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«Le gérant m’a dit que j’étais un “joli morceau”»

Trois femmes, casquettes Unia sur la tête, devant les locaux du syndicat à Genève.
© Jérôme Béguin

Sarah, Claire et Maria devant l’entrée d’Unia Genève, trois des six femmes qui ont eu le courage de se battre contre le harcèlement sexuel et de témoigner.

Six femmes victimes de harcèlement sexuel, qui se battent avec Unia pour faire cesser ces agissements, témoignent de leur douloureuse expérience

Unia Genève a saisi l’occasion du 8 Mars pour donner un coup de projecteur sur le harcèlement sexuel au travail. Six femmes, employées dans les secteurs de la restauration et des soins, se battent avec le syndicat pour faire cesser ces agissements. Elles ont accepté de témoigner de leur douloureuse expérience.

Parmi elles, Claire*, qui a travaillé dans un fast-food: «Lors de l’entretien d’embauche, le patron m’avait prévenue: les garçons sont un peu lourds, mais ils sont gentils… J’ai découvert en réalité une ambiance malsaine où le harcèlement sexuel est banalisé. Toutes les femmes sont observées, subissent des commentaires sur leur physique et des attouchements comme des mains sur l’épaule ou des câlins non désirés. Et tous les hommes y participent. Je me suis dit que je n’allais jamais réussir à tenir, mais je ne pouvais pas me permettre de quitter cet emploi, alors, comme mes collègues, je m’y suis faite. J’ai réussi à mettre une distance avec les hommes et j’ai été cataloguée de féministe.» Ce qui n’empêchait pas la jeune femme d’endurer presque chaque jour des commentaires. «Par exemple, si je me maquillais, on me demandait pour quel homme je l’avais fait.»

Harcelée quotidiennement

Actuellement en arrêt maladie, Claire a quitté cet emploi. A l’instar de sa collègue Sophie*, qui a préféré livrer un témoignage par vidéo. Un an après les faits, cette jeune femme peine encore à partager son vécu. «Je me suis toujours considérée comme une femme forte, j’ai fait l’armée. J’ai déjà connu bien sûr des mecs qui n’attendent que ça, mais je n’ai jamais eu de problèmes, je disais stop et ça s’arrêtait. Mais quand j’ai commencé dans ce fast-food, j’ai compris que cela serait différent.» Sophie y sera harcelée quotidiennement par trois hommes pendant plusieurs mois. «L’un deux est manager, il me demandait tous les jours comment ça se passait au lit avec mon copain, c’était très embarrassant pour moi. A plusieurs reprises, j’ai souffert de mal de dos, il me proposait des massages, il faisait des gestes déplacés. Un autre collègue me disait tous les jours que j’allais tomber amoureuse de lui. Je leur ai dit que ça me rendait mal à l’aise, mais ça n’a servi à rien. Je n’ai rien dit à mon petit ami. J’ai pété les plombs, je me suis mise en arrêt, j’ai appelé le directeur pour lui dire que je ne voulais plus bosser. Il a parlé d’un malentendu et a mis la faute sur moi.»

«Nous sommes allées ensemble au syndicat. Unies, c’était moins dur d’en parler, nous nous sentions plus fortes», explique Claire. «Ce qui est grave, c’est que la direction, bien qu’au courant des faits, n’avait pris aucune mesure», relève Camila Aros, secrétaire syndicale d’Unia Genève.

Libérer la parole

La même mésaventure est arrivée à Sarah* dans une chaîne de restauration rapide concurrente. «Quand je suis entrée dans cette boîte, j’ai halluciné. C’était une zone de non-droit. Le gérant engageait essentiellement des filles avec des physiques avantageux, il fallait faire des courbettes à son manager pour avoir des heures de travail. Les managers hommes avaient le droit de tout dire aux femmes, il fallait être charmante avec eux, gracieuse, dans la séduction. C’était du harcèlement sexuel au niveau des mots. Par exemple, le gérant m’a dit que j’étais un “joli morceau”», raconte cette jeune maman de deux enfants. «Tout le monde acceptait l’inacceptable. Je suis passée par des périodes de déprime, de colère, cela a posé des problèmes dans mon couple car j’ai caché la situation à mon compagnon. Lorsqu’il l’a appris, il a voulu casser la gueule à mon manager.» Sarah a préféré aller trouver Unia. «Ce n’était pas facile, mais il est très important de libérer la parole.» Le manager a été licencié et le gérant a écopé d’un avertissement. «Tous les managers ont changé de comportement, c’est génial, je remercie Unia.» N’ayant toujours pas décroché un contrat avec des heures garanties, la jeune femme se sent tout de même «un peu mise au placard».

Harceleur protégé par la direction

Dans un restaurant d’une autre chaîne nord-américaine, c’était pire encore. «Notre manager a harcelé sexuellement la plupart d’entre nous. Il nous draguait, nous envoyait des messages ou nous appelait en dehors du travail. Dès qu’on mettait des limites, il devenait agressif et insultant, il nous rabaissait devant les autres et nous pénalisait sur les plannings», assure Pauline* dans un témoignage écrit.

Cristina*, une collègue, en a été atteinte dans sa santé: «J’ai éclaté en larmes à de nombreuses reprises en sa présence. J’ai subi une telle violence de sa part que j’ai dû consulter un psy, j’ai fait des crises de panique, j’ai été pendant deux mois en arrêt.»

«Le déclic qui nous a fait contacter Unia, c’est que cette personne allait devenir directeur. On ne pouvait pas imaginer travailler sous ses ordres, il allait avoir tous les pouvoirs sur nous», relate Pauline. Malgré des dizaines de témoignages à l’encontre du manager, la direction voulait le garder. Le syndicat a dû saisir les responsables internationaux de la chaîne pour qu’il soit licencié.

Dans cette affaire, les victimes ont pu se regrouper pour agir. «Pour les cas individuels, c’est plus compliqué, beaucoup de femmes que nous recevons à Unia n’osent pas aller plus loin par peur des représailles», indique Camila Aros.

Employée d’un EMS et victime d’une agression sexuelle dans un couloir, Maria*, elle, a passé la porte du syndicat. «Mon agresseur est resté en place et moi, la victime, je dois fournir des preuves. Le problème, c’est qu’il n’y a pas eu de témoin», déplore-t-elle, très émue. Après une période d’arrêt, elle est retournée au travail, dans un autre bâtiment. «C’est moi qui suis identifiée dans l’entreprise comme quelqu’un de problématique.»

Effet de la grève des femmes

Le syndicat a constaté depuis une année une recrudescence des dénonciations de harcèlement. Pour Camila Aros, il s’agit d’un effet direct de #MeToo et de la grève des femmes. «La parole se libère et les femmes se solidarisent davantage pour faire face aux situations de harcèlement.»

«On est confronté de plus en plus à ce genre de situation», confirme Anna Gabriel, secrétaire syndicale d’Unia Genève. «Les syndicats sont expérimentés dans pas mal de domaines, moins sur le harcèlement, nous devons nous améliorer et être à la hauteur, c’est pourquoi nous avons commencé à suivre une formation.»

*Prénoms d’emprunt.

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