Aller au contenu principal
Menu

Thèmes

Rubriques

abonnement

Plus que les os à ronger

Manifestation.
© Luiz Fernando

Comme ici à Aracaju, dans l’Etat de Sergipe au nord-est du pays, le peuple brésilien est descendu massivement dans la rue le 2 octobre dernier, à l’appel notamment des centrales syndicales. Des manifestations se sont déroulées dans 300 villes du pays pour exiger la destitution de Bolsonaro.

Modèle en matière de lutte contre l’insécurité alimentaire il y a peu, le Brésil a de nouveau faim. Dans la rue, mouvements populaires et syndicats dénoncent la misère et l’inflation semées par le gouvernement Bolsonaro qui rêve d’un coup d’Etat

Les images font mal. Dans un quartier de la zone sud, la plus aisée de la ville de Rio de Janeiro, un camion s’arrête. Aussitôt, une file se forme. Femmes et hommes commencent à fouiller un tas d’os, à la recherche de bouts de viande. Le véhicule transporte des restes vers une firme qui les transforme en nourriture pour animaux domestiques, ou en savon. «Il y a quelques années, les personnes me demandaient un bout d’os pour leur chien. Aujourd’hui, c’est pour se nourrir», témoigne le chauffeur.

Saut en arrière

Les images, prises fin septembre pour le journal brésilien Exame, ont fait le tour du pays. Elles sont le reflet d’un terrible recul. En 2014, le Brésil quittait la «carte de la faim» de l’ONU. Le résultat du programme Faim zéro, mis sur pied dès le premier mandat du président Luiz Inácio Lula da Silva (2003-2011).

Six ans plus tard, en 2020, la faim touchait de nouveau 19 millions de Brésiliennes et de Brésiliens. En deux ans, ce nombre a augmenté de 85%. La consommation de viande a atteint son niveau le plus bas au cours des trois dernières décennies. Et 116 millions de personnes (plus de la moitié de la population) se trouvaient en situation d’insécurité alimentaire. Tandis qu’un enfant sur trois souffrait d’anémie1.

La nourriture s’envole

Le retour de la faim n’est pas le reflet d’une crise de la production agricole. Au contraire. Les exportations de l’agrobusiness, qui pèse près du quart du produit intérieur brut (PIB) brésilien, atteignent des records. Soja, maïs et riz en tête. 

Les raisons sont ailleurs: le taux de chômage élevé (plus de 14%) et la précarité du travail – plus de 40% des travailleuses et des travailleurs sont actifs dans le secteur informel – se combinent au renchérissement brutal du prix des biens alimentaires de base – riz, haricot, lait, viande –, du gaz (utilisé pour cuisiner) et de l’essence.

«Les gens ont faim parce qu’ils n’ont pas assez d’argent pour acheter leur nourriture», confirme João Pedro Stedile, le dirigeant du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST), un des plus importants mouvements sociaux du pays. 

En juin 2020, le MST a proposé une série de mesures urgentes visant à contrer le retour de la faim. Pour stimuler emploi et production alimentaire, il proposait la distribution immédiate de grandes extensions de terres improductives à des familles paysannes, ainsi que la relance des programmes d’aide à l’agriculture familiale – au Brésil, c’est elle qui nourrit une majorité de la population.

«Double génocide»

Aucune de ces propositions n’a été reprise. Au contraire. Lié aux grands propriétaires terriens, le gouvernement Bolsonaro a coupé les vivres aux politiques publiques visant à garantir la sécurité alimentaire. «Au génocide de la pandémie s’ajoute celui de l’assiette vide», dénonce Frei Betto2. Ce théologien de la libération, écrivain renommé et ancien résistant à la dictature militaire, sait de quoi il parle. Il a été un des initiateurs du programme Faim zéro.

«Bolso-caro»

Dans les manifestations qui réclament la destitution du président d’extrême droite, le slogan «Bolso-caro» (caro veut dire cher en brésilien) côtoie désormais celui de «Bolsonaro le génocidaire» – faisant référence à la politique négationniste de ce dernier face à la pandémie, qui a déjà causé plus de 600000 morts. La dernière mobilisation, le 2 octobre, a réuni plusieurs centaines de milliers de personnes dans 300 villes. Pour la première fois, mouvements populaires, syndicats et partis de gauche étaient soutenus par une partie de l’opposition de droite.

Un coup à la Trump?

La popularité du président est en baisse. Les scandales s’accumulent sur son clan – les Pandora Papers viennent de révéler que le ministre de l’Economie, Paulo Guedes, planque des millions dans des paradis fiscaux – et les sondages donnent Bolsonaro clairement perdant s’il devait affronter Lula lors de la présidentielle, dont le premier tour est agendé au 2 octobre 2022. Mais l’ex-capitaine n’a pas dit son dernier mot. Le 7 septembre dernier, au cours de la journée qui célèbre l’indépendance du Brésil, il a fait planer la menace d’un coup d’Etat devant des dizaines de milliers de partisanes et de partisans galvanisés, à São Paulo et Brasilia – avant d’amorcer un recul tactique, quelques jours plus tard.

La bataille s’annonce encore longue et incertaine. Surtout pour les millions de pauvres qui luttent quotidiennement pour remplir leur assiette.

Article paru dans le journal Services publics du 15 octobre 2021.


1 BBC Brasil, 5 octobre 2021.

2 Correio da Cidadania, 18 août 2021.

Pour aller plus loin

Les militants continuent de tomber sous les balles en Colombie 

La sénatrice Aída Avella Esquivel était de passage en Suisse début juillet pour dénoncer les assassinats de militants en Colombie.

Malgré les accords de paix, les assassinats des défenseurs des droits humains persistent. La sénatrice Aída Avella Esquivel, Suisso-Colombienne, était à Lausanne pour dénoncer cette situation

Kazakhstan: business versus violation des droits syndicaux 

La Confédération syndicale internationale a classé le Kazakhstan parmi les dix pays au monde les pires en matière de droits syndicaux

Vers l’autre flamme

Au Nicaragua, de grands programmes sociaux ont été mis en route par Daniel Ortega et les sandinistes depuis leur retour au pouvoir en 2007. Spécialiste de l’Amérique latine, le...

L’ONU s’empare du dossier Glencore

Des manifestants sur un site de Glencore en Colombie

Le Cetim et Industriall ont dénoncé les violations des droits humains commises par le géant suisse du négoce lors du Conseil des droits de l'homme à Genève