Témoignages
Jérôme, 32 ans, grutier
«J’ai commencé dans la construction à l’âge de 16 ans par un apprentissage de maçon. Les revendications de la SSE sont inacceptables. En particulier les 300 heures variables et les menaces sur la retraite anticipée. Les conditions de travail ne cessent de se dégrader. Le salaire ne suit pas les hausses du coût de la vie. Je suis prêt à continuer le mouvement si les autres suivent aussi.»
André, 59 ans, chef d’équipe
«Ça fait des années qu’on n’a pas été augmentés. Les salaires doivent impérativement être majorés. On a plein de boulot mais les patrons prétendent qu’ils ne font pas de bénéfices. Vraiment? On ne voit jamais les comptes. Heureusement qu’il existe des discounters où s’approvisionnent les maçons. Les patrons nous demandent d’aller toujours plus vite. D’abattre plus de travail. Aujourd’hui, on effectue en un demi-jour un travail qui nous demandait le triple du temps. Avec les dangers pour la sécurité et la santé inhérents. Parfois, on n’a même pas le temps d’installer les protections. On en a l’obligation, mais comment réaliser à deux personnes un job que l’on faisait avant à quatre? Quand j’ai débuté dans le domaine, c’était réglo. Et moi, je suis chef d’équipe. Imaginez les autres... Il y a aussi aujourd’hui beaucoup de temporaires qui ne sont pas du métier. On doit rattraper leurs lacunes. Encore ça sur notre dos... Il n’y aura bientôt plus de maçons. Les patrons ne les forment plus. Juste des manœuvres. Et des anciens qui font le job, qui ont de l’expérience, mais qu’on paie comme s’ils n’en avaient pas. Si je devais refaire ce métier, je me mettrais à mon compte. Je regrette de n’avoir pas eu le réflexe. Je déconseille à mon petit-fils de suivre ma voie.»
Silva, 49 ans, temporaire
«Je travaille comme temporaire depuis sept ans. Je suis presque tout le temps occupé, sauf durant l’hiver. J’aimerais être engagé en fixe. Mais c’est très difficile aujourd’hui. La revendication la plus importante? Les salaires, mais aussi la retraite anticipée.»
Yvan, 30 ans, ferrailleur
«Nos demandes sont justes et importantes. On fait un travail pénible. La retraite anticipée est indispensable. Imaginez une personne de 65 ans sur les échafaudages... Impensable. Je viens d’Espagne et travaille depuis deux ans dans la construction. J’ai appris le métier sur le tas. Je n’aime pas ce job. Mais je n’ai rien trouvé dans mon domaine, l’administratif.»
Antonio, 60 ans, maçon
«Ça fait 45 ans que j’exerce ce métier, dont 30 ans ici – je viens du Portugal. Je gagne 6100 francs brut. Mais je n’arrive plus à tourner suite aux impôts sur la maison dans mon pays et le coût de la vie en Suisse qui ne cesse d’augmenter. Si les retraites baissent, je n’aurai d’autre choix que de rentrer, mais ma famille ne souhaite pas partir. Le vrai problème, c’est le salaire. Cette fois-ci, la situation est vraiment grave. Et sans Convention, on assistera à une guerre des prix.»
Victor, 55 ans, grutier
«Je suis parti avec la clef de la grue en criant: “Ciao, contremaître.” Elle se trouve dans ma poche. Ils devront se servir d’une brouette... Beaucoup d’ouvriers n’ont pas osé venir. Ils ont reçu une circulaire affirmant que la grève était interdite. Et des menaces de licenciement. Il nous faut pourtant nous battre pour maintenir la Convention. Je travaille dans la construction depuis 25 ans. J’aime mon métier, même s’il est stressant. Le grutier est un peu comme un chef d’orchestre. S’il ne joue pas bien, le son ne sera pas parfait. Mais si on a constamment des pressions, on bosse de manière moins efficace. Des changements au cours de ces dernières décennies? Oui, bien sûr: du travail au noir, des ouvriers menacés d’être congédiés s’ils ne travaillaient pas plus, des personnes sous-payées, des salaires en retard... Je suis très pessimiste en ce qui concerne l’évolution du mouvement ouvrier en Occident et en Amérique latine. On va droit à l’abattoir. Si la Convention devait être cassée, j’aimerais alors que la Suisse entière soit paralysée. Que tous les salariés se solidarisent avec le monde ouvrier. Quant à la retraite à 60 ans, on la mérite. On fait un job très pénible. Par tous les temps. Un des pires boulots...»
Rodriguez, 57 ans, machiniste, maçon, goudron
«C’est regrettable de n’avoir d’autre choix que de faire grève. Ce n’est pas dans notre sang. Je n’ai rien contre mon patron, mais c’est important de disposer d’une bonne Convention. Ouvriers et entrepreneurs veulent tous deux la paix du travail. A ce stade, on peut s’attendre à tout. Blocage complet? Nouvelles mobilisations au printemps? On verra. En ce qui concerne la retraite à 60 ans, je n’envisage pas d’arrêter à cet âge si je suis en bonne santé. Mais je connais beaucoup de personnes qui sont décédées peu après ce cap. La pluie, le froid, la canicule... On travaille dans des conditions difficiles... Question salaire, je touche 5200 francs brut. La demande d’augmentation est justifiée. Avec le revenu de mon épouse, on s’en sort tout juste. La forte mobilisation est en tout cas bien la preuve des problèmes.»
Photos Thierry Porchet