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Lausanne a vu violet

Sur la place du 14-Juin.
© Olivier Vogelsang

Prises de parole de travailleuses à la place du 14-Juin, avant que les revendications ne s’expriment dans le défilé.

A 15h19, les syndicats vaudois réunis sur la place du 14-Juin ont témoigné des inégalités. Avant et après, les collectifs féministes ont montré la force de leur mobilisation

«Assez, assez des inégalités! Ensemble, ensemble, ensemble il faut lutter!» Peu avant 15h19, heure symbolique à partir de laquelle les femmes travaillent gratuitement en raison des inégalités salariales, des travailleuses et des secrétaires syndicales ont exprimé leur colère. Elles ont pris la parole sur la désormais bien nommée place du 14-Juin au cœur de Lausanne. Devant une foule dense et attentive, elles ont dénoncé les discriminations envers les femmes dans le monde du travail. Elles ont rappelé que deux ans après une historique grève féministe, aucune mesure concrète n’a été prise pour une vraie égalité salariale, pour concilier vie professionnelle et vie privée, pour protéger les travailleuses contre le harcèlement moral et sexuel, notamment dans le journalisme, ou pour faciliter l’accès à des postes à responsabilité, à La Poste par exemple, ou pour améliorer les conditions de travail dans les métiers des transports publics. La part des salaires non perçue par les femmes, loin de s’évaporer, finit dans les poches des patrons et des actionnaires, c’est-à-dire des hommes. Majoritaires dans les métiers essentiels qui paient mal, les femmes assument de surcroît le gros du travail non rémunéré et touchent des rentes inférieures de plus d’un tiers à celles des hommes. D’où le message unanime à combattre AVS 21 dans la rue et dans les urnes, à lutter pour un système de retraite digne, contre le système capitaliste et patriarcal et les investissements irresponsables des caisses de pension dans des multinationales destructrices des écosystèmes. Elles en appellent aussi à une baisse générale du temps de travail.

«65 ans, c’est toujours non!» Ce leitmotiv, et d’autres, a été repris en chœur par la foule galvanisée par des militantes en feu. Un hommage a été rendu également à l’ouvrière horlogère Liliane Valceschini, initiatrice de la première grève féministe il y a 30 ans déjà.

Travailleuses en colère

Des travailleuses ont exprimé leur colère face à l’inertie du système. Telle Clotilde, vendeuse: «On était déjà là en 2019, mais ils n’ont toujours rien compris! De l’argent il y en a. Il faut juste aller le chercher au bon endroit. De meilleurs salaires et de meilleures rentes pour toutes!» La souffrance au travail a été évoquée par Eli, elle aussi employée dans la vente: «Avant, j’aimais mon métier. Aujourd’hui, la charge mentale et physique est telle que nous sommes devenues des robots.» Même constat chez Dominique, employée du CHUV, qui a brossé un tableau sombre de la situation, alors que le personnel hospitalier après une année de pandémie est à bout, et prêt à faire grève le 23 juin prochain: «En guise de reconnaissance, on nous a offert deux jours de congé, un panier repas à Noël, ainsi qu’une prime de 900 francs dont les critères sont si restrictifs que seul 10% à 15% du personnel devrait la toucher. On ne remplace pas le personnel qui part, ni les femmes en congé maternité. Beaucoup d’employées quittent le métier, car elles n’ont plus de motivation.»

Ce sentiment d’injustice et de ras-le-bol profond a aussi été partagé par deux horlogères. L’une d’elles a précisé que les femmes gagnent en moyenne 25% de moins que les hommes pour le même travail. Tout en invitant à ne pas baisser les bras: «Nous avons le pouvoir de changer la société future en commençant par éduquer nos fils et nos filles.» Un appel dont Ludovica, éducatrice, s’est fait l’écho, en soulignant l’urgence d’un meilleur encadrement des enfants, mais aussi d’une revalorisation des métiers de l’enfance encore trop souvent appréhendés comme des vocations féminines. Autant de discours forts et solidaires qui ont eu pour point d’orgue une manifestation d’envergure en fin de journée. Débridé et combattif, le cortège lausannois a réuni plus de 10000 personnes, de tous âges et de tous genres, unies par ce message: «Patriarcat t’es foutu, les femmes sont dans la rue!»

Une indispensable revalorisation des métiers féminins

Dans le canton de Vaud, comme dans d’autres régions, Unia s’est rendu dans des blanchisseries industrielles, où une majorité de femmes travaillent, pour rappeler les revendications en vue du renouvellement de la CCT

syndicaliste blanchisserie
Le 14 juin, des syndicalistes d'Unia sont allées à la rencontre des ouvrières des blanchisseries vaudoises. © Thierry Porchet

 

Ce sont elles qui lavent le linge des hôtels et des restaurants et, surtout, des hôpitaux et des EMS. Les ouvrières des blanchisseries industrielles étaient donc en première ligne durant la pandémie. Et pourtant leurs salaires restent très bas et leurs conditions de travail pénibles. Le salaire minimum ne dépasse pas 3350 francs brut à 100% pour 42 heures hebdomadaires. Elles savent quand elles commencent leur journée, entre 5h et 7h du matin, mais presque jamais quand elles la terminent, car leurs horaires dépendent de la charge de travail. Si les entreprises emploient des hommes aussi, bien sûr, ils le sont principalement dans des postes liés à la livraison ou à la logistique.

En ce 14 juin, les secrétaires syndicaux d’Unia vont à la rencontre des ouvrières dans les divers sites vaudois. Dans l’un d’eux, Nicole Vassalli explique, le temps d’une courte pause, les négociations en cours pour le renouvellement de la Convention collective de travail (CCT) romande du nettoyage des textiles. Son message principal porte sur la revalorisation des salaires minimaux. «Trouvez-vous normal de toucher 1000 francs de moins par mois qu’un chauffeur?» demande la permanente syndicale. Les femmes font non de la tête. En aparté, une ouvrière ne cache pas son ras-le-bol: «Je ne comprends pas pourquoi les salaires sont si bas, alors qu’on travaille si dur!»

«Vous gagnez moins, car généralement, les métiers dits féminins sont moins bien rémunérés que ceux exercés par des hommes, continue Nicole Vassalli. Et les femmes ont tendance à ne pas négocier un salaire ou à ne pas demander une augmentation. C’est comme ça dans la blanchisserie, mais aussi dans la vente, le nettoyage… Alors que votre travail n’est ni moins important ni moins pénible que celui des hommes.» Une ouvrière lance en riant: «Oui, mon mari m’a demandé pourquoi je ne passais pas mon permis poids lourd pour faire livreuse. La différence de salaire fait réfléchir...»

Pour des salaires justes

Plus largement, Unia Vaud demande plus de pouvoir d’achat pour toutes et tous, une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie privée, davantage de protection de la santé. Dans les faits, cela passe par une revalorisation des salaires minimaux (actuellement le salaire d’une ou d’un employé non qualifié s’élève à 18,10 francs brut l’heure selon la CCT), une reconnaissance de l’expérience acquise dans la branche et le passage automatique aux catégories salariales supérieures durant la carrière, la suppression des deux jours de carence en cas de maladie, la fixation des plannings deux semaines à l’avance en précisant le début et la fin de la journée de travail, cinq semaines de vacances pour toutes et tous, et une meilleure protection des femmes enceintes. «Nous avons besoin de votre avis pour connaître les thématiques prioritaires. Les salaires, les vacances, la planification?» questionne la permanente syndicale, avant d’ajouter: «N’hésitez pas à rejoindre le syndicat pour faire entendre votre voix et améliorer vos conditions de travail!»

Le temps de parole est compté. La pause dure 15 minutes, pas une seconde de plus. A la sonnerie, les travailleuses sortent de la cafétéria. D’autres arrivent. Trois pauses se succèdent pour échelonner le nombre de personnes dans la salle. Les collaborateurs d’Unia distribuent croissants, cafés, jus d’orange, autocollants, tracts. Une partie des ouvrières épinglent et collent à leur blouse pin’s et autocollants pour l’égalité. «Les chefs ne vont pas aimer, mais cela m’est égal», dit en souriant l’une d’elles. Et pourtant, le message «Pas de réforme de l’AVS sur le dos des femmes!» touche au système et non pas à l’entreprise même.

Certaines sont syndiquées, d’autres non. Rien ne filtre, la confidentialité prime. «Comme vous avez vu, je ne marque aucune différence entre celles que je connais et les autres», précise Nicole Vassalli dans la cafétéria, en invitant les ouvrières à la contacter. Un dernier employé arrive à la pause. Un croissant? «Non merci, je suis au régime», rit-il, comme d’autres collègues avant lui. Un pin’s? «Ah oui, je vais le donner à ma femme… Mais je suis un homme solidaire.»

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