Les journaux de Tamedia fusionnent
Le groupe de presse zurichois poursuit sa restructuration au rouleau compresseur. Les rédactions romandes ont débrayé pour protester contre les nombreux licenciements annoncés.
Quand y’en a plus, y’en a encore! Chez Tamedia, on n’est jamais à court de mauvaises nouvelles. Le groupe de presse zurichois n’avait pas encore tout dévoilé de la restructuration la plus massive de son histoire, qui a déclenché un véritable séisme dans le monde des médias suisses, notamment romands.
Trois semaines après avoir annoncé la suppression de centaines de postes et la fermeture de deux de ses trois imprimeries en Suisse, et quelques jours après le débrayage qui a eu lieu à Genève et à Lausanne, voilà qu’il a lâché une nouvelle bombe ce mardi 17 septembre: une série de fusions de ses rédactions, tant en Suisse romande qu’en Suisse alémanique.
Unique rédaction romande
On savait déjà que Tamedia avait décidé de se concentrer sur les canaux numériques, et de miser pour cela sur quatre titres phares: le Tages-Anzeiger, la Berner Zeitung, la Basler Zeitung et 24 Heures. On a donc appris cette semaine que cela impliquait la fusion de ses autres rédactions avec ces quatre-là.
En clair, de ce côté-ci de la Sarine, les équipes de 24 Heures, de la Tribune de Genève et du Matin Dimanche n'en feront plus qu'une, qui sera placée sous les ordres de l’actuel rédacteur en chef de 24 Heures, Claude Ansermoz. Quant au magazine hebdomadaire Femina, il passera à une parution mensuelle. La même logique s’applique à Zurich et à Berne, avec l’intégration des journaux régionaux aux rédactions du Tages Anzeiger et de la Berner Zeitung.
La «bonne» nouvelle, c’est qu’au lieu des 90 postes en équivalent plein temps qui devaient être supprimés dans les rédactions romandes et alémaniques – en plus des 200 emplois qui passent à la trappe dans les imprimeries de Bussigny et de Zurich –, il n’y en aura finalement «que» 55. Dont 25 entre Lausanne et Genève, ce qui concerne 40 personnes touchées par des licenciements ou des réductions imposées du taux d'activité. Cela représente une personne sur cinq en Suisse romande. En outre, vingt collaborateurs externes vont aussi perdre leur emploi.
«Droit dans le mur»
Réunis en assemblée générale le jour même, les membres des rédactions romandes ont exprimé à l'unanimité leur refus de cette «casse sociale», dénonçant un «flou absolu» sur la stratégie du groupe. Dans un communiqué de presse, ils déplorent le fait que la Suisse romande soit perçue comme une région unique et uniforme, et que les identités cantonales soient négligées. «Alors qu'il faudrait renforcer l'ancrage local des titres, c'est tout l'inverse qui est fait par la direction de Tamedia. [...] Cette pseudo-stratégie nous mène droit dans le mur.»
Cette annonce semble par ailleurs confirmer les craintes quant à l’avenir de la Tribune de Genève, qui serait à terme réduite à un simple onglet sur le site de 24 Heures. Les collaboratrices et collaborateurs du quotidien genevois ne croient pas aux dénégations de la CEO de Tamedia, Jessica Peppel-Schulz, qui a répété dans tous les médias que la Julie continuerait d'exister tant sur le papier que sur le web.
«Les coupes prévues dans les effectifs ne permettront pas de continuer à faire un journal, a lancé le président de la Société des rédacteurs et du personnel de la Tribune de Genève, Rocco Zaccheo, lors du débrayage du 12 septembre. Nous savons que ce plan d’économies scélérat signe la mort annoncée de la Tribune de Genève.» Ce débrayage, qui a duré une heure, a réuni une centaine de personnes entre Lausanne et Genève. Outre le personnel des journaux concernés, des représentants des milieux politiques et des syndicats étaient présents. A Lausanne, une délégation des employés de l’imprimerie de Bussigny a aussi fait le déplacement, un soutien très apprécié.
Deux lieux, mais une même revendication: que la direction suspende le processus en cours pour s’asseoir à la table des négociations avec les délégués du personnel, qui selon la Convention collective de la presse romande, doivent être consultés avant toute restructuration d’ampleur. Or, cela n’a pas été le cas.
Soutien politique et syndical
Des représentants de plusieurs syndicats – dont Arnaud Bouverat, secrétaire régional d’Unia Vaud – sont venus apporter leur soutien aux employés romands de Tamedia, les appelant à lutter collectivement et solidairement contre cette restructuration.
A Lausanne, la présence, lors du débrayage, de la conseillère d’Etat en charge de l’Economie, Isabelle Moret, et de la Municipalité lausannoise presque complète, a donné «un message fort», s'est félicité Erwan Le Bec, président de la Société des collaborateurs de 24 Heures. «Cette fois, on sent une réelle inquiétude des politiques. De plus, le mouvement a été remarquablement suivi dans les rédactions. Cela prouve que les collègues ont encore une grande capacité à se mobiliser. Tamedia saucissonne ses mesures d’économie pour nous diviser, mais ça ne marchera pas.»
On dégraisse aussi dans les médias publics
Il ne fait pas bon être journaliste par les temps qui courent… Le jour même où les rédactions romandes de Tamedia débrayaient, la Radio Télévision Suisse (RTS) annonçait à son tour la suppression d'environ 55 postes (équivalent plein temps) en 2025 en Suisse romande. Le média public, qui compte économiser 10 millions de francs par an, entre autres avec ces licenciements, justifie ces mesures par la baisse de la part de redevance perçue par la SSR et par le recul des recettes commerciales.
La direction de la RTS estime que grâce aux fluctuations naturelles, telles que les départs à la retraite ou les retraites anticipées, le nombre de personnes licenciées devrait être inférieur à trente. Ces coupes suivent celles qui avaient déjà été effectuées ces dernières années. De plus, la RTS annonce qu'elles ne seront pas les dernières et qu'un plan d'économies plus important sera également réalisé en 2026.
«Dans une communication floue, la direction annonce des coupes qui frôlent (à dessin?) le quota pour ne pas impliquer de période de consultation obligatoire du personnel», a dénoncé Impressum, le syndicat des journalistes suisses dans un communiqué. Le Syndicat suisse des médias (SSM) s'est dit «fortement préoccupé par les conséquences de ce nouveau plan d’économie» qui intervient dans un climat déjà détérioré.
Dans la foulée, la Radio télévision suisse italienne (RSI) a fait savoir cinq jours plus tard qu'elle allait supprimer 15 postes. En Suisse allemande, la SRF a de son côté annoncé 70 suppressions d'emplois en juin dernier.