Licenciées au retour d’un congé maternité
Deux jeunes mamans ont été renvoyées abusivement d’une filiale du groupe horloger Swatch à leur retour de congé maternité. Soutenues par Unia, elles ont obtenu gain de cause devant le Tribunal des prud’hommes de Genève. Le syndicat réclame davantage de protection contre le licenciement
«Avec ce jugement, on récupère une partie de notre dignité.» Deux ans après avoir été brutalement licenciée par son entreprise, The Swatch Group les boutiques SA, une filiale du groupe horloger, Gabrielle* ne s’est pas encore entièrement remise. La jeune femme avait été renvoyée à l’été 2020, deux semaines seulement après son retour de congé maternité, au prétexte de trop nombreuses absences. Un mois plus tard, une collègue, Catherine*, également de retour de congé maternité, connaissait le même sort. Cette fois, la société invoquait une faute grave, la collaboratrice aurait écoulé une montre qui n’aurait pas dû être mise en vente. Soutenues par Unia, les deux employées ont déposé une plainte auprès des Prud’hommes de Genève. Dans un jugement daté du 29 septembre, le tribunal a rejeté ces deux motifs, jugé ces licenciements abusifs et discriminatoires au regard de la Loi sur l’égalité et condamné l’entreprise à verser une indemnité à ses deux ex-collaboratrices.
Une femme sur dix perd son emploi
Mes Céline Moreau et Valérie Debernardi, les avocates des deux jeunes femmes, estiment que ce jugement pourrait faire jurisprudence et avoir un effet dissuasif. Selon une enquête du bureau d’études sociales Bass, une femme sur dix perdrait son emploi après un accouchement. Or, un quart de siècle après l’entrée en vigueur de la Loi sur l’égalité, le site leg.ch ne recense que 16 procédures pour licenciement discriminatoire autour de la maternité et une poignée seulement ont abouti à un jugement favorable pour la plaignante. «Il est extrêmement dur de mener ces procédures, qui demandent de mobiliser beaucoup d’énergie. Il est difficile de récolter des preuves. Et parfois, les plaignantes ne souhaitent pas revivre certaines scènes et préfèrent renoncer», explique Me Moreau, qui salue le courage des deux femmes. «Au retour d’un congé maternité, il n’existe pas de protection absolue contre les licenciements. Mais le délai est tellement proche entre la fin du congé et le licenciement, qu’il y a une vraisemblance de discrimination. C’est ce que dit la loi, mais ce n’est pas forcément ce qui est appliqué par les tribunaux. Il s’agit donc d’une vraie victoire.»
Interrogé, Swatch Group maintient que «les deux licenciements n’ont pas été prononcés en lien avec les grossesses. L’une des personnes a été licenciée en raison de très nombreuses absences avant la grossesse. L'autre a enfreint des instructions de travail claires peu après son retour de congé maternité.» Pour autant, l’entreprise annonce qu’elle ne fera pas appel de la décision des Prud’hommes.
«Le licenciement a été hyperbrutal»
Catherine et Gabrielle étaient des employées modèles n’ayant jamais essuyé de reproches. Cette dernière a connu une grossesse à risque: «On m’a diagnostiqué une prééclampsie, ma vie et celle de mon enfant étaient en danger, j’ai été hospitalisée et en arrêt maladie à plusieurs reprises, mais mon employeur continuait de me solliciter comme s’il ne voyait pas le problème.» La jeune maman appréhendait son retour de congé maternité: «Notre collègue, qui avait été engagée en même temps que nous, avait été licenciée à son retour du congé maternité une année auparavant. Je me demandais si j’allais moi aussi avoir des problèmes.» Et ça n’a pas loupé. «Le licenciement a été hyperbrutal.» La responsable des ressources humaines lui déclare que, désormais, elle aura plus de temps pour s’occuper de son enfant... «On part avec son petit carton, je n'avais vu ça que dans les séries américaines, je me sentais humiliée.» En sortant, elle croise un jeune homme engagé séance tenante pour la remplacer. «Un licenciement pareil peut détruire une personne. On n’est plus la même, on est brisée et cela a un impact sur tout le foyer.»
«Lors de l’annonce du licenciement, j’étais en larmes, démunie, désemparée, je ne savais plus quoi faire, je n’arrivais même pas à me tenir debout, je tremblais et j’étais anéantie, raconte, de son côté, Catherine. J’ai toujours travaillé, de me retrouver au chômage était très dur psychologiquement.» Avec deux enfants et un mari à charge, la jeune femme a pu heureusement retrouver un emploi. Ce qui n’est pas le cas de Gabrielle. «Ce n’est pas faute d’avoir essayé, surtout que nous venions d’acheter un bien immobilier.» Aujourd’hui, si elle tient à témoigner, c’est pour éviter que d’autres femmes ne connaissent ce qu’elle a subi. «La maternité fait partie de la vie, elle ne devrait pas être la cause de discrimination.» Son ancienne collègue ajoute: «Je veux que chaque femme victime d’un licenciement discriminatoire trouve la force d’aller jusqu’au bout.»
Unia veut plus de protection
«Les licenciements de Gabrielle et de Catherine ne sont malheureusement pas des exceptions», déplore Alejo Patiño, secrétaire syndical d’Unia Genève et responsable de l’horlogerie. Unia revendique donc une protection supplémentaire de six mois au retour de congé maternité ou après une adoption. En outre, le syndicat veut durcir la sanction, qui n’est, actuellement, pas réellement dissuasive. L’employeur n’est en effet condamné qu’à verser une indemnité basée sur le salaire de la victime, mais limitée à six mois et c’est rarement le maximum qui est accordé. «Si le licenciement devait être annulé et donner le droit à la réintégration dans l’entreprise ou si l’indemnité se montait à deux ans de salaire, les employeurs réfléchiraient à deux fois avant d’opérer un licenciement abusif.» Et le syndicaliste d’annoncer que ces cas seront présentés à la partie patronale lors des négociations pour le renouvellement de la Convention collective de l’horlogerie et de la microtechnique qui s’ouvriront en mars prochain.
* Prénoms d’emprunt.