Animatrice d’ateliers d’écriture et auteure d’un premier roman, Le cake au citron, Emmanuelle Ryser a fait des mots son métier. Vocabulaire polymorphe
Les mots comme fil rouge. Les dessins et les collages en renfort visuel. Et un amour de la langue qu’elle partage: Emmanuelle Ryser a fait de l’écriture son métier. A travers la rédaction de carnets de voyages et d’un premier roman. Par le biais d’ateliers et de stages qu’elle anime au cœur de Lausanne et à l’étranger. En prêtant sa plume à la retranscription de récits de vie. Une passion pour le rédactionnel qui remonte à l’enfance. Dès l’âge de 11 ans, cette fille d’une mère française et d’un père franco-suisse tient un journal intime. Non pas, précise-t-elle, qu’elle ait de gros problèmes à confier à cet ami silencieux. Mais par simple plaisir de coucher sur papier ses aventures et ses ressentis. Elle se tourne ensuite naturellement vers des études de Lettres, elle qui aura eu aussi l’occasion, dans sa jeunesse, de fréquenter régulièrement les théâtres. «Ma maman rédigeait des critiques pour le journal Voix ouvrière et m’amenait voir des pièces», relate Emmanuelle Ryser, 52 ans, qui effectuera un mémoire en dramaturgie dans une université de Grahamstown, en Afrique du Sud.
La conscience d’être Blanche
«J’y ai passé une année, en 1993, à la suite d’un concours de circonstances. Le pays se trouvait alors à un tournant de son histoire, juste à la fin de l’apartheid», précise la jeune quinquagénaire, marquée par cette immersion dans une société alors toujours très divisée. «Pour la première fois de mon existence, j’ai pris conscience que j’étais Blanche... J’ai laissé dans ce pays un petit bout de mon cœur, bouleversée par des rencontres d’une grande richesse et frappée par la beauté des paysages.» De retour en Suisse, la voyageuse effectue des piges pour le quotidien 24 heures dans le domaine du théâtre. Et entame en libre un stage pour devenir journaliste professionnelle. Elle travaille ensuite, huit années durant, au service de la culture du quotidien vaudois. Un milieu que cette féministe, qui s’est mariée dans l’intervalle, qualifiera de très «machiste». A la naissance de sa fille, Emmanuelle Ryser décide de faire une pause avant de reprendre une activité dans la communication, engagée par le musée cantonal de zoologie. Une fonction qu’elle occupera une décennie durant. «De belles années. Gamine, j’aimais déjà ce lieu, son odeur de poussière et d’alcool», se souvient la Lausannoise qui se lance à son compte en 2013 et ouvre ses ateliers d’écriture, essentiellement fréquentés par des femmes.
Prolonger le voyage
«Mon but? Offrir un espace de créativité et de partage réservé aux mots. Proposer un stimulus intellectuel et émotionnel. Avec l’idée de ne laisser aucune participante seule face au vertige de la page blanche. Et d’amener chacune à trouver sa propre voie», souligne la passionnée qui propose aussi dans ses prestations la création de carnets de voyages. Les siens, souvent réalisés sur des papiers en accordéon, s’enrichissent d’éléments figuratifs et de collages. A l’heure d’une digitalisation gagnant constamment du terrain, ces supports artisanaux et un rien puérils suspendent le temps. Permettent à Emmanuelle Ryser de s’ancrer dans l’instant présent et de prolonger ces parenthèses particulières de la découverte. «Je commence le carnet avant le départ déjà et le termine au retour. Tout un stratagème qui me donne le sentiment d’avoir effectué un grand voyage, pas de simples vacances», sourit la délicate et sensible auteure, qui met également son talent au service de personnes désireuses de narrer leur vie dans un livre. «Nous définissons l’architecture de l’ouvrage ensemble. Et je retranscris leur histoire dans une version “littéraireˮ tout en respectant leurs mots.» Emmanuelle Ryser explore encore «l’art postal» qui consiste à réaliser et à envoyer des courriers estampillés de faux timbres nés de l’imaginaire de leurs expéditeurs, avec le concours de La Poste, jouant le jeu. Et la créatrice de montrer une série de ces plis d’un autre genre. Avec, à la clef, d’étonnantes et originales «lettres» sur des thèmes donnés, mêlant bricolages et textes.
Connaître son ennemie
Emmanuelle Ryser a franchi cette année un pas supplémentaire en matière d’écriture. Elle signe un premier roman doux-amer, Le cake au citron, paru aux Editions Lemart. Reconnaissance et joie au rendez-vous. L’autofiction en question se consacre à la perte de la mère de l’auteure. La mort... un sujet qui inspire et effraie cette passionnée fascinée par son mystère. Et l’abordant volontiers, parce qu’il «faut connaître son ennemie». Elle n’en garde pas moins la capacité de se laisser enchanter par la vie et cache son pessimisme derrière une énergie et un enthousiasme communicatifs. «Entre crise écologique et crise sanitaire, on va droit dans le mur, mais je continue à m’ouvrir à la beauté – la remarquer, sans se forcer, est source de bonheur – et à m’émerveiller», affirme cette rédactrice polyvalente qui, questionnée sur ses atouts, mentionne la confiance en elle. «C’est mon père, décédé il y a 26 ans, qui me l’a donnée. Une grande chance», précise Emmanuelle Ryser, pour qui écrire est une façon de vivre. Une posture. Et un moyen de se ressourcer, comme les liens sociaux. Irritée par les abus de pouvoir, la lâcheté ou encore l’hypocrisie, la Vaudoise a un remède bien à elle quand tout va mal: la rédaction de listes où elle notera par exemple, dans ce cas-ci: se plonger dans un bain moussant, regarder la flamme d’une bougie danser, prendre le temps de concocter un bon petit plat, etc. Les listes deviennent ainsi, sous la plume d’Emmanuelle Ryser, des créations poétiques nourrissant rêverie ou réflexion. Elle en a ainsi réalisé sur de nombreux thèmes. Sur celle relative aux «choses liées» figure, entre autres propositions, «le beurre et le miel sur la tartine». De quoi goûter pleinement au mot de la fin qu’Emmanuelle Ryser a choisi: «Appréciez le moment présent!»