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Pour une interdiction mondiale de l’amiante

Le 7 mai au matin, devant l’entrée de la 9e Conférence des Parties de la Convention de Rotterdam à Genève, une vingtaine de militants des quatre coins du monde ont appelé à l’interdiction de l’amiante et à l’inscription de cette substance dans l’annexe III du traité.
© Manon Todesco

Le 7 mai au matin, devant l’entrée de la 9e Conférence des Parties de la Convention de Rotterdam à Genève, une vingtaine de militants des quatre coins du monde ont appelé à l’interdiction de l’amiante et à l’inscription de cette substance dans l’annexe III du traité.

Unia et Solidar Suisse mènent une campagne globale contre cette substance cancérigène qui tue plus de 220000 personnes chaque année dans le monde

Aujourd’hui, plus d’une soixantaine de pays a déjà interdit l’utilisation de l’amiante sous toutes ses formes, majoritairement en Europe. Malgré tout, les maladies dues à cette substance continuent de se déclarer. En Suisse par exemple, chaque année, près de 120 personnes selon la Suva décèdent des suites d’une exposition à l’amiante. Et pour cause, les maladies de l’amiante n’apparaissent qu’entre 20 et 40 ans après.

Ailleurs, notamment dans les pays du Sud, l’amiante chrysotile, aussi appelé amiante blanc, est utilisé sans restriction, principalement comme matériau de construction. Au plus grand bonheur des pays producteurs, la Russie en tête, suivie de la Chine, du Brésil et du Kazakhstan. L’Organisation mondiale de la santé estime que près de 125 millions de travailleurs dans le monde sont en contact avec l’amiante, et plus de 220000 personnes meurent chaque année d’un cancer lié à cette substance. Un drame mondial contre lequel Unia et Solidar Suisse ont décidé de se mobiliser, à travers une campagne nationale d’information et de sensibilisation, mais aussi en soutenant les campagnes menées par les syndicats et les ONG en Asie pour l’interdiction de l’amiante, une meilleure sécurité au travail et en faveur de la protection de la santé des travailleurs.

Au niveau international, toutes les formes d’amiante, sauf l’amiante chrysotile, sont listées dans l’annexe III de la Convention de Rotterdam, qui régit le commerce des produits chimiques dangereux. Si la chrysotile n’y figure pas, c’est parce que, depuis une dizaine d’années, plusieurs pays s’y opposent et qu’un consensus entre les Etats est indispensable pour changer la donne (lire ci-dessous). Malgré les nombreux rapports scientifiques et techniques démontrant la nocivité de la fibre, les enjeux économiques restent plus forts. On se rappelle notamment du Sri Lanka, qui avait annoncé son intention d’interdire l’importation d’amiante russe pour 2018, mais qui s’est finalement ravisé: en effet, la Russie a rétorqué qu’elle n’importerait plus de produits agricoles sri-lankais, notamment le thé...

Plus d’informations sur:

unia.ch/stop-amiante

solidar.ch/fr/amiante

L’amiante a encore de beaux jours devant elle

Du 29 avril au 10 mai dernier se tenait la 9e Conférence des Parties à la Convention de Rotterdam (COP-9) à Genève. Un rendez-vous qui a lieu tous les deux ans, et une nouvelle opportunité de faire un pas vers l’interdiction de l’amiante blanc en l’inscrivant sur cette fameuse liste rouge.

Le 7 mai, une vingtaine de syndicalistes et de représentants d’ONG suisses et asiatiques se sont réunis le matin devant le Centre international de conférences, banderoles à la main, pour appeler les délégués gouvernementaux du monde entier à faire le bon choix. «L’amiante tue», «Stop à l’exportation de la mort», ou encore «Justice pour les victimes de l’amiante» faisaient partie des slogans scandés dehors. Au même moment, à l’intérieur, le lobby pro-amiante menait une action contre l’inscription de la poudre dans l’annexe III de la Convention. «Malgré toutes les preuves scientifiques, 2 millions de tonnes d’amiante sont mises en vente chaque année sans se soucier de la souffrance qu’il provoque, faisant de ce matériau le premier tueur industriel, s’indigne Fiona Murie, de l’IBB. C’est un danger pour le public et pour tous les travailleurs du bâtiment.»

Pour Bernhard Herold, responsable du programme Asie à Solidar Suisse, l’existence même de la Convention de Rotterdam est remise en question. «Inscrire l’amiante chrysotile dans la Convention n’est pas synonyme d’interdiction mais cela implique qu’il soit soumis à la “procédure de consentement préalable en connaissance de cause”. Mais les pays producteurs savent que cela suffirait à ce que leurs acheteurs le boycottent.» Une autre manifestation a eu lieu l’après-midi sur la place des Nations. Mais cela n’aura pas suffi.

Le débat sur l’entrée, ou non, de l’amiante chrysotile dans la liste des substances dangereuses de la Convention de Rotterdam a eu lieu le lendemain, une fois tous les autres objets passés en revue. Les délégués des différents pays ont pris la parole, exposant leurs arguments pour ou contre son inscription sur l’annexe III. Cela a ensuite été au tour des organisations internationales, à savoir l’OMS et l’OIT, puis aux ONG, notamment Solidar Suisse et au lobby pro-amiante.

Au final, au moment du vote, dix pays au total s’y sont opposés. Il s’agit, comme en 2017, de la Russie, du Kazakhstan, du Kirghizistan, de la Syrie, de l'Inde, du Venezuela et du Pakistan. Trois petits nouveaux font leur entrée, à savoir Cuba, le Zimbabwe et l’Iran. Le consensus n’ayant encore une fois pas été atteint, le sujet a été renvoyé à la prochaine COP, en 2021. Cela étant, pour la première fois dans l’histoire de la convention, la Suisse a forcé le vote sur la création d'une annexe VII qui introduit un mécanisme de compliance. Même s’il n'est pas directement lié à l'amiante, il va pouvoir rendre possible toute évolution de la convention. «L'action de la Suisse a permis de sauver cette Convention d'un désastre total et ouvre quelques pistes pour l'avenir, conclut Bernhard Herold. Elle est cependant encore loin d'avoir prouvé une efficacité véritable.»

Fonds pour l’amiante en Suisse

L’amiante est interdit en Suisse depuis 1990. Cela dit, c’est loin d’être de l’histoire ancienne car il frappe encore 120 personnes par an, qui meurent des suites d’un mésothéliome, cancer de la plèvre ou du péritoine directement lié à l’amiante. En 2017, un Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (EFA) a vu le jour en Suisse pour apporter un meilleur soutien aux personnes concernées, qu’elles soient malades ou membres de l’entourage. Il apporte une aide financière aux personnes atteintes dans leur santé et aussi une assistance psychologique. D’après les derniers chiffres, depuis sa création, 56 personnes ont été indemnisées à hauteur de 5,8 millions de francs au total.

Pour toute demande: stiftung-efa.ch/fr

Portrait de SubonoSubono, victime de l’amiante et leader syndical, Indonésie

«J’ai travaillé plus de 14 ans pour PT Siam-Indo Concrete Products à Karawang, tout près de Jakarta, une entreprise thaïlandaise de production et de transformation d’amiante en matériaux de toiture. J’ai travaillé dans tous les départements, à la production, au mélange, au moulage et au recyclage. Les matières premières viennent de Russie et du Kazakhstan et les produits finis sont ensuite utilisés en Indonésie. Jamais aucune information sur les risques que l’amiante pourrait avoir sur notre santé ne nous a été livrée. Les équipements de sécurité n’étaient pas du tout adaptés et laissaient passer la poussière: quand nous avons osé en demander de meilleurs, on nous a répondu que c’était trop cher et que l’entreprise n’avait pas les moyens. Beaucoup de collègues sont tombés malades, avaient des fortes toux. On se posait des questions. Nous sommes donc allés voir l’organisation LION (Local Initiative for OSH Network) et nous avons compris que l’amiante était très dangereux. Nous avons fait appel à des médecins indépendants qui nous ont diagnostiqué des dysfonctionnements pulmonaires liés à l’exposition à l’amiante. Après quoi nous sommes allés demander des comptes à la direction, qui maintenait qu’il n’y avait rien de mauvais dans ce matériau et qu’il était très sûr. A ce moment-là, j’ai pris une plaque d’amiante, je l’ai cassée et j’ai envoyé la poudre à la figure des managers qui se sont protégés le visage et ont fui. C’était en 2014 et ils m’ont licencié. Sur mes sept collègues, trois sont morts. Ma belle-sœur, qui vivait près de l’usine, est aussi décédée à la suite d’une maladie pulmonaire mais aucun test n’est effectué sur les populations environnantes. Pour ma part, je souffre de toux importantes, de fatigue et j’ai beaucoup de difficulté à respirer au moment de dormir.

J’ai décidé d’organiser les travailleurs et les victimes de l’amiante. Je suis maintenant le président de la fédération syndicale F-Serbuk et je fais partie de la coalition Indonesia Ban Asbestos. Notre mission est d’informer et d’établir un contact avec les ouvriers. Quand on leur explique, ils se mettent en colère de ne pas avoir été informés, mais dans le même temps, ils ont besoin de ce travail qui fait vivre leur famille, ce que les entreprises ont bien compris. Nous avons pu identifier beaucoup de victimes, nous avons réussi à ce que l’une d’entre elles soit prise en charge par l’assurance des travailleurs et cinq autres dossiers sont en procédure. Notre stratégie est de partir des gouvernements locaux et de remonter plus haut: grâce à notre pression, la ville de Bandung a décidé de ne plus avoir recours à l’amiante dans ses bâtiments publics par exemple.

Assister et m’exprimer à la COP est une première pour moi. Je suis venu porter le message des victimes indonésiennes et du monde entier, à savoir que cette poussière est très dangereuse pour la santé des travailleurs, qu’il faut arrêter de la produire, de l’utiliser, de la vendre et être solidaires pour enfin réussir à la bannir dans le monde entier.»

Portrait d'Omana GeorgeOmana George, coordinatrice de programme pour Asia Monitor Resource Centre, Hong Kong

«En Asie, les victimes de l’amiante sont invisibles et n’apparaissent pas dans les statistiques. Notre travail est d’identifier les personnes malades en allant sur les lieux de travail, sur les chantiers de démantèlement naval au Bangladesh par exemple. Quand nous allons sur les chantiers de toute l’Asie, la plupart du temps, les travailleurs n’ont aucune idée des risques liés à une forte exposition à l’amiante. Nous menons des campagnes médicales avec des spécialistes indépendants qui ont l’expertise nécessaire pour diagnostiquer ces maladies. Ensuite, la question est de savoir qui va prendre en charge et qui va payer. La seconde étape est donc de faire reconnaître la maladie dans le pays et tout faire pour que la victime soit indemnisée et prise en charge.

Notre mission est aussi de faire pression sur les gouvernements qui n’ont pas encore interdit l’amiante. En 2010, nous avons envoyé une délégation au Canada. Pendant une semaine, nous avons mené des actions et nous sommes intervenus dans les médias: cela a dû avoir un impact, car le gouvernement a banni la vente, l’importation et l’exportation de chrysotile en 2018. Il y a deux semaines, nous étions au Brésil pour les mêmes raisons et, aujourd’hui, nous sommes à Genève pour la COP. Les travailleurs et les victimes doivent pousser au changement!»

Portrait de Pooja GuptaPooja Gupta, coordinatrice pour la Plateforme indienne pour l’interdiction de l’amiante

«La présence d’amiante dans l’organisme humain est irréversible, et les maladies restent aujourd’hui incurables. En Inde, plus de 1000 victimes ont été identifiées à ce jour, mais elles sont sans doute beaucoup plus nombreuses dans la réalité. Les travailleurs n’ont pas d’équipements de sécurité et ne reçoivent aucune information sur les dangers. Le problème c’est que les médecins ne sont pas formés au diagnostic des maladies liées à l’amiante. Pour la plupart des victimes, on dira que c’est une tuberculose et on ne fera rien. L’enjeu est donc de mieux former les médecins à ces pathologies. L’autre problème, c’est l’immobilisme du gouvernement. Les mines d’amiante ont été interdites à la fin des années 1990, mais l’Inde continue à importer la matière première, à l’utiliser et à exporter les produits finis. Le lobby pro-amiante est très puissant, et finit toujours par l’emporter: quand on pose la question de l’interdiction de l’amiante, le gouvernement répond qu’il doit aussi penser aux finances… Les enjeux économiques passent avant la santé des travailleurs, c’est dramatique, et les choses doivent changer.»

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