De la violence des renvois Dublin
«Cette année, le nombre de renvois depuis la Suisse vers la Croatie a quasi doublé. On estime qu’il y a un vol spécial par semaine pour Zagreb, avec un niveau de sécurité 4, soit les menottes et un système ultrarépressif. Les déboutés Dublin sont traités comme des criminels.» Sophie Guignard, secrétaire politique de Solidarité sans frontières (SOSF), ne mâche pas ses mots. Elle souligne la violence des expulsions depuis la Suisse. «Il est arrivé que des personnes soient renvoyées sans leurs lunettes, sans leurs médicaments, voire même sans leur porte-monnaie. Par ailleurs, les tentatives de suicide ne sont pas rares lors des expulsions.»
Cet été, elle a visité avec une délégation les deux centres d’accueil de Croatie. Elle résume: «La majorité des personnes repartent dans les 24 heures, car avec 900 places d’hébergement, ce pays n’a pas les capacités de tous les accueillir. Le système médical croate n’est déjà pas suffisant pour la population. L’ONG Médecins du monde fait du mieux qu’elle peut.»
Diane Barraud-Astefan, aumônière à Point d’Appui, à Lausanne, depuis treize ans, rencontre, elle, beaucoup de personnes sous le joug d’une décision Dublin: «Malgré l’Appel contre l'application aveugle du Règlement Dublin signé en 2017 déjà par de nombreuses organisations, des personnes vulnérables, des femmes seules avec enfants continuent de recevoir des décisions de renvoi Dublin de la part du SEM (Secrétariat d’Etat aux migrations). Les cantons sont tenus de les exécuter sous peine de sanctions financières. Or, selon des rapports d'ONG ou de groupes d'Eglises, l’accueil dans certains pays, notamment la Croatie, ne serait pas du tout adéquat, les personnes y subiraient parfois des violences graves, et l’accès médical pourrait y être très limité. Dans les situations que je rencontre, je constate que le système Dublin représente une pression psychologique insupportable. Souvent les personnes arrivent avec de grandes souffrances, des traumatismes liés à la route migratoire, et un état d’épuisement intense. Elles pensent être enfin arrivées et… non. C’est très dur. Et ces situations demandent énormément d’énergie à tous les intervenants sociaux et aux autorités.»
Pour preuve, le 10 décembre, à l’aube, la police est venue chercher un jeune couple éthiopien dans un foyer de l’EVAM pour le renvoyer en Roumanie. Le jeune homme a menacé de se suicider, son épouse a tenté de l’en dissuader. Une opération policière d’envergure a été mise en place avec le DARD (Détachement d’action rapide et de dissuasion) de la police cantonale, le groupe d’intervention de la police de Lausanne (GIPL), des tireurs d’élite, des pompiers, des ambulances, des négociateurs ainsi qu’une traductrice.
«Plus largement, ce système a été pensé pour éviter ce que, dans les faits, il produit: soit le “tourisme” de l’asile. C’est incroyable le nombre d’allers-retours qu’effectuent les requérants d’asile», déplore Sophie Guignard.
En Suisse, les renvois n’ont plus lieu vers la Grèce depuis longtemps à la suite d’une décision européenne. «Depuis deux ans, l’Italie refuse les retours, mais les personnes qui arrivent de ce pays sont quand même sous le régime Dublin et vivent mortes d’angoisse», explique, pour sa part, Aude Martenot, membre de Solidarité Tattes, pour qui les cantons et le SEM se doivent d’user de leur marge de manœuvre.