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A quelle sauce seront mangés les coursiers d’Uber Eats?

Uber s’attaque à un nouveau marché en Suisse romande: le transport de petits plats. Avec son système de pseudo-indépendants, la multinationale entend continuer à accroître son profit en mettant sous pression des coursiers à vélo, motards ou chauffeurs sans droits ni protections. 
© Thierry Porchet 

Uber s’attaque à un nouveau marché en Suisse romande: le transport de petits plats. Avec son système de pseudo-indépendants, la multinationale entend continuer à accroître son profit en mettant sous pression des coursiers à vélo, motards ou chauffeurs sans droits ni protections. 

Le géant étasunien s’apprête à se lancer en Suisse romande dans la livraison de repas à domicile. Unia réagit

L’arrivée d’Uber Eats en Suisse romande inquiète Unia. Le syndicat a saisi le Conseil d’Etat genevois et demande la création d’une task force sur le plan national. La multinationale étasunienne projette de lancer son service de livraison de repas fin novembre dans la ville du bout du lac, puis dans un second temps dans l’agglomération lausannoise. Déjà présent dans 350 villes à travers le monde avec 160000 restaurants partenaires, Uber Eats a réalisé un chiffre d’affaires de 6 milliards de dollars en 2017. En Suisse, parmi les fournisseurs intéressés figure McDonald’s. Dans le bassin lémanique, il est déjà possible de se faire livrer les produits de Burger King ou KFC par les deux leaders du secteur, Smood.ch et Eat.ch.

Des promesses

Uber aurait déjà recruté une soixantaine de coursiers sur les 200 recherchés à Genève en leur promettant un revenu horaire de 20 à 35 francs pour deux ou trois trajets, rapporte l’agence AWP. Comme pour les employés de son service de transport de personnes, le géant californien n’entend pas engager ces collaborateurs comme salariés. Ils seront donc privés d’assurances accidents et chômage, de cotisations à l’AVS, de remboursement de leurs frais pour leur outil de travail, d’indemnités pour les vacances, de treizième salaire... Quant à la rémunération promise… Avec des livraisons facturées 4,90 francs, comme il est annoncé, elle devrait rester du domaine des promesses.

Rappelons que, soutenus par Unia, des conducteurs Uber de la région lémanique ont mené deux grèves depuis décembre 2017 après n’avoir touché qu’une rétribution de misère pour des journées de travail à rallonge. Pour le syndicat, qui est toujours en conflit ouvert avec Uber Suisse et ses sociétés partenaires, l’indépendance des conducteurs est totalement fictive. L’entreprise technologique équipe en effet les chauffeurs de son logiciel, leur attribue les courses, définit les itinéraires par l’intermédiaire de l’application, fixe les prix, encaisse l’argent et conserve une commission de 25%.

CCT et CTT contournés

«Apparemment, McDonald’s et Uber Eats cherchent à contourner la Convention collective nationale de l’hôtellerie-restauration (CCNT), qui a force obligatoire», relève Artur Bienko. Le responsable de l’hôtellerie-restauration d’Unia Genève souligne que cette convention collective concerne aussi les sociétés de livraison à domicile de plats cuisinés. «Domino's Pizza n’en voulait pas au début, mais, à la suite de nos diverses actions, s’y est finalement assujetti. Dès lors qu’il s’agit de livraison de nourriture exclusivement et de repas chauds à consommer immédiatement, la CCNT doit s’appliquer à tous les livreurs.»

Dans tous les cas, la livraison de marchandises est, dans le canton de Genève, encadrée par un contrat-type de travail (CTT) obligatoire qui fixe le salaire minimum et la durée du temps de travail.

Quel modèle de société

Dans un courrier à Mauro Poggia, le syndicat enjoint le conseiller d’Etat en charge de l’Emploi à faire appliquer immédiatement ce CTT à Uber et aux autres acteurs de la branche. Unia demande également à l’Etat de procéder à un contrôle approfondi de la société. «On ne comprend pas ce laisser-faire», soupire Umberto Bandiera, responsable du secteur des transports et logistique en Suisse romande d’Unia. «Le Canton vient pourtant de fermer un certain nombre de restaurants en infraction, on ne voit pas pourquoi il ne ferait pas de même pour une société qui ne respecte pas la loi. Il est temps pour le Conseil d’Etat d’expliquer quelle est sa vision du numérique. S’il s’agit de laisser s’implanter sur le marché de telles entreprises, c’est un avenir très sombre, où les salariés n’auraient plus aucun droit, qui nous attend et c’est tout notre modèle de société qui serait remis en question.»

D’autres règles sont possibles

«Même s’il est difficile pour des employés dans la précarité, ayant peur de perdre leur travail, de s’organiser, des travailleurs d’Uber Eats ont fait grève au Royaume-Uni et en Belgique, demandant à bénéficier d’une convention collective. Des règles différentes, respectueuses des employés sont possibles, comme celles qui ont été négociées avec Delivery Hero», explique Massimo Frattini, responsable de l’hôtellerie-restauration pour la fédération syndicale internationale UITA. Spécialisée dans la distribution d’aliments et présente dans une quarantaine de pays, Delivery Hero est basée à Berlin. En Allemagne justement, le ministre fédéral du Travail et des Affaires sociales, Hubertus Heil, a fait part de son engagement à obtenir le respect des droits pour les salariés des plateformes numériques.

Unia réclame que le Conseil fédéral s’engage sur cette voie. Avec pour objectif de mettre fin au dumping salarial, de protéger les employés et de faire respecter les règles du marché du travail aux entreprises technologiques. Le syndicat propose la création d’une task force nationale réunissant des représentants des autorités, des partenaires sociaux et des assurances sociales.

 

Lausanne opte pour une vignette Uber

Le Conseil intercommunal des taxis de la région lausannoise a décidé que les véhicules de tourisme avec chauffeurs (VTC) devront désormais arborer un signe distinctif, vraisemblablement un autocollant, sur leur véhicule. «Ce signe devra être apposé à l’arrière du véhicule, pour que la police qui remarque qu’un individu a été pris en charge puisse s’assurer que le chauffeur est bien en règle», a indiqué le municipal lausannois Pierre-Antoine Hildbrand, président du comité de direction de l’association de communes, à 24 heures. Pour l’instant, 80 chauffeurs se sont annoncés.

Le conseil a, en outre, convenu de réduire le nombre de concessions de taxi dans l’agglomération, compris actuellement entre 230 et 280, à une fourchette de 180 à 240. «Sur les dix dernières années, le nombre d’appels passés dans les centrales de taxis a diminué de 30%. Limiter le nombre de concessions permettra aux chauffeurs de taxi de mieux gagner leur vie», espère l’élu interrogé par le quotidien vaudois.

Pas une bonne idée

«Cette vignette ne me paraît pas une bonne idée», commente Umberto Bandiera, responsable des transports en Suisse romande d’Unia. «Je ne vois pas en quoi elle apportera des réponses aux problèmes et garantira que la loi est appliquée. Cette solution existe déjà en France et ne semble pas, d’après les échos que j’ai eus, avoir produit de résultat positif. J’espère qu’elle n’aura pas valeur d’amnistie. Quant à la réduction du nombre de taxis officiels, ce n’est pas une bonne nouvelle dans la mesure où elle va favoriser la concurrence privée.»

 

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