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L’enfant terrible du syndicalisme

Marcel Däpp pose dans son salon.
© Olivier Vogelsang

Marcel Däpp s’est engagé à la FOBB, au SIB et à Unia. A 91 ans, il n’a rien perdu de sa verve et de son humour.

L’ancien contremaître, membre des retraités d’Unia Vaud, se souvient de ses années de luttes syndicales.

«Le progrès, je ne peux pas me battre contre. Le téléphone, c’est bien joli, mais cela ne remplace pas le vrai contact humain.» A 91 ans, Marcel Däpp (qui préfère son nom avec le tréma originel) garde son franc-parler. C’est par une carte postale, une photo de coquelicots rouges – «couleur de la lutte syndicale» –, qu’il a invectivé les journalistes de L’Evénement syndical. «Devrais-je lancer une occupation des bureaux? Est-ce mes 70 ans de syndicat que vous récompensez en me supprimant la lecture de L’Evénement syndical? En effet, depuis deux mois en tout cas, je ne reçois plus notre journal! Cela serait gentil si je pouvais en redevenir lecteur», écrit-il avec humour. Au téléphone, on lui explique la longue pause estivale, le changement de rythme de parution, et on lui propose une rencontre chez lui à Lausanne.

Sa liberté de ton et ses engagements, en tant que délégué, lui ont valu de nombreux échanges musclés avec les patrons, mais aussi au sein du syndicat. Selon lui, Unia ne soutient plus assez les retraités. «C’était mieux avant», souligne-t-il, en souriant, conscient de son petit côté «vieux jeu».

Militant dès l’enfance 

Marcel Däpp retrace son long parcours, louvoyant entre les époques dans un grand tableau impressionniste. Le 25 avril 1933, il pousse son premier cri, qui ne sera pas le dernier. Enfant déjà, il s’élève contre les injustices, ose dire ce qu’il pense haut et fort quitte à se ramasser «des raclées mémorables» de la part de profs ou de son père. C’est ce dernier, menuisier-charpentier, qui l’emmène, alors qu’il n’a que 6 ou 7 ans, à une réunion du syndicat FOBB dans le canton de Vaud. 

Le jeune Marcel rêve de devenir matelot, de sillonner les mers et les horizons lointains. Mais à son grand regret, il rate son brevet de marin à Bâle, la faute à quelques lacunes en allemand. N’empêche, il s’attarde en Suisse alémanique, où il travaille quelques années dans l’hôtellerie-restauration, et rencontre sa future épouse. Il se marie en... Marcel Däpp réfléchit. Son épouse lève le nez de son journal pour répondre: «1957.» Trois ans plus tôt, il était de retour dans son canton natal, travaillait comme manœuvre – avant de devenir maçon, puis contremaître – et adhérait au syndicat: «On m’a dit que je devais entrer dans la FOBB, et prendre aussi ma carte du Parti ouvrier populaire. On coinçait davantage les gens que maintenant…» 

Le militant se souvient des réunions hebdomadaires entre maçons à la Maison du peuple, des nombreux week-ends de séminaire dans un chalet – générateurs de solidarité, malgré des débats parfois orageux –, des fêtes de Noël qui réunissaient les travailleurs et les familles, ou encore des cortèges du 1er Mai forts de plusieurs milliers de personnes. 

Un autre temps 

«Ce n’est plus comme ça. Les métiers de la construction ne sont plus les mêmes non plus. On travaillait avec la petite bétonnière de 200 litres qu’on remplissait à la pelle, le ciment dans des caissettes en bois… Au fil du temps, tout s’est automatisé et spécialisé. Le rythme s’est accéléré aussi. On a eu de la chance. Si on décidait de faire une broche le vendredi à midi, on rallongeait la pause. On pouvait boire encore du vin. Bon… c’est sûr qu’aujourd’hui avec les machines faut faire plus attention. Mais si j’ai vu des accidents, ce n’était jamais à cause de l’alcool.»

Marcel Däpp se souvient aussi de la combativité des ouvriers immigrés, à commencer par les Italiens qui ont partagé leur bagage syndical et politique et ont permis de peser face au patronat. «A cette époque, les maçons discutaient directement avec les patrons. Maintenant, ce sont des fonctionnaires qui s’entretiennent avec des fonctionnaires ou, dit autrement, des secrétaires qui parlent à d’autres secrétaires.»

Le militant de toujours souligne: «J’ai été licencié quelques fois à cause de mon activité syndicale.» Si la fusion entre la FOBB et la FTMH est pour lui encore une erreur, il est resté très engagé au sein d’Unia dans le groupe des retraités.

Marcel Däpp n’a pas bénéficié de la retraite à 60 ans, et a même accepté des remplacements comme contremaître jusqu’à l’aube de ses 70 ans. Il ajoute: «J’aime passer devant nos œuvres, comme le bâtiment du CHUV par exemple. Si je fais le bilan de ma vie, j’ai bien réussi. Je me suis beaucoup battu pour de meilleures conditions de travail, pour mes collègues, pour ma profession… et je ne regrette rien.»