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L'avenir de nos retraites en jeu

Drapeau "AVS 21 NON".
© Thierry Porchet

Plusieurs actions syndicales ont été organisées la semaine dernière dans l’ensemble de la Suisse contre AVS 21. Une réforme qui pénalise non seulement les femmes mais l’ensemble de la population. Rappel des enjeux

«Fini de jouer, pas touche à nos rentes!» Sur le gazon du bord du lac à Neuchâtel, quatre femmes vêtues de costume-cravate s’amusent avec d’immenses ballons noirs sur lesquels s’affichent des professions féminines. A côté, des militantes et des militants, jeunes et moins jeunes, du comité unitaire neuchâtelois contre AVS 21 dénoncent ces bourgeois jouant avec les retraites. Des tracts sont distribués aux passants pour les inviter à voter deux fois Non le 25 septembre, contre AVS 21 et contre la hausse de la TVA. L’action, qui se déroule dans le cadre de la semaine de mobilisation d’Unia et de l’Union syndicale suisse, conclut la conférence de presse du comité. Ce dernier rassemble les syndicats neuchâtelois, le Collectif pour la Grève féministe et la Marche mondiale des femmes, la Grève pour l’avenir et les partis de gauche.

«Nous dénonçons une réforme inique, perverse et qui accentue les inégalités», souligne le comité, qui tient à faire ressortir son absurdité, «en total décalage avec la réalité sociale et du marché du travail». Interpellé par les sondages donnant une forte majorité d’hommes soutenant la réforme, le comité a rappelé que la votation du 25 septembre «est cruciale pour tout le monde et scellera l’avenir de nos retraites quel que soit notre genre».

Militante habillée en costume-cravate soulevant un grand ballon contenant des noms de professions féminines.
De fausses représentantes du camp bourgeois, jouant allègrement avec les retraites des travailleuses actives dans les professions féminines. C’est avec cette action symbolique de dénonciation que le comité unitaire neuchâtelois a lancé sa campagne contre AVS 21 la semaine dernière. © Thierry Porchet

 

Enfumage

 «J’ai une maman, une compagne, deux filles. J’espère qu’un retour à la raison s’opérera chez les hommes et qu’ils comprendront que l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes est une attaque contre toutes et tous», lance Alexandre Martins, vice-président de l’Union syndicale cantonale de Neuchâtel, avant de mettre l’accent sur l’un des arguments des partisans de la réforme: les prétendus problèmes financiers de l’AVS. Chiffres à l’appui, il démontre que les prévisions catastrophiques ayant précédé chaque révision de l’AVS ne se sont jamais réalisées. Dernier exemple, les chiffres mentionnés en janvier 2022 par l’Office fédéral des assurances sociales qui prétendait que, si la réforme ne passait pas, l’AVS se retrouverait avec un trou de 5,6 milliards en 2032. Quatre mois plus tard, le même office parle d’un déficit de 3,75 milliards en cas de refus, soit un tiers de moins! Entre les deux dates, les résultats de l’AVS pour 2021 étaient publiés, affichant un bénéfice de… 2,5 milliards de francs! «Cet enfumage n’a qu’un seul but: nous faire croire que la situation de l’AVS est fragile pour nous faire accepter de travailler plus longtemps», note le syndicaliste, appelant les femmes et les hommes à garder la tête froide et à voter de manière déterminée, comme en 2004 et en 2017, contre le départ à la retraite à 65 ans pour les femmes.

Une fabrique de la pauvreté

Secrétaire syndicale d’Unia, Solenn Ochsner renchérit en indiquant que, contrairement aux «allégations de M. Berset», cette réforme ne rééquilibrera pas les relations hommes-femmes «mais creusera encore plus les inégalités et contribuera à appauvrir davantage les retraitées». Là encore, les chiffres sont parlants. Dans le canton de Neuchâtel, la moyenne des personnes ayant droit à des prestations complémentaires (PC) à l’AVS se monte à 18,2% contre 12,6% au niveau suisse. Une situation qui touche particulièrement les femmes, puisqu’elles sont 22% à avoir besoin des PC, contre 14,2% des retraités. «En augmentant l’âge de la retraite, nous fabriquons des pauvres, c’est un non-sens économique», lance la syndicaliste avant d’exiger de régler d’abord le problème des inégalités salariales, ce qui rapporterait 9 milliards de francs à l’AVS entre 2023 et 2031.

Une pancartes avec des graphiques rappelant les différences salariales et en matière de tâches ménagères.
Les discriminations perdurent. Alors que les femmes assument toujours 50% de travail domestique en plus que les hommes même chez les jeunes couples, leur rente moyenne est inférieure de 37%. C’est en haussant les pensions et non l’âge de la retraite des femmes que ces inégalités pourraient s’estomper, soulignent les militantes neuchâteloises. © Thierry Porchet

 

«Qui osera regarder ces femmes dans les yeux?»

Aïcha Berger, permanente de l’Association de défense des chômeurs, illustre le décalage entre AVS 21 et la réalité des seniors sur le marché du travail: «Les chômeurs entre 50 et 64 ans représentent 51% des chômeurs de longue durée, alors qu’ils ne sont que 30% des personnes au chômage. Les seniors rament dans un marché de l’emploi en constante évolution qui ne veut plus de ceux qui ne tiennent pas la cadence.» Pour bien des femmes, dit-elle, c’est un défi d’arriver à l’âge de la retraite en ayant un emploi. Et cela dans des conditions difficiles pour beaucoup, ayant vécu nombre de discriminations durant toute leur vie professionnelle, auxquelles s’ajoutent la pénibilité des travaux féminins et les doubles journées de travail. «Les femmes sont deux fois plus exposées aux risques de troubles musculo-squelettiques que les hommes», explique Aïcha Berger avant de questionner: «Qui osera regarder dans les yeux ces femmes aux épaules cassées par les gestes de l’usine, ces soignantes au dos plié pour avoir fait durant des années la toilette de nos grands-parents, ces agentes d’entretien épuisées par des heures de ménage sans fin, celles rendues folles par la charge supplémentaire et solitaire de leur enfant ou de leurs parents malades? Qui osera les regarder dans les yeux et leur dire qu’elles devront travailler un an de plus, par souci d’égalité?»

«Il faut convaincre tous les hommes qui voteront pour AVS 21 qu’ils se tirent une balle dans le pied. Si le oui gagne, on ouvrira la porte à la hausse de l’âge de la retraite pour tous», lance Marianne Ebel, du Collectif pour la grève féministe, dénonçant une égalité à l’envers: «Les femmes travailleront plus pour avoir moins de rentes, alors que déjà, avec le 2e pilier, les écarts avec les hommes sont énormes.» Aujourd’hui retraitée, elle rappelle qu’elle a travaillé des années en sachant que ses cotisations payaient les rentes AVS de ceux qui en avaient fait de même auparavant. Et face aux prévisions alarmistes, son message est clair: «Aussi longtemps qu’il y aura des salaires, il y aura des rentes!»

Les hommes se trompent

Président du Parti socialiste neuchâtelois, Romain Dubois s’emporte contre les intentions de vote des hommes qui pourraient faire aboutir le camp du oui. «Ce soutien est une double erreur», souligne-t-il. Les chiffres actuels de la structure des salaires révèlent que, pour un même travail, les femmes gagnent encore près de 11% de moins. Quant à la productivité, elle n’a cessé d’augmenter: «Ce qu’une personne produit aujourd’hui en une heure était réalisé en une semaine au XXe siècle. Il est honteux de vouloir augmenter la durée du travail alors qu’on devrait débattre de sa diminution.» De plus, le renforcement de la TVA aura un effet clair sur le revenu des couples de retraités. «Cette réforme est néfaste, c’est la classe moyenne et la classe la plus défavorisée qui en pâtiront», conclut-il, signalant l’engagement unanime du PS contre la réforme.

Jeune député suppléant au Grand Conseil, le Vert Emile Blant témoigne de l’appréhension des jeunes générations face aux retraites: «J’ai souvent entendu sur le ton de la plaisanterie que “de toute façon, quand on sera vieux, on n’aura plus de retraite”. Derrière ce fatalisme se cache une vraie inquiétude. Si une AVS stable est un prérequis à notre départ à la retraite dans 40 ans, on ne peut pas comprendre qu’une telle réforme ne vise pas plus loin que les dix prochaines années et qu’elle pénalise encore plus les femmes, ce qui est profondément inacceptable.» Lui aussi interpelle les hommes qui peuvent penser être gagnants avec AVS 21: «Personne ne sera gagnant. Avec la TVA, tout le monde sera touché. Il n’est pas imaginable de vouloir la rehausser dans un contexte où certains ménages se questionnent s’ils auront les moyens de se chauffer cet hiver! C’est pour cela, pour protéger les femmes, les jeunes, les retraités, que nous appelons à voter Non à cette AVS 21 sans vision.»

Stand.
Durant toute la semaine dernière, Unia Valais a tenu des stands dans les différentes villes du canton et distribué des flyers sur les parkings des centres commerciaux pour inviter la population à voter deux fois Non à la réforme de l’AVS le 25 septembre prochain. Dans toute la Suisse, le syndicat s’est mobilisé pour informer la population sur les enjeux d’AVS 21, entre hausse de l’âge de la retraite des femmes qui signifie la perte d’une année de rente, augmentation de la TVA, et pas en avant vers un relèvement du départ à la retraite pour tous. © Unia

Action à Fribourg
«65 ans, c’est toujours Non!» C’est ce qu’a tenu à réaffirmer la coalition fribourgeoise contre AVS 21 le samedi 27 août, journée déclarée par l’Union syndicale suisse comme le moment fort de la campagne contre cette nouvelle réforme de l’AVS. La coalition cantonale regroupe de nombreuses organisations syndicales, associatives et politiques. Emmenée par l’Union syndicale fribourgeoise et la Grève féministe, elle compte sur l’engagement, entre autres, des femmes socialistes, des jeunes Verts et des jeunes popistes. Ensemble, ils appellent à faire «front commun» contre AVS 21 qui ouvre la porte à d’autres projets aux conséquences néfastes pour toutes et tous, notamment dans le 2e pilier. © Thierry Porchet

 

Témoignages

Marianne Gay, retraitée, militante Unia et PS, Bevaix

«Pourquoi je m’engage contre AVS 21? C’est d’abord parce que je pense aux jeunes. Ce n’est pas normal de vouloir allonger la durée du travail alors qu’on parle de semaine de quatre jours. On fait pile le contraire! Il y a aussi cette révision de la Loi sur l’égalité qui a été votée il y a quelque temps et qui, dans dix ans n’existera plus! Ce changement de loi ne sert pratiquement à rien, il n’y a aucune sanction… Les patrons font comme ils veulent. S’ils ne font pas le contrôle de l’égalité salariale dans leur entreprise, ils ne risquent rien. De plus, très peu d’entreprises sont concernées. Tant qu’on n’a pas réglé ce problème de l’égalité, tant que les femmes toucheront des salaires de misère, qu’elles seront engagées à temps partiel, dans les magasins ou ailleurs, pour ne pas leur payer le 2e pilier, je refuse que l’on change quoi que ce soit dans l’AVS!

Je me bats aussi contre l’augmentation de la TVA. Pourquoi ne pas faire une taxe sur les produits de luxe? Les pauvres n’auraient pas à payer. Ils ne sont pas courageux à Berne… Si AVS 21 passe, ce sera un coup d’accélérateur pour la hausse de l’âge de la retraite pour tous. Les travailleurs, mais aussi les patrons, devront cotiser plus longtemps.

Nos aïeux ont construit un monde dans lequel j’ai eu la chance de vivre. Un monde que nos contemporains sont en train de tout ficher par terre. Il faut que nos jeunes se mobilisent. Je suis convaincue qu’on arrivera à gagner des voix parmi eux. Il faut que le monde change pour eux. Ce n’est pas possible de continuer comme ça.

Allons tous voter Non le 25 septembre, jour de la fête des vendanges!»


Florent, psychologue du travail, membre SSP et militant de Solidarités, Neuchâtel

«Je m’engage contre AVS 21 en distribuant des flyers et sur les réseaux sociaux. Les sondages montrent que, même dans nos rangs, des hommes n’ont pas la même sensibilité sociale, des gens hésitent. Pour moi, le meilleur argument est que cette réforme va ouvrir une brèche, provoquant d’autres réformes contre tout le monde. Nous devons rappeler notre solidarité de classe, ne pas se tromper de cible. La crise du climat et la crise sociale ont les mêmes causes. Ce n’est pas aux femmes de bosser plus longtemps, il faut taxer les riches. Eux ne vont pas souffrir de cette réforme, les femmes riches non plus.

L’opposition hommes-femmes n’est pas valable, elle arrange le gouvernement. Nous devons favoriser des choses qui vont dans le bon sens, comme l’initiative 1:12 qui n’a hélas pas été adoptée, ou l’initiative cantonale sur les soins dentaires sur laquelle nous allons aussi voter le 25 septembre. Là, il n’y a pas d’enjeu de genre.

J’espère que les premiers sondages auront l’effet d’un électrochoc. Quant à notre impact sur les réseaux sociaux, un premier aspect positif montre que nous avons touché des gens qui ne nous suivaient pas habituellement. Il y a aussi un paradoxe sur la manière de mener cette campagne. Nous devons le faire avec des bouts de ficelle alors qu’en face, ils ont des gros moyens. Mais c’est motivant, cela nous permet d’avoir un débat démocratique.»

Mobilisation à Lausanne contre AVS 21 lors de la venue d’Alain Berset

«AVS 21, une réforme indispensable.» Tel est le thème de la présentation qu’Alain Berset donnera le 5 septembre prochain lors d’une conférence organisée à Lausanne par la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie, l’Union patronale suisse et la Fédération des entreprises romandes Genève. Le conseiller fédéral socialiste y défendra son projet, contesté par les syndicats et son propre parti, lors d’une soirée qui accueillera également un débat contradictoire entre les conseillères nationales Léonore Porchet des Verts vaudois et Simone de Montmollin du PLR genevois.

Le comité unitaire vaudois contre AVS 21 invite à se rassembler ce jour-là, à 18h, devant le Musée cantonal des beaux-arts (MCBA) à Lausanne où se tiendra la conférence. «Manifestons notre colère, crions nos slogans contre cette réforme scandaleuse», note le comité, invitant aussi chacun à faire campagne autour de soi, une mobilisation maximale étant nécessaire pour gagner le 25 septembre.

Manifestation lundi 5 septembre à 18h, MCBA, place de la Gare 16, à Lausanne.

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