Les écarts de rémunérations continuent de se creuser révèle une étude d’Unia, estimant que des augmentations générales des salaires s’imposent
Les dirigeants d’une quarantaine de grands groupes suisses ont gagné l’an dernier en moyenne 141 fois plus que leurs employés les moins bien payés, selon une étude d’Unia. Réalisée chaque année depuis 2005, cette enquête du syndicat montre l’évolution des rémunérations dans les plus grandes sociétés et, partant, les tendances à l’œuvre dans le monde des entreprises. On peut constater que, sous l'effet de la stagnation des bas salaires et de la progression des rémunérations des managers, les écarts salariaux continuent de se creuser. L’inégalité la plus criante revient à Roche où Severin Schwan gagne 307 fois plus que le collaborateur au plus bas salaire. Ce dernier devrait donc trimer 307 ans pour atteindre les 15 millions de francs que le CEO empoche chaque année. Derrière Roche suivent UBS, Logitech, Nestlé, Alcon (pharma), Novartis, Temenos (logiciels) et ABB. Plus loin se détache le groupe Richemont, qui, entre 2020 et 2021, est passé d’un écart de 1:96 à 1:179, car le salaire le plus élevé a progressé de 86%. A l’autre bout, du côté des bons élèves, on trouve Bachem, entreprise active dans la pharma, et le groupe Coop. Dans ces deux sociétés, l’écart se situe à 1:12, soit le coefficient proposé par la Jeunesse socialiste dans son initiative «Pour des salaires équitables» refusée par le peuple en 2011. Avec 1:18, Migros fait moins bien que son concurrent. Dans la moitié des entreprises étudiées, les salaires les plus bas sont inférieurs à 50712 francs, soit 4226 francs par mois.
«L’écart salarial moyen que nous avons tiré de notre étude est représentatif des plus grandes entreprises. Dans les plus petites, les salaires des managers ne sont pas aussi élevés, mais nous constatons pourtant que, là aussi, les écarts se creusent», indique Noémie Zurlinden, économiste au département politique d’Unia et responsable de l’étude. Selon les données de l’Office fédéral de la statistique, les 10% des salaires les moins élevés n’ont augmenté que de 0,5% entre 2016 et 2020, tandis que les 10% les plus élevés progressaient de 4%. Les rémunérations des top-managers, soit 10% des cadres supérieurs, ont bondi de 12%. Les salaires nominaux n’ont évolué que de 2,5%, cette stagnation ne se justifie pas dans la mesure où, sur la même période, la productivité a sensiblement progressé.
Augmentation urgente...
«Pour arrêter cette tendance, il est important de prendre conscience de la nécessité d’une augmentation générale des salaires et, en particulier, des salaires bas et moyens, explique Noémie Zurlinden. Il faut que les salariés obtiennent une part plus conséquente de la valeur qu’ils produisent. Cette augmentation prend, en outre, un caractère urgent cette année en raison du renchérissement. Les salariés risquent en effet de subir une baisse du revenu disponible. C’est particulièrement problématique pour les salariés modestes. Les entreprises doivent prendre leurs responsabilités non seulement envers leurs collaborateurs, mais aussi à l’égard de l’ensemble de l’économie. Si le pouvoir d’achat diminue, les conséquences se feront sentir pour tous. En ce sens, les augmentations individuelles qui, par nature, ne bénéficient pas à tout le monde, ne suffisent pas.»
Pour l’économiste, limiter les écarts salariaux comme le proposait l’initiative de la Jeunesse socialiste pourrait être une mesure valable. «Mais on a vu comme il est difficile de faire aboutir de telles revendications. En attendant, il nous faut, je pense, travailler syndicalement dans les entreprises pour obtenir des augmentations générales des salaires.» Nul doute que les syndicalistes d’Unia pourront s’appuyer sur cette étude lors des négociations salariales de cet automne.
Pour retrouver l'étude complète d'Unia sur les écarts salariaux, aller sur: unia.ch
Les actionnaires sont aussi très gâtés
Les dirigeants ne sont pas les seuls gâtés, les actionnaires aussi. Au cours de l’exercice 2021, les groupes examinés par Unia ont versé près de 42 milliards de francs à leurs actionnaires, soit un montant proche de l’année précédente. Roche, Nestlé, Novartis, ABB et UBS pointent là encore en tête de liste.
De plus, les actionnaires ont profité de rachats d’actions à hauteur de 40 millions. Cette pratique consiste pour les sociétés inscrites en Bourse à racheter une partie de leurs propres actions pour les détruire afin de faire monter les cours.
Quatre entreprises ont distribué une somme supérieure à l’EBIT, le bénéfice avant intérêts et impôts, soit Roche, Nestlé, Temenos et Lindt & Sprüngli. Pour effectuer ces versements, ces entreprises doivent puiser dans leurs réserves ou s’endetter, ce qui affecte les projets d’investissement et réduit les dépenses de personnel. Credit Suisse fait fort aussi, malgré des pertes de 1,65 milliard, la banque réussit à distribuer pour 257 millions de dividendes.
Certaines entreprises qui réalisent de gros bénéfices n’hésitent pas à licencier en masse. C’est le cas de Novartis, qui s’est séparé de 400 collaborateurs l’année dernière sur le site de Bâle et qui a annoncé fin juin la suppression de plus de 8000 postes dans le monde, dont 1400 en Suisse, soit plus de 10% de ses effectifs dans notre pays. Roche et UBS ne sont pas en reste, avec, respectivement, 400 et 700 licenciements.
L’étude d’Unia a encore comparé le montant des versements aux actionnaires aux dépenses de personnel. Chez Roche, qui pointe toujours en tête de liste, le rapport est de 62,9% pour les actionnaires contre 37,1% seulement pour les salariés. Derrière, il y a EMS-Chemie (62,7%/37,3%) ou Nestlé (49,8%/50,8%). Les dépenses en personnel ne sont toutefois pas connues pour certaines entreprises, comme ABB ou Novartis.
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