Pour des crèches accessibles et abordables pour tous
L’initiative lancée par le PS et soutenue par les syndicats a pour objectif de faire de l’accueil extrafamilial un service public de qualité en Suisse. Entretien avec Regula Bühlmann, secrétaire centrale de l’USS
Dans certaines communes en Suisse, obtenir une place de crèche relève du miracle. Une fois le Graal atteint, encore faut-il pouvoir payer la garderie chaque mois… Un casse-tête pour les parents qui se penchent sur la question dès les prémisses de la grossesse, et qui finissent bien souvent par déléguer la garde de leurs futurs rejetons aux proches, quand cela est possible, ou bien par baisser ou cesser leur activité professionnelle. Les femmes, car ce sont souvent les mères qui réduisent leur temps de travail, se retrouvent pénalisées financièrement par ce système. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon une étude de l’Unicef, la Suisse se situe au 38e rang sur 41 pays en matière d’accueil des enfants, notamment à cause de son offre insuffisante de places. Pour comparaison, les pays scandinaves investissent jusqu’à 2% de leur produit intérieur brut dans les structures d’accueil des enfants, alors que la Suisse n’y consacre que 0,1% et que l’OCDE recommande un taux à 1%.
Pour y remédier, un projet de loi visant à mettre en œuvre l’initiative parlementaire de la Commission de la science, de l’éducation et de la culture du Conseil national (CSEC-N) est en cours de consultation. Celui-ci prévoit de baisser les coûts à la charge des parents au travers de subventions fédérales. Très bien, mais peut mieux faire, encouragent l’Union syndicale suisse (USS) et le Parti socialiste (PS), qui, avec leur initiative pour les crèches, vont plus loin et entendent changer de paradigme en inscrivant dans la Constitution l’importance de l’accueil extrafamilial afin d’en faire un réel service public.
Regula Bühlmann, secrétaire centrale de l’USS, rappelle les enjeux de l’initiative sur les crèches.
Quel tableau peut-on dresser de l'accueil extrafamilial et parascolaire aujourd'hui en Suisse?
Sans surprise, le noyau du problème, c’est le manque de places, et quand il y en a, leur cherté. Par ailleurs, le personnel, sous stress et mal payé, doit aussi voir ses conditions de travail améliorées.
S’y ajoute la question du fédéralisme. On l’a vu pendant la crise sanitaire, en plein chaos, chaque canton s’est organisé de manière différente, et c’est vraiment très compliqué à gérer. De même, les financements sont très divers: alors que, dans certains cantons romands, une plus grande partie des crèches est financée par l’argent public, les contributions des cantons alémaniques sont plus modestes.
En quoi les femmes sont-elles les premières à subir ce système?
La Suisse a une culture très traditionnelle. Ce sont les femmes qui le plus souvent baissent leur temps de travail rémunéré pour le travail de care, à savoir s’occuper des enfants, et de la maison. Cela engendre des inégalités, car leurs revenus sont beaucoup plus bas et, plus tard, à la retraite, ce sont les rentes qui ne suffisent pas à vivre décemment. Elles se retrouvent pénalisées financièrement par ce travail non rémunéré.
Un récent jugement du Tribunal fédéral a statué qu’en cas de divorce, une pension d’entretien pour l’ex-épouse n’est plus nécessairement envisagée. De quoi renforcer les inégalités encore une fois, car même si cette mère retrouve un emploi, elle aura toujours un manque à gagner des années non travaillées, un salaire plus bas pour la même raison ou peut-être aura-t-elle perdu ses chances de faire carrière à cause de cela...
Pourquoi le projet de loi du Parlement est insuffisant?
C’est une bonne chose que la Commission se saisisse du sujet, c’est important! Le travail des syndicats ces dernières années a permis de faire admettre à la Confédération que c’est à elle d’intervenir dans ce domaine, et pas qu’aux cantons. Le projet propose davantage de subventions fédérales. C’est un bon début, mais il faut plus d’argent. De même, plutôt que de subventionner directement les familles, l’USS propose que l’argent aille aux cantons, et qu’il soit lié à des critères en matière de qualité et de conditions de travail. Le projet de loi est entré en consultation il y a quelques jours, et ce jusqu’en septembre. Il devrait passer devant le Parlement l’année prochaine.
En quoi est-il capital de concrétiser l'initiative pour les crèches?
Notre projet est beaucoup plus complet. Il inclut des bonnes conditions de travail pour un personnel formé et donc une qualité des prestations, ce qui est très important pour nous. Il revendique des prix abordables pour les parents, avec un maximum fixé à 10% des revenus de la famille, pour un système plus solidaire et social. A savoir que, dans la réalité, pour faire garder deux enfants deux jours par semaine, la facture pour les parents se situe entre 3% et 16% du revenu familial annuel, selon la commune, et à 20% pour 3,5 jours par semaine. L’initiative sur les crèches prévoit par ailleurs une offre suffisante avec un droit garanti à une place en crèche.
Grâce à ces changements, nous obtiendrons plus d’égalité, car les femmes n’auront plus à baisser leur temps de travail pour s’occuper des enfants.
La récolte de signatures pour l’initiative est en cours jusqu’au 8 septembre 2023.