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Les retraités romands d’Unia: des militants actifs qui souhaitent être reconnus

Denis Berger et John Amos regrettent que leur syndicat soit devenu un «mastodonte», ils plaident pour plus de créativité et une participation accrue des militants.
© Thierry Porchet

Denis Berger et John Amos regrettent que leur syndicat soit devenu un «mastodonte», ils plaident pour plus de créativité et une participation accrue des militants.

Président et vice-président du comité romand des retraités du syndicat, John Amos et Denis Berger prennent la parole pour faire connaître leur instance et demander qu’elle ait une existence statutaire

Les retraités d’Unia ne gardent pas leur langue dans leur poche. Ils sont une force de propositions et de décisions au sein du syndicat à travers leurs groupes d’intérêts (GI). En Suisse romande, ils s’organisent dans un comité qui a souhaité, l’automne dernier, se faire mieux connaître à travers L’Evénement syndical. Le comité romand a ainsi mandaté leur praesidium pour cela. La rencontre avec le journal a eu lieu en décembre à Neuchâtel. C’est là que milite le président du comité romand, John Amos, qui est également à la tête du groupe d’intérêts des retraités de la région Unia Neuchâtel. C’est là aussi que nous a rejoints Denis Berger, venu de Delémont, où il a présidé jusqu’à fin 2023 le groupe d’intérêts de Transjurane. Interview.

Pourquoi souhaitiez-vous cet entretien avec «L’Evénement syndical»?
John: D’abord parce que notre journal syndical est notre média privilégié et que c’est le meilleur moyen de faire connaître le comité romand. Nous souhaitons aussi interpeller par ce biais nos collègues suisses alémaniques et les responsables du GI des retraités au niveau national.

Qui est donc ce comité romand?
John: Le comité romand des retraités existe depuis la fusion des syndicats qui ont créé Unia, à la fin de 2004. C’est une émanation du Syndicat industrie et bâtiment (SIB) qui permettait aux syndicalistes de se réunir pour échanger et s’informer des activités des six régions francophones: Genève, Fribourg, Valais, Transjurane, Vaud et Neuchâtel.
Denis: Depuis plus de vingt ans, le comité romand a œuvré sans relâche pour proposer à l’ensemble du syndicat Unia des solutions aux problèmes que rencontrent toutes les travailleuses et tous les travailleurs dans le monde du travail.

Qui représente-t-il et comment fonctionne-t-il?
John: Il représente plus de 5000 membres retraités d’Unia à travers la Suisse romande sur un total de plus de 16000 dans le pays. Chaque région romande délègue de 3 à 5 personnes par séance. Le comité se réunit 3 à 4 fois par année. Nous sommes en moyenne entre 25 et 30 participants, souvent des militants de base, mais également d’anciens secrétaires syndicaux.
Denis: Depuis une année, le comité fonctionne de manière beaucoup plus sérieuse, et quand c’est plus sérieux, ça chicane un peu. Nous avons des débats, des accords, des désaccords.
John: Parfois, on tape du poing sur la table, mais toujours dans le respect et l’écoute des autres. Notre comité est un ensemble d’intelligences, d’expériences diverses et de régions spécifiques. Nous privilégions aussi les moments de convivialité, autour d’un repas après nos séances.

Quelles sont les préoccupations actuelles du comité romand?
John: Nous existons depuis presque vingt ans, nous avons une reconnaissance de fait par les régions et la centrale d’Unia qui couvrent nos déplacements ou mettent à disposition un verbaliste pour nos séances. Mais le comité romand des retraités n’est pas reconnu par des statuts. Ce qui permet que, sur certains sujets, on nous dise que nous ne sommes pas une instance du syndicat et que nous n’avons pas à nous prononcer.
Denis: Nous lançons un appel aux responsables d’Unia pour que notre comité ait une existence formelle dans les statuts. Le comité directeur doit prendre ses responsabilités et valider cela.

Vous avez été élus à la présidence et à la vice-présidence pour un mandat de deux ans, débuté le 1er janvier 2023. Quel bilan tirez-vous de votre première année d’exercice?
John et Denis: Nous avons mis l’accent sur l’échange d’informations intercantonales, sur les rencontres et la convivialité. Moments importants auxquels nous tenons beaucoup. Nous avons aussi soutenu notre journal à travers une résolution. On ne pouvait accepter qu’il soit mis en danger. Ce support physique est essentiel pour nous, les retraités. C’est un support d’informations, de débats. C’est aussi un élément majeur pour que les gens restent dans l’organisation syndicale. Nous aurions souhaité maintenir l’hebdomadaire et ses 39 numéros par année, mais on ne pouvait faire fi des questions financières. Quand on perd 50000 membres en vingt ans… Il fallait trouver un compromis. Le débat et notre résolution sur L’Evénement syndical ont montré qu’on tenait à un rythme bimensuel. Comme autre démarche, nous avons demandé des règles communes pour le financement des groupes d’intérêt des retraités, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Vous avez également élaboré des projets concrets…
John et Denis
: Oui, notamment autour des discriminations exogènes et endogènes des retraités, que ce soit dans la vie de tous les jours, mais aussi au sein d’Unia. Ce débat nous a rapprochés de la Haute école de travail social et de la santé de Lausanne avec qui nous allons développer un travail de recherche sur la fracture numérique. Après cette discussion, nous avons aussi mis sur pied, avec Movendo, un cours pour les seniors qui peinent à utiliser un smartphone. Nous avons encore préparé un document, basé sur la charte, les statuts et les règlements d’Unia, présentant aux membres les avantages de rester syndiqués une fois à la retraite et les motiver à s’engager dans les groupes d’intérêts des retraités.

Vous parliez de discrimination au sein d’Unia?
John
: Nous avons constaté une difficulté à nous faire entendre, car notre organisme est mal reconnu. La perception de la place du groupe lui-même est difficile. De plus, la hiérarchie est pesante, il y a des lenteurs, et c’est peu dire.
Denis: Un exemple, lors de la manifestation des 75 ans de l’AVS à Berne en septembre, nous souhaitions savoir quelle serait la communication d’Unia vis-à-vis des médias. Rien n’était prévu. On nous a renvoyés vers Syndicom qui allait faire le nécessaire. Autre exemple: nous n’avons pas pu organiser une rencontre pour les retraités de Suisse romande avec l’économiste d’Unia, au motif que la conférence nationale des délégués allait l’inviter et qu’il ne fallait pas faire doublon. Or, nous aurions touché beaucoup plus de monde.
John: L’info est un pouvoir. Ne pas avoir d’info est un désespoir…

Pourquoi est-il important qu’une fois à la retraite, les membres restent syndiqués?
John
: Parce qu’ils peuvent bénéficier de diverses prestations, de conseils sur les assurances sociales, de conseils juridiques, des chèques Reka, mais aussi de soutien. Et d’une vision sociale et solidaire de la société dont la personne est au centre. C’est une confiance que l’entraide peut être plus forte que l’individuel et que la loi du talion.

Quelles sont vos perspectives pour 2024?
John
: Nous allons poursuivre les projets entamés en 2023 sur la fracture numérique. Et nous profiler en vue des votations, en particulier celle du 3 mars sur la 13e rente AVS, puis celle sur LPP 21. Nous devrons également trouver une solution pour la vice-présidence, et souhaitons organiser une rencontre intergénérationnelle sur la base des futurs résultats d’une enquête sur les jeunes.


«Ils devraient dire: ce que vous avez fait, c’est classe!»

Entre situation actuelle et avenir, John Amos et Denis Berger partagent leurs propositions pour qu’Unia devienne un syndicat fort

Comment voyez-vous l’avenir du syndicat?
John
: Notre charte d’Unia défend un monde plus juste centré autour de la société et de ses besoins et non plus autour du capital. Elle dit qu’Unia est une organisation démocratique, où ses membres décident des questions politiques et stratégiques importantes. Il faut remettre cela au cœur du syndicat. On ne va pas faire la révolution avec des personnes âgées!
Denis: On le sait, nous, les retraités, nous dérangeons. Pendant quelques années, il n’y avait pas de revendications dans le comité romand, tout allait bien dans le meilleur des mondes. Mais depuis que nous avons repris le praesidium, les discussions sont sérieuses, sur des problématiques concrètes et nous sommes devenus un caillou dans la chaussure… C’est dommage, car cela pourrait être un atout.
John: II n’y a plus de dynamisme, de créativité dans notre syndicat. C’est devenu un mastodonte. Et nous sommes fatigués de tous les blocages. Il y a beaucoup d’angoisse, de craintes, de démobilisation chez les militants. Quand tu ne te sens pas entendu, tu peux perdre le sens de ton activité et disparaître. C’est un risque énorme pour notre organisation. Même si nous ne payons que 10,60 francs de cotisation.
Denis: Unia doit se moderniser. Cette modernisation doit venir d’une approche pragmatique, ancrée dans le monde réel. Les actions des militants doivent être valorisées par nos dirigeants. Ils devraient dire: ce que vous avez fait, c’est classe. Si on privilégie le dialogue à tous les niveaux, on arrivera à des solutions. Il faut que les directions, nationales comme locales, favorisent et incitent au dialogue.
John: Aujourd’hui, on nous demande de passer sous les fourches caudines d’une hiérarchie extrêmement forte. C’est un type directif et autoritaire. On nous écoute, mais on ne nous entend pas. On est dans une ultracommunication, mais le syndicat n’est plus sur le terrain. Lorsque j’étais secrétaire syndical, on allait chercher les gens. Ça ne se fait plus.
Denis: Le syndicat est vieillot. Nous aurions besoin d’une nouvelle dynamique, d’un leader charismatique auquel on peut se référer.
John: On a besoin d’un syndicat qui défende les travailleurs et les retraités. On n’a pas besoin d’un syndicat politique.

Quelles seraient les pistes pour moderniser Unia?
Denis
: Une meilleure communication entre nous, à tous les échelons, serait une première phase de redressement. Il serait aussi primordial de faire confiance une fois pour toutes aux militants qui exercent un mandat. Si une personne ou plusieurs se sentent en harmonie avec une orientation, chacun sera à même d’honorer ses responsabilités, avec un sentiment de reconnaissance dans son engagement.
John: Il faut une communication moderne, qui parle plus aux jeunes. Mais pas dans l’excès, car trop de communication tue la communication. Comment est-il possible que 2,3 millions de personnes sont couvertes par une CCT et que l’on perd des membres alors qu’on a développé le marketing?
Denis: La direction professionnelle a une grande responsabilité pour redresser Unia et le moderniser. Un fil rouge est nécessaire, comme des stratégies d’action à la hauteur des enjeux. Cela pour que les syndicalistes puissent exercer leur fonction première dans un contexte qui s’avère de plus en plus complexe et difficile pour eux.

Comment recruter des jeunes?
Denis
: Il faut d’abord créer une relation de confiance, sur les lieux de travail notamment. Et leur montrer ce que le syndicat a pu faire pour nous.
John: Il y a trois voies possibles: réinvestir les écoles professionnelles pour expliquer ce qu’est une CCT, il y a le compagnonnage ou le parrainage tel que cela existe dans certaines professions, et enfin la création d’une école de vie offrant aux jeunes syndiqués d’autres activités, sportives par exemple. Et par laquelle ils peuvent associer leurs amis. Le syndicat c’est la vie, ce n’est pas un support audiovisuel!
Denis: On peut aussi créer une chanson du syndicat et charger un groupe de musique moderne apprécié par les jeunes, de rap ou autre, de le faire, avec un slogan ou une orientation claire. Il faudrait que les gens se disent: «Le syndicat se modernise.» On dépense pour des gadgets ridicules. Pourquoi ne pas réserver ces sommes appréciables pour apparaître une ou deux fois par année à la télé, et toucher des milliers de jeunes avec un slogan moderne?


Pour un syndicat redynamisé

Denis Berger, après ce plaidoyer pour un syndicat moderne et fort, vous vous retirez de vos mandats à la présidence du groupe des retraités de Transjurane et de vice-président du comité romand, et même du syndicat... Pourquoi?
J’ai l’impression très forte qu’ils ne nous font plus confiance. Qu’ils ne font plus confiance aux membres qui ont des années d’activité. Cela fait 40 ans que je suis syndiqué. Ils? Ce sont les hauts échelons du syndicat aux niveaux national et régional, y compris certains militants occupant des fonctions importantes. J’ai le sentiment très désagréable que l’on n’ose pas les contrer, qu’il n’y a pas la volonté de discuter des problèmes. C’est dommage. Si on ne nous fait pas confiance, on n’a pas de pep pour aller de l’avant, donc on démissionne!
Pour moi, il est clair qu’un syndicat est absolument nécessaire pour que tous les gens qui travaillent puissent bénéficier d’un soutien social et moral par des professionnels. Je pars avec un sentiment d’inachevé dans ma vision personnelle d’un syndicat. Mais j’ai bon espoir que dorénavant, avec le dialogue, il y ait un renouveau d’un syndicat plus fort, et surtout actuel, moderne.
Lors du comité des retraités de Transjurane où j’ai annoncé ma démission, j’ai remercié Unia qui m’a permis, durant 40 ans, de m’impliquer avec fierté dans une grande organisation qui lutte pour le respect et la dignité de toutes les travailleuses et de tous les travailleurs. On ne balaie pas 40 ans d’un revers de manche.
Je souhaite qu’à l’avenir, un syndicat aux structures modernes sera à même de remplir son rôle de protection efficace de tous les salariés. Le recrutement de membres en sera aussi certainement grandement amélioré. Une volonté affichée d’aller dans ce sens devrait redonner de l’élan à un syndicat redynamisé.
Longue vie au syndicat Unia!

John Amos

Bio Express

Nom: John Amos

Age: Retraité.

Ville: Neuchâtel.

Parcours professionnel: Apprenti dessinateur en bâtiment, ouvrier métallurgiste, étudiant HETSL, UniNe, UniGe, ISRP, Cefna, enseignant Hes-S2 Genève et Sion, formateur d’adultes, conseiller social, chef de projets, responsable de développement projets.

Activités syndicales: Membre FTMH, USNB, FCTA, USCN, SIB, SSP-Vpod, Unia; militant, secrétaire syndical Montagnes neuchâteloises.

Mandats: Président du groupe d’intérêts des retraités Unia région Neuchâtel depuis 2021 et du comité romand des retraités depuis janvier 2023.

Denis Berger

Bio express

Nom: Denis Berger

Age: Retraité.

Ville: Delémont.

Parcours professionnel: Mécanicien, il a exercé son métier dans cinq entreprises différentes et terminé sa vie professionnelle à la coutellerie Wenger à Delémont comme responsable d’un département, cela pendant 26 ans.

Activités syndicales: Syndiqué depuis 1982. Président de la commission d’entreprise Wenger de 2005 à 2012. Membre du comité romand depuis 2016.

Mandats: Président du groupe d’intérêts des retraités Transjurane de 2014 à 2023. Vice-président du comité romand des retraités de janvier à décembre 2023. Membre du comité régional Transjurane. Membre de la Commission nationale des retraités d’Unia.

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