Les imprimeurs de Tamedia manifestent leur colère à Bussigny
Alors que le centre d’impression doit fermer en mars prochain, laissant 63 personnes sur le carreau, les propositions du personnel pour sauver le site ont été balayées.
La temporalité est différente, mais le combat est le même. Un peu plus de deux semaines après le débrayage des rédactions romandes de Tamedia – auquel ils avaient apporté leur soutien – c’est au tour des imprimeurs de Bussigny de manifester publiquement leur colère face à la restructuration sans précédent annoncée par l’éditeur zurichois. Et ils ont de quoi être fâchés, puisque le centre d’impression de Lausanne (CIL) est censé mettre la clé sous la porte en mars prochain.
En tout, ce sont 63 personnes qui perdront leur travail. Y compris des cadres qu’on oblige à faire le sale boulot en licenciant eux-mêmes leurs propres subordonnés, avant de devoir eux aussi prendre la porte… Les premières lettres de licenciement sont déjà parties la semaine dernière.
Ce lundi 30 septembre, en fin de matinée, une centaine de personnes sont donc venues à Bussigny pour dire toute l’absurdité de fermer la plus grande rotative de Suisse romande, où sont imprimés les journaux de Tamedia, dont 24 Heures, la Tribune de Genève et le Matin Dimanche, mais aussi ceux de clients externes, dont Le Temps. Au terme d’un processus de consultation mené à bride abattue – à la base, la direction de Tamedia n’avait laissé que deux semaines pour cela, avant de prolonger légèrement le délai – le personnel du CIL, soutenu par Syndicom, a soumis toute une série de propositions pour perpétuer l’activité du site. En vain. Elles ont été balayées et la fermeture confirmée.
Une imprimerie rentable
Dominique Gigon, secrétaire régional chez Syndicom, explique que le syndicat a effectué une analyse financière, selon laquelle le centre serait tout à fait rentable si l’éditeur zurichois n’avait pas décidé de le sacrifier: «La seule raison pour laquelle le CIL est en déficit, c’est parce qu’on a délocalisé une partie de sa production à Berne et à Zurich. Pourtant, des trois centres d’impression, celui de Bussigny est le plus productif.»
Pour rappel, l’imprimerie de Zurich sera elle aussi fermée, en 2026, et il ne restera que celle de Berne. «Je doute qu’ils arrivent à y imprimer tous les journaux qui étaient réalisés sur les trois sites. A terme, cela signifie sûrement la disparition de la presse sur papier. Quelle autre entreprise renoncerait à ses activités et à ses clients alors qu’elle peut encore en tirer des bénéfices? Tamedia se sabote elle-même.»
Mais les rotativistes sont déterminés à se battre jusqu’au bout pour sauver leur outil de travail. «Bien avant cette décision brutale, nous avons déjà payé très cher cet acharnement à détruire le paysage médiatique suisse et surtout romand, dénonce Yann Gindroz, président de la commission du personnel du CIL. Avant que Tamedia ne rachète les journaux et l’imprimerie d’Edipresse en 2011, nous étions plus de 300 personnes à travailler à Bussigny. Puis, les effectifs ont été constamment réduits et nos conditions de travail se sont dégradées car les collègues licenciés n’étaient pas remplacés. Le temps de travail a augmenté et les cadences sont devenues de plus en plus infernales, alors que les salaires diminuaient. Beaucoup d’entre nous ont des problèmes de santé à cause du travail de nuit sans alternance.»
D’autres syndicats participent à la manifestation, pour soutenir le personnel du CIL et l’encourager à poursuivre la lutte. Pierre-Yves Maillard, président de l’Union syndicale suisse, plaide pour la préservation d’un précieux savoir-faire, comparant l’attitude de Tamedia, qui aligne les plans sociaux tous les deux ans ou moins, à de la maltraitance. Arnaud Bouverat, secrétaire syndical d’Unia Vaud accuse la direction de ne pas respecter, voire de bafouer le droit de consultation des employés, et de «ne pas faire grand cas de vos propositions créatives qui montrent qu’il y a un potentiel pour ce centre d’impression.»
Pillage des savoir-faire
Le Parti socialiste vaudois et le Parti ouvrier populaire (POP) sont également présents. «Il y a en a marre de voir cette saignée des emplois dans la région et ce pillage des savoir-faire! tonne Djaouad Souyad, vice-président du POP, en référence aux fermetures ces derniers temps des usines de Vetropack et de Micarna. L’heure est grave, mais toute la population est derrière vous.»
Stéphanie Vonarburg, vice-présidente de Syndicom, rappelle que la holding TX Group, à laquelle appartient Tamedia, est le groupe de presse le plus riche de Suisse, et rémunère grassement ses actionnaires. Selon elle, des actions de protestation sont aussi en préparation en Suisse alémanique. Joëlle Racine, secrétaire syndicale en charge de l’industrie graphique, ne décolère pas: «La fermeture du CIL a été annoncée au personnel à 3 heures du matin, à la fin du travail, et par un avatar. C’est un scandale! La plupart des employés ont plus de 50 ans et au moins vingt ans d’ancienneté. Il leur sera très difficile de retrouver du travail ailleurs.»