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«Le 3 mars, on peut faire basculer le rapport de force»

deux hommes
© Thierry Porchet

Coauteur, avec le réalisateur Claudio Tonetti, du film Le Protokoll qui raconte la mainmise des assureurs sur le 2e pilier, Pietro Boschetti (à gauche) a publié en fin d’année dernière un ouvrage intitulé L’Affaire du siècle, le 2e pilier et les assureurs.

Dans le prolongement du film «Le Protokoll», le journaliste Pietro Boschetti a publié récemment un livre sur le 2e pilier. Rencontre lors de son passage au Locle

Coauteur, avec le réalisateur Claudio Tonetti, du film Le Protokoll qui raconte la mainmise des assureurs sur le 2e pilier, Pietro Boschetti a publié en fin d’année dernière un ouvrage intitulé L’Affaire du siècle, le 2e pilier et les assureurs. Le film, qui revient notamment sur le scandale, en 2002, des 20 milliards de francs disparus des caisses de pension gérées par les assurances vie, a été projeté au Locle, lors de la journée de formation syndicale du 10 février. Le journaliste était présent et a pris part au débat animé qui a suivi. Entretien.

Pourquoi ce livre, aujourd’hui?

Lors de la réalisation du film Le Protokoll avec Claudio Tonetti, nous avons rassemblé une telle documentation que j’ai réalisé qu’il y avait un livre à faire. Cela offre la possibilité d’être plus précis, de remettre les faits dans une perspective historique de manière plus importante que ce que permet un film de 51 minutes.

Comment se porte le 2e pilier actuellement?

D’après un rapport officiel, le 2e pilier est en «déficit chronique». Mais dans le milieu professionnel, ce mot est tabou. Depuis 2007 pourtant, le système n’est plus capable de générer suffisamment d’argent pour payer les rentes en cours. Pour combler ce manque, le système recourt à un bricolage parfaitement contraire au principe de fonctionnement de la capitalisation en vigueur dans le 2e pilier. Les caisses utilisent en effet une partie des rendements, qui devraient bénéficier aux assurés actifs, pour combler les trous. En quelque sorte, elles utilisent par la bande un mécanisme de répartition – le mécanisme de base de l’AVS – pour pallier aux insuffisances de la prévoyance professionnelle. C’est d’une ironie cruelle... Cela souligne à quel point le 2e pilier est déficient. Or, ce transfert des actifs vers les retraités est de l’ordre des cinq milliards de francs par année, selon les rapports de la Commission de la Haute surveillance. Sur le plan comptable, ce n’est pas considéré comme un déficit, même si c’en est bel et bien un en réalité. Comme quoi, on peut être assis sur une fortune de 1200 milliards de francs et produire tout de même du déficit.

Ces cinq milliards sont un des arguments de la droite en faveur de la réforme LPP 21 qui passera cet automne au vote…

La droite dit qu’il faut baisser le taux de conversion. Pendant des décennies, elle a prétendu que l’AVS avait un financement fragile; or, je constate que c’est le 2e pilier qui entre actuellement en crise, lentement mais sûrement.

Quelles seraient les solutions possibles?

Je n’ai que des esquisses de solutions. Le 3 décembre 1972, lors de la votation qui a inscrit les trois piliers dans la Constitution, on nous a vendu ce système en précisant que le 2e pilier sera le pilier central. C’est pour cela qu’il a été décidé que les rentes AVS resteraient basses, même trop basses. Quarante ans après, je constate que le système ne fonctionne pas. D’où les cris de la droite et son offensive pour réduire les coûts, ce qui se fait exclusivement sur le dos des assurés. Face à cette situation, il y a deux réponses possibles. Une immédiate: c’est de renforcer à tout prix l’AVS, en commençant par l’adjonction d’une 13e rente. C’est absolument nécessaire, non seulement pour répondre à un urgent besoin social, mais aussi pour donner un signal politique fort. La seconde est de diminuer la voilure du 2e pilier et d’utiliser le magot des 1200 milliards de capitaux pour renforcer l’AVS. C’est certes plus facile à dire qu’à faire, mais c’est dans ce sens qu’il faudrait aller. L’AVS fait preuve d’une robustesse extraordinaire. En 74 ans d’activité, on ne décompte que 14 années déficitaires. C’est un bilan exceptionnel! Non seulement l’AVS est solide financièrement, mais elle est sociale. Avec 100 francs de cotisations, on paie 99 francs de rente; seul 1 franc est utilisé pour les frais de gestion. Dans le 2e pilier, pour 100 francs de «cotis», 77 francs seulement se transforment en rente; 23 francs disparaissent ainsi dans la gestion! Et en matière d’efficacité sociale, le 2e pilier est une ineptie: elle approfondit les inégalités alors que l’AVS les réduit de manière considérable. Au final, y a pas photo! Il ne faut pas se leurrer. L’enjeu de la votation pour la 13e rente est décisif pour l’avenir de la prévoyance vieillesse en Suisse. Le 3 mars prochain, on peut faire basculer le rapport de force en faveur d’une solution nettement plus sociale.

Faut-il une fusion du 1er et du 2e pilier?

Il faut en tout cas diminuer la voilure du 2e pilier, mais en respectant les droits acquis, au profit d’un renforcement substantiel du 1er. Est-ce que cela doit aller jusqu’à une fusion totale? Peut-être. Personnellement, je suis un fervent partisan de la répartition sur lequel est fondé l’AVS. Et quoi qu’il en soit, je pense que les assurances vie doivent être exclues du 2e pilier. Cela n’a aucun sens d’introduire une logique de marché dans une assurance sociale. C’est contradictoire et source de très nombreux effets pervers. Cela dit, on peut très bien envisager à terme une super-AVS avec un apport sous forme de capitalisation géré par l’Etat, dans un fonds souverain par exemple. Il suffit d’y introduire un principe de redistribution – les riches paient pour les pauvres – et l’affaire est entendue.

En 2024, trois votations concernent notre système de retraite. Qu’en dites-vous?

Il faudra ratiboiser LPP 21, la réforme du 2e pilier. C’est un scandale! Toutes les promesses faites lors d’AVS 21 ont disparu. S’il n’y avait pas eu de conseiller fédéral socialiste aux affaires, la réforme AVS 21 ne passait pas. Espérons que le même scénario ne se répète pas le 3 mars prochain. Si la gauche gagne sur les trois votations de cette année, pour la 13e rente, contre l’initiative des Jeunes radicaux et contre LPP 21, l’horizon s’éclaircira quelque peu pour toutes les personnes qui veulent améliorer le système. Sinon le programme d’économies de la droite sur le dos des assurés s’imposera dans toute son ampleur.

L’Affaire du siècle, le 2e pilier et les assureurs, Editions Livreo-Alphil, octobre 2023, disponible en librairie au prix de 19 francs.

Le film Le Protokoll, diffusé en octobre 2022 sur les trois chaînes de la SSR, est en libre accès sur: vimeo.com/726106269 

 

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