles sont ses répercussions en matière de protection sociale des salariés? De nouvelles règles doivent-elles être édictées? Pour répondre à ces interrogations, la Commission fédérale pour les questions féminines (CFQF) a fait appel à une vingtaine d’expertes et de praticiennes des domaines scientifique, pédagogique, politique et syndical. Ces auteures – toutes des femmes, hasard de la démarche – ont analysé, dans un magazine qui vient de paraître, les enjeux de la numérisation du monde du travail dans une perspective de genre.
Une mine d’informations
«Chaque année, la CFQF publie un numéro de Questions au féminin sur un thème qu’elle juge important, et qui est susceptible d’être traité sous le prisme des genres. Le sujet défini, elle sollicite les contributions de différents spécialistes, tout en tenant compte d’apports dans les différentes langues du pays», précise Bettina Fredrich, responsable du secrétariat de la CFQF. La brochure de la Confédération s’articule autour de deux axes. La première partie porte sur les changements induits par les mutations technologiques dans la société d’hier et d’aujourd’hui. Une historienne, une syndicaliste et des expertes de l’éducation s’y expriment. Deborah Oliveira analyse par exemple les facilités amenées par l’électroménager à l’aune de progrès ou non en matière d’égalité. Valérie Borioli Sandoz, collaboratrice de Travail.Suisse, aborde de son côté le potentiel, sous conditions, de la numérisation dans l’élimination des inégalités et dans la disparition de la division sexuée des tâches. La cheffe du Département vaudois de la formation, de la jeunesse et de la culture, Cesla Amarelle, évoque les enjeux de la transformation numérique pour l’égalité des sexes du point de vue de son canton... La seconde partie de la revue se consacre à des activités et des domaines professionnels spécifiques: le commerce de détail, le secteur des soins, l’économie de plateforme et l’informatique. Des portraits ancrés dans la pratique complètent les réflexions théoriques. Un dernier volet intègre enfin la position de la Suisse dans le débat sur la mutation en cours et sa sensibilité, dans le domaine, aux questions de genre.
Lacunes et opportunités
Au terme des recherches menées, peut-on vraiment affirmer que la numérisation est «genrée»? Quelles tendances majeures se dessinent? Quelles mesures et améliorations doivent être apportées? Bettina Fredrich donne quelques éléments de réponse: «Les femmes sont très peu représentées dans la production d’infrastructures informatiques. Il est important de les y inclure davantage.» Une des auteures du rapport et experte de la question, Isabelle Collet, souligne en effet que seules 15% de femmes travaillent dans les métiers du numérique avec, à la clef, la création d’applications laissant parfois de côté la moitié de l’humanité. «Siri était capable de dire où se procurer du sexe tarifé pour l’homme hétérosexuel, mais ne savait pas où trouver de l’information en cas de violence conjugale», illustre-t-elle. La responsable du secrétariat de la CFQF précise aussi que toutes les spécialistes interrogées mentionnent l’importance de la formation continue tout au long de la vie professionnelle. «Il est fondamental de s’assurer que les femmes et les hommes bénéficient d’un même accès en la matière, et ce dans différentes professions.» Enfin, si l’économie de plateforme peut représenter des opportunités pour les femmes exclues du marché du travail traditionnel, une discussion doit être menée sur les règles à édicter, en particulier d’un point de vue de la couverture sociale. «Les technologies ne sont ni bonnes ni mauvaises en soi. Mais il est nécessaire de définir des règles propres à améliorer la situation des personnes actives via ces nouveaux supports.»
Plusieurs thèmes sont en discussion pour la prochaine revue de la CFQF. «Une des pistes? Le manque de représentation des jeunes femmes dans les institutions politiques alors qu’elles sont notamment très engagées dans des groupes comme la Grève féministe, celle du climat ou encore dans le mouvement #MeToo. Nous verrons...»
«Questions au féminin» 2020: La numérisation du monde du travail dans une perspective de genre, 112 pages.
La revue est disponible gratuitement sur: https://www.ekf.admin.ch/ekf/fr/home/documentation/revue-specialisee--questions-au-feminin-/frauenfragen-2020.html