«En Suisse, le système Dublin prime sur la vulnérabilité»
Trois questions à Marianne Ebel, vice-présidente de la Marche mondiale des femmes, et cheville ouvrière du rapport de la coalition neuchâteloise.
Ce n’est pas la première fois que vous dénoncez la situation des femmes migrantes victimes de violences sexuelles et sexistes…
Déjà au temps de notre campagne Appel d’elles, lancée en 2017, nous demandions à Simonetta Sommaruga (alors conseillère fédérale, ndlr) de reconnaître les violences faites aux femmes dans leur parcours migratoire. En se basant sur les brochures du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), on nous disait que c’était le cas. Or, dans les faits, il n’en est rien. En Suisse, le système Dublin prime sur la vulnérabilité. Beaucoup de personnes ont témoigné des traitements horribles subis en Croatie. Mais le SEM ne les a pas pris en compte. Or, être soigné devrait être une priorité.
Qu’attendez-vous du Canton, mais aussi de la Confédération?
Pour l’heure, nous attendons des trois femmes socialistes en charge de la migration, à la tête de notre Canton, du SEM et membre du Conseil fédéral, de faire respecter les droits humains. Au vu des guerres en cours et de la situation mondiale, des personnes vulnérables vont continuer d’arriver. Cet été, la pétition de Feminist Asylum «Pour une reconnaissance effective des motifs d’asile propres aux femmes, aux filles et aux personnes LGBTIQA+» a été enterrée par le Parlement et le Gouvernement suisses qui agissent pourtant très en-deçà de ce qu’ils devraient faire pour les personnes vulnérables. Le GREVIO (Groupe d’expert.e.s sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, ndlr) a fait un rapport très critique sur la manière dont la Suisse applique, ou plutôt n’applique pas, la Convention d’Istanbul (Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, ndlr).
A Neuchâtel, vous demandez notamment une meilleure coordination de tous les acteurs?
En travaillant ensemble sur ce rapport, nous nous sommes rendu compte que nous partageons toutes et tous le même souci du respect des droits humains et qu’une coordination fait défaut. L’urgence se porte aussi sur le manque d’hébergement, d’interprètes et de formation. Les employés du centre fédéral de Boudry ne sont pas formés à la reconnaissance de la vulnérabilité. Les personnes exilées sont renvoyées ou déplacées de canton en canton. Je pense notamment à une femme violée qui, enceinte, a perdu son enfant après avoir été battue à la frontière croate. Puis, elle a été de nouveau violée au Tessin et est retombée enceinte. Or, le SEM voulait la renvoyer en Croatie! Si, finalement, elle a obtenu de pouvoir rester en Suisse, elle a été transférée à Lucerne, alors qu’elle parle le français. Elle est suivie, mais avec des difficultés supplémentaires liées à la langue.