L’ingénieur Marc Muller œuvre à une construction plus écologique et à un changement des mentalités
«Cherchez les extrêmes, ça vous donne les équations.» Une petite phrase mathématique qui éclaire la posture de son auteur. Marc Muller est un communicateur enjoué, un écologiste, un féru de physique, un entrepreneur qui ne mâche pas ses mots et a souvent une longueur d’avance, sans crainte du grand écart. Hors des dogmes, l’homme carbure à l’enthousiasme, celui de participer à la transition. Et, pourtant, il revient de loin. Adolescent, c’est la mécanique qui occupe son temps libre. Le jeune homme aime les voitures, les motos, les moteurs qui vrombissent. Il participe à des rallyes et, durant ses vacances, travaille sur des prototypes à Paris pour les 24 Heures du Mans, tout en menant ses études d’ingénieur en énergie à Yverdon. Diplôme en poche, il s’envole pour la Californie. Grosse bagnole, matchs de baseball et hamburgers au menu. Quelques mois plus tard, changement de décor. Le voilà au fin fond de la forêt canadienne, vivant dans un chalet sans eau courante ni électricité. En guise de réveil, les coups de dents des castors contre les troncs; à la place de berceuse, les frôlements des ours contre les arbres. «J’ai mille fois plus adoré cette vie-là. Quand je suis rentré, j’ai vendu tous mes engins», raconte celui qui n’avait alors que 23 ans. Marc Muller garde toutefois les pieds sur terre et trouve un emploi d’ingénieur. «La société qui m’employait développait quelques solutions d’énergies renouvelables pour se donner une bonne image, mais l’état d’esprit était clairement machiste, viriliste, pro-fossile. Bref, digne de l’ancien monde à l’image de Trump», se souvient celui qui y sera taxé d’écolo de service et qui n’y fera pas long feu.
Une auto solaire
En 2010, il construit un véhicule solaire et éolien avec l’objectif de partir à la découverte de projets écologiques à travers le monde. Un projet nommé Icare sans peur de se brûler les ailes. Il reviendra de ce périple, seize mois plus tard, une nouvelle fois transformé. «En fait, je suis parti en ingénieur et je suis revenu en sociologue. A force de rencontres, tellement chaleureuses et quelques fois dangereuses, j’en ai conclu que la transition devait se faire avant tout dans le cœur des gens. Mais changer une culture prend beaucoup plus de temps que de changer une technologie. Heureusement qu’on a par exemple de meilleures stations d’épuration car, globalement, les gens ne veulent pas laver moins blanc, ni modifier leurs habitudes. Même mon père, que j’adore, vient de racheter une chaudière à mazout, ne jure que par sa voiture thermique, et son steak dans l’assiette! L’urgence n’est pas intégrée, alors que vivre à +4 degrés en 2100 sera infernal.»
Malgré ce constat, Marc Muller ne tombe pas dans le pessimisme et se définit comme un optimiste réaliste. «Je crois que l’avenir sera dur. Mais la vie vaut toujours la peine d’être vécue, résume le futur papa, radieux, prêt à une nouvelle mue comme réduire drastiquement son rythme professionnel. Le temps partiel des hommes est essentiel à l’égalité, pour la parité des tâches et pour permettre aux femmes de poursuivre leur carrière.» Un point d’honneur pour celui qui confie, sans fausse modestie et en riant, avoir «tout réussi, sauf la réduction du temps de travail».
Une maison autarcique
Il comptabilise en moyenne une soixantaine d’heures de travail par semaine depuis qu’il a lancé sa société Impact Living, active dans le domaine des constructions écologiques. Depuis cinq ans, celle-ci propose une transition clés en main à ses clients, de plus en plus nombreux. «C’est génial de travailler à la diminution des émissions carbone de manière concrète», résume l’entrepreneur, dont la carrière a aussi touché au secteur public. Marc Muller a ainsi œuvré plusieurs années pour des parlementaires vaudois et pour la Confédération, comme responsable du domaine solaire, et participé à l’élaboration de la politique de sortie du nucléaire.
En 2015, sa maison autonome – non raccordée au réseau – sort de terre dans le village de Châtillon dans la Broye fribourgeoise. «Après deux années, on a arrêté les visites, car on avait l’impression de vivre dans un zoo», rit celui qui aime sensibiliser par l’exemple. Des panneaux solaires, de l’eau de pluie filtrée, des toilettes sèches et des toilettes à bactéries en circuit fermé – un prototype coréen –, une piscine naturelle font partie des expérimentations de cette maison fabriquée essentiellement de bois, de terre et de paille.
Un positivisme assumé
«La pression pour la transition doit venir de partout, de la rue, de la politique, des entreprises, et sous toutes ses formes, sans division. Pour ma part, j’aime montrer que ça bouge sans moralisation et avec un vocabulaire positif», explique Marc Muller qui, depuis plusieurs années, travaille régulièrement avec le journaliste Jonas Schneiter. Tous deux ont ainsi bricolé un bus solaire pour faire le tour de Suisse romande des alternatives écologistes; puis, créé l’émission radiophonique On va vers le beau. Une collaboration qui prend fin ces jours, pour pouvoir dégager du temps en vue de la naissance de son fils. «J’imagine déjà lui apprendre à souder des panneaux solaires dès qu’il aura 3 ans», rit-il, convaincu du grand retour des métiers manuels. «On va avoir besoin d’installateurs solaires, de réparateurs de vélos, d’agriculteurs… Si tout le monde pouvait comprendre l’urgence, on pourrait tout changer en deux ans.» Dans les grandes lignes, son plan climat? «Fini les voitures à essence et les chaudières à mazout, l’agriculture devient biologique, et on recrée de la biodiversité partout où c’est possible. Ce serait déjà un grand pas.»