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Les livres, histoires d’une vie

femme
© Thierry Porchet

D’un naturel optimiste, Françoise Berclaz a joué l’audace et réalisé son rêve, à la tête d’une librairie indépendante depuis quatre décennies.

Les romans sont autant de miroirs de l’âme pour Françoise Berclaz qui travaille comme libraire depuis quarante ans. Une passion qui n’a pas pris une ride

Françoise Berclaz croit en une forme de destinée. Et la sienne, estime-t-elle, l’a conduite à devenir libraire. Avec, au fil de son parcours, des circonstances et des rencontres qui ont servi ses desseins, des planètes parfaitement alignées... Fille de l’écrivain Maurice Zermatten, la Valaisanne grandit dans un milieu «baignant dans les livres». «Il y en avait partout dans la maison, de tous les genres, de toutes les époques, de toutes les cultures», se souvient la responsable de la librairie sédunoise La Liseuse, qui, à 14 ans, découvre à la bibliothèque cantonale La lumière des justes, d’Henri Troyat. Une saga qui aiguise son goût de la lecture. «Le début de ma dépendance», sourit la passionnée. A 17 ans, des propos tenus par l’historien d’art et conservateur du musée du Louvres René Huyghe opèrent comme un déclic. «Mon père l’avait invité à déjeuner. Il a raconté que sa fille travaillait comme libraire. Et qu’elle était très heureuse. J’ai décidé de m’orienter, moi aussi, vers ce métier, même si j’ignorais comment procéder.» Licenciée en Lettres, Françoise Berclaz débute sans enthousiasme sa carrière professionnelle dans l’enseignement avant de frapper, quelques mois plus tard, à la porte d’un bouquiniste installé dans la capitale valaisanne.

Audace payante

«Je lui ai demandé de m’engager. Il m’a répondu: “Pourquoi pas.” Et m’a appris le métier.» La jeune femme d’alors travaille quatre ans dans cette structure avant de racheter, à 29 ans, une librairie. «J’étais culottée, mais j’avais mon enthousiasme pour moi», relate Françoise Berclaz, se rappelant encore de la date d’ouverture de son négoce, le 6 mai 1983. Au fil des années, cet espace ne suffit plus à la passion dévorante de l’entrepreneuse, craignant que certains ouvrages ne lui manquent faute de place. Une nouvelle opportunité, «comme dans un rêve», se présente élargissant l’horizon de ses ambitions. «Un homme m’a interpellée dans la rue et m’a proposé un local, juste en face de mon commerce. Ce lieu accueillait auparavant une épicerie de 300 m2. J’ai eu un véritable coup de foudre. Et signé l’acte de vente sans même en discuter avec mon entourage.» Une prise de risque qui fait aujourd’hui encore sourire l’audacieuse. «Heureusement que je n’en avais parlé à presque personne. On m’aurait assurément dissuadée. Je suis une des seules libraires indépendantes à avoir acquis un supermarché», lance, amusée, la propriétaire. La Liseuse ouvre ses portes en 2001. Depuis, aux commandes de ce paquebot employant aujourd’hui six à huit personnes, Françoise Berclaz a connu des hauts et des bas. Mais a toujours su puiser dans son amour de la littérature et des échanges l’énergie nécessaire au maintien du cap.

Curiosité constamment titillée

La libraire s’est notamment battue avec force pour un prix unique du livre face à l’arrivée des grandes chaînes. Une mobilisation qui a dévouché sur l’adoption par le Parlement, en 2011, d’une loi allant dans ce sens. Ce texte sera toutefois combattu par référendum. «Notre démarche n’a pas été inutile pour autant. Nous avons mené une importante campagne de sensibilisation à la problématique. Nombre de lecteurs ont repris le chemin de nos échoppes», affirme celle qui aura incarné la lutte pour la préservation des librairies indépendantes. La passeuse de culture a aussi dû s’adapter à la concurrence des achats en ligne, au livre numérique ou encore, plus récemment, aux conséquences du Covid. Pas de quoi décourager cette femme volontaire, d’un naturel optimiste, gaie et un rien soupe au lait, «mais jamais rancunière». «J’exerce le plus beau métier du monde. Une profession propice aux rencontres et au partage, qui nourrit constamment la curiosité. Et incite à la modestie tant il y a toujours à découvrir.» Particulièrement férue de romans, Françoise Berclaz, aussi auteure d’une chronique pour une radio locale, en a lu un nombre incalculable. «A travers ces récits, on perce toutes les facettes de l’âme humaine, sa beauté, sa noirceur, les qualités, fantasmes des êtres... Les livres constituent une véritable école de vie. Grâce à eux, on voyage, on se familiarise avec des cultures, on peut apprendre une langue, etc.», s’enthousiasme l’infatigable lectrice. Qui, lorsqu’elle est embarquée dans une histoire captivante soutenue par une belle écriture, peut traverser toute une gamme d’émotions entre rires, pleurs, peur... et rester longtemps «habitée» par les personnages. «Certains ouvrages débutent quand on les termine. Pas toujours simple de quitter une ambiance. Je ressens parfois le besoin de marquer un temps d’arrêt entre deux bouquins.»

Heure bleue

Quand Françoise Berclaz ne s’évade pas dans des romans ou ne danse pas dans sa cuisine – une activité qui, avec la gym douce, la séduit – elle passe volontiers du temps avec ses amis et dans la nature. Des moments qui la ressourcent, elle qui affirme trouver son bonheur dans les «joies simples». Plaisir aussi au rendez-vous lors de ses escapades en Italie, un de ses pays de prédilection, appréciée pour son ambiance, sa cuisine, sa langue, ses artistes comme Caravage, etc. Dans un tout autre registre, la Sédunoise précise aimer les renards, les cactus et les bonzaïs, «pareils à des sculptures», et la couleur azur dans toutes ses nuances. Une teinte qui l’émeut particulièrement à «l’heure bleue», juste à la fin de la nuit et avant que l’aube se lève. «Un moment mystérieux, après l’obscurité, où tout semble de nouveau possible.» Si les années n’ont guère marqué Françoise Berclaz, elle confie néanmoins sa peur de la maladie et son inquiétude face au temps qui s’écoule. Pas question pour autant d’envisager prendre sa retraite. «J’ai dû parfois serrer les dents pour mener la librairie, mais je garde mon enthousiasme intact. Je rêve que La Liseuse perdure et reste indépendante. Les livres, c’est le monde; ce lieu, toute ma vie.» Et un port d’attache pour tous les amoureux de la lecture sensibles à une qualité d’accueil et friands de conseils avisés...