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Le militantisme, son exutoire

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© Olivier Vogelsang

Mona Dennaoui porte son keffieh, l’emblématique écharpe palestinienne.

Mona Dennaoui s’engage pour une Palestine libre. Résolument féministe, la psychologue suisso-libanaise déconstruit le colonialisme comme le patriarcat.

Face aux injustices, Mona Dennaoui bouillonne. Franche, elle confie: «Le militantisme est un exutoire à ma colère. Je ne milite pas par romantisme.» Reste qu’en tant que psychologue de métier, elle sait aussi réguler ses émotions et faire preuve de patience. Elle admire particulièrement le calme de certains activistes palestiniens. «Face à leurs détracteurs, ils n’ont pas le luxe de péter les plombs», souligne la trentenaire. Active dans le mouvement Boycott – Désinvestissement – Sanction (BDS) depuis sept ans, la jeune Suisso-Libanaise s’érige contre le Gouvernement israélien et l’occupation de la Palestine. Elle rappelle que BDS s’oppose à toutes formes de discrimination et de racisme, y compris l’islamophobie et l’antisémitisme. «Notre lutte ne s’arrête pas avec les cessez-le-feu, car le nettoyage ethnique continue. Jusqu’à la libération de la Palestine, nous lutterons. Si les Palestiniens luttaient seulement contre Israël, ils auraient déjà gagné. Mais ils se battent en fait contre le monde entier, car le gouvernement sioniste reçoit des milliards des Etats-Unis et des pays occidentaux… La résistance du peuple palestinien est admirable. Tout est question de profits. Quand l’apartheid en Afrique du Sud a commencé à coûter davantage que ce qu’il rapportait, le système est tombé. Je garde espoir.» 

Son engagement sans faille date de son séjour universitaire de six mois à Toronto, en 2018. «L’université était en grève et les mouvements étudiants très actifs pour la Palestine», résume celle qui n’a cessé de manifester depuis avec une énergie hors du commun. 

Dans toutes les manifestations

Mona Dennaoui ne compte plus le nombre de rassemblements pour la cause palestinienne auxquels elle a participé depuis une année et demie. «Si les manifestations ne libèrent pas la Palestine, elles sont fondamentales pour créer des liens et sensibiliser.» Depuis quelque temps, elle se prémunit contre les réseaux sociaux: «Je ne peux plus voir toutes ces images d’horreur, post-apocalyptiques, de corps déchiquetés...» 

Lorsque Israël a bombardé son pays d’origine, elle a été terrifiée pour sa famille. «Je me suis souvenue aussi de mes vacances là-bas en 2006. Le ciel s’était illuminé un soir, et je pensais qu’il allait pleuvoir. Mais non, Israël avait frappé. Nous avons dû fuir, escortés par la Croix-Rouge, jusqu’en Jordanie.»

Le 19 janvier, au moment du cessez-le-feu, elle a fêté avec ses camarades de lutte à Genève. «Mais nous avons très peur de la fin de la trêve», raconte-t-elle. Elle évoque aussi la difficulté de militer, même ici, en donnant pour exemple le non-renouvellement du mandat du professeur Joseph Daher, connu pour son engagement. «Cela signifie que la liberté de parole n’est même pas garantie à l’Université de Lausanne. Ça fait peur. Comme dans le féminisme, on assiste à un retour de bâton. Mais cela signifie aussi que l’on commence à menacer l’ordre établi. Nous savons que nous sommes du bon côté de l’histoire. La lutte doit être intersectionnelle pour avancer. Toutes les minorités opprimées, toute la gauche, doivent s’unir, face à la colonisation, au patriarcat, au racisme…»

Identités multiples

Avec une grande générosité, elle revient sur son parcours étonnant qui ne la prédestinait pas à devenir ni psychologue ni activiste.

En 1994, Mona pousse son premier cri en Suisse. Ses parents sont Libanais, elle apprend à jongler entre ses différentes identités et langues. Elle se pose beaucoup de questions, notamment sur la religion. «Ma mère, très croyante, me répondait souvent: “Parce que le Coran le dit”… Mon père, lui, voulait que je taise mes origines pour me fondre dans le pays. En réaction, j’aimais revendiquer que j’étais arabe et musulmane.» Au sein de sa famille, elle s’érige toutefois contre les dogmes, tels que certains codes vestimentaires ou l’obligation du mariage. «Ma mère n’avait que 15 ans lorsqu’elle a épousé mon père qui en avait quasi le double… Quant à la question du voile, ni ma mère ni moi ne le portons. Voile ou pas voile, c’est toujours le même problème, celui du regard de l’homme sur la femme. Donc à chacune de choisir.» Elle soupire, Mona Dennaoui, qui regrette de ne pas pouvoir militer dans le collectif de la Grève féministe, faute de temps. 

Elle se souvient d’une petite enfance, heureuse, à Chavannes-près-Renens, puis d’un déménagement compliqué à Crissier, à l’âge de 8 ans. «J’ai vécu du harcèlement scolaire. Mais, à l’époque, on parlait de moqueries. C’était dur. Si on m’avait dit que j’allais travailler dans une école…», sourit la psychologue scolaire. Elle revient de loin, Mona. En voie générale (et non pas prégymnasiale), une professeure lui assène que l’université n’était pas faite pour elle. 

«Comme tous les parents libanais, les miens rêvaient que je devienne avocate, médecin, architecte ou ingénieure. J’ai choisi médecine, mais après une année d’études, dans une ambiance très froide et compétitive, j’ai choisi psychologie. Sauf que, pour ma famille, ce n’était pas un métier.» 

Aujourd’hui psychologue scolaire, avec une forte expérience dans la prévention du suicide, elle souligne la détresse des jeunes, si influencée par les réseaux sociaux. 

Mona Dennaoui aurait encore beaucoup trop à raconter. Faute de place, elle fait des sauts dans le temps, et rattrape son fil rouge en tissant des liens entre sa formation et son militantisme: «La psychothérapie peut être révolutionnaire. Même si la question de la norme à suivre, le risque du diagnostic qui enferme – mais qui peut être aussi un soulagement pour certains – peut être vu comme capitaliste, je pense que la psychothérapie, sous l’angle structurel, est émancipatrice. Par ailleurs, si chacun régulait davantage ses émotions, nos mouvements militants iraient sûrement mieux.» 

 

Mona Dennaoui donnera une conférence à Lausanne sur BDS, le 16 mars, dans le cadre du contre-forum Stop-pillage à Pôle Sud: stop-pillage.ch