Un ouvrage collectif réunit les réflexions d’une cinquantaine de personnalités romandes sur la pandémie et les leçons à en tirer. Inspirant
Tumulte postcorona. Les crises, en sortir et bifurquer. Ce titre en dit long sur les objectifs de la cinquantaine d’auteurs réunis dans cet ouvrage collectif, paru fin août, projeté par l’ancienne conseillère nationale Anne-Catherine Menétrey-Savary, et les avocats Raphaël Mahaim et Luc Recordon. Politiciens, syndicalistes, écologistes, philosophes, économistes, scientifiques abordent des thématiques aussi diversifiées que liées: les institutions, le lien social, l’économie, l’alimentation, l’agriculture, la santé, la transition écologique, la solidarité internationale, la spiritualité…
Ils ont pour point commun de conclure à l’échec du système néolibéral et d’espérer éviter un retour à une «normalité» synonyme de crise des écosystèmes. Comme le questionnent les trois promoteurs de ce livre dans leur préface: «Comment apprendre de cette crise, dont on a pu dire qu’elle constituait un dernier avertissement de la nature, menacée par nos excès et notre démesure? Comment faire perdurer les solidarités qui se sont manifestées avec générosité? Comment lutter contre les inégalités que la crise a révélées? Comment faire advenir une humanité réconciliée avec elle-même et avec son environnement?» En guise de réponses, certains auteurs évoquent, au niveau de l’emploi, la réduction du temps de travail à 32 heures, voire davantage, le revenu de base inconditionnel ou de transition, l’assurance générale du revenu (idée du réseau de réflexion de la gauche et des syndicats en 2009), la relocalisation de la production… Au niveau écologique, notons la fin des pesticides, la souveraineté alimentaire, le soutien aux paysans dans leur transition agroécologique (avec l’idée d’une caisse de l’alimentation sur le modèle de l’AVS), le développement du ferroviaire, la taxation des compagnies d’aviation…
Convergence des luttes
Plus largement, plusieurs intervenants appellent à l’imposition des plus riches et des Gafam (ceux-là même qui se sont outrageusement enrichis pendant la crise), alors que les classes populaires – femmes en tête – en paient le prix fort. «Les écarts économiques, sociaux et culturels se creusent et éclatent au grand jour», souligne Stéfanie Prezioso, professeure d’histoire à l’Université de Lausanne et conseillère nationale. Pierre-Yves Maillard, président de l’USS, soulève: «Que tous ceux qui ne veulent pas revenir au monde d’avant prennent le temps d’écouter le monde ouvrier. C’est particulièrement indispensable, au moment où tant d’emplois, tant de savoir-faire vont être engloutis dans la disparition des pans entiers du monde d’avant (...)» Les six jeunes de la Grève du climat ne disent pas autre chose: «Notre écologie est une écologie sociale. (…) Les changements ne doivent pas être faits sur le dos des plus précaires: il est pour nous inconcevable qu’une société “durableˮ repose sur des taxes injustes et mal distribuées.» De nombreux textes se font ainsi écho, preuve qu’une convergence des luttes est possible et nécessaire. Jean-Claude Rennwald, ancien conseiller national et ancien membre de la direction d’Unia, en appelle aussi, entre autres mesures, à «promouvoir une réglementation écologique mondiale». Essentiel, à l’heure où, selon l’OMS, plus de 7 millions de personnes meurent chaque année des effets de la pollution. Comme l’assène Jean Martin, qui a été médecin cantonal vaudois et membre de la Commission nationale d’éthique: «Il faut rappeler que le problème du coronavirus est un enjeu beaucoup moins lourd, moins grave, moins durable, que le climat.» Et de constater que, «dans un futur proche, l’Europe sera confrontée à la dengue, au chikungunya, au paludisme» et que «la fonte du permafrost libère des micro-organismes qui y sommeillent depuis des millénaires».
La fin d’un système?
«Cette nouvelle crise suffira-t-elle, cette fois, pour convaincre les gens de l’inanité, voire de la perversité, des dogmes néolibéraux?» demande, quant à lui, l’économiste Jean-Pierre Ghelfi, avant de dénoncer: «Ce système s’effondrerait si les Etats ne volaient pas à son secours et si les banques centrales ne faisaient pas marcher la planche à billets de manière quasi continue depuis 2008. Covid-19 obligeant, sa survie dépend d’une assistance respiratoire permanente.»
Plusieurs auteurs évoquent, en guise de remède, le retour à une sobriété heureuse. Yvan Luccarini, député vaudois et conseiller municipal à Vevey, écrit: «Refuser la société de croissance, c’est vouloir sortir du capitalisme et du productivisme. C’est décoloniser nos imaginaires pour s’autoriser à construire collectivement une société différente, un nouveau vivre-ensemble basé sur d’autres valeurs comme le don, la gratuité, le partage et la sobriété.» La transformation se doit aussi d’être intérieure, spirituelle. Comme le souligne Barbara Steudler, directrice de l’association Nicefuture, pour les peuples racines tout est «vivant, connecté, relié, interdépendant»: «Cette conscience et cette recherche continue d’unité, où le monde extérieur et le monde intérieur ne font qu’un, permet de sortir de la vision douloureuse et étroite de la dualité.» Il s’agit ainsi de «réinventer tout notre rapport à la vie».