Protection à géométrie variable
Face à la pandémie de coronavirus et au bouclier de mesures prises, les salariés ne sont pas tous logés à la même enseigne. Avec des travailleurs contraints de prendre des risques inutiles dans le cadre d’activités pourtant non essentielles et d’autres soumis à des pressions insoutenables comme le personnel soignant. Un dernier groupe particulièrement exposé à l’invisible maladie mais aussi, aujourd’hui plus que jamais, au burn-out et à l’épuisement abaissant les défenses immunitaires. Et pour cause, le Conseil fédéral a autorisé des semaines de travail de 60 heures et plus. Un coup de canif dans la Loi sur le travail dangereux qui pourrait n’avoir d’autre effet que de surcharger le système hospitalier. Cherchez l’erreur. D’autres entorses ont été faites dans la législation pour les employés actifs dans les transports, la logistique ou encore les coursiers. Eux aussi pourraient trimer jusqu’à pas d’heure. Avec des effets délétères prévisibles sur la résistance de ces employés et une augmentation des risques sécuritaires.
Tout aussi déconcertante et irresponsable, la posture du Conseil fédéral qui n’a pas estimé utile de fermer les usines jugées non indispensables ou de suspendre les travaux dans le secteur de la construction. Sur les chantiers, des maçons continuent à être directement menacés par le Covid-19 en raison de directives sanitaires impossibles à appliquer. Les constats alarmants se multiplient au gré des inspections syndicales: violation de la distance sociale avec des ouvrages nécessitant l’intervention, côte à côte, de plusieurs ouvriers, outils passant de main en main sans désinfection, baraques et vestiaires exigus, sanitaires à l’hygiène catastrophique... Le Conseil fédéral a pourtant préféré miser sur la responsabilité des employeurs sommés de suivre les prescriptions sanitaires. Et laisse au besoin le soin aux cantons d’intervenir. Une gageure, la surveillance ne pouvant être assurée au regard de l’ampleur de la tâche. La semaine dernière, en une journée, pas moins de 1500 dénonciations ont été faites auprès de la Suva dans le seul domaine du bâtiment! Un chiffre qui fait froid dans le dos alors que la peur se répand dans les rangs des travailleurs craignant de surcroît de ramener la maladie sous leur toit. «A croire que, nous, les ouvriers, on vaut moins que d’autres», témoigne l’un d’entre eux. Pire encore, des salariés ont été amenés à signer des auto-déclarations où ils précisent connaître la situation et s’engagent à respecter les consignes sanitaires. Belle manière de certains patrons de se décharger, ignorant leur devoir de protection.
La situation des salariés les plus vulnérables laisse aussi sans voix. Désormais, malgré une santé fragile, ils peuvent être rappelés au boulot sous réserve de l’application des mesures édictées. Volte-face aussi insensée qu’inquiétante.
Ce laxisme à l’égard de ces catégories de travailleurs détonne avec les exigences générales du Conseil fédéral, lui qui martèle inlassablement la nécessité de rester à la maison, de privilégier, si possible, le télétravail. Et sachant que plus les menaces de contagion seront limitées, plus vite nous verrons pointer la lumière au bout du tunnel. Evidemment, la facture de la crise influence les décisions... La santé n’a pourtant pas de prix. Guy Parmelin l’a récemment souligné lors d’une conférence de presse, en parlant «du bien le plus précieux de l’être humain»... tout en précisant que «le travail contribue aussi à le préserver... où c’est possible». Et c’est bien là toute la question et dans quelle limite.