La suppression d’une caisse de solidarité du site chimique de Monthey suscite la colère d’anciens cotisants. Soutenus par Unia, ils demandent réparation. Le système social en question permettait, à la disparition d’un collègue, actif ou retraité, de soutenir financièrement sa famille
«C’est désolant. Cette situation me révolte. D’autant plus que nous n’avons pas été avertis.» Dans le cadre d’une conférence de presse organisée par Unia le 12 avril dernier à Monthey, Bernard Pilet, ancien collaborateur du site chimique, a témoigné aux côtés de deux autres retraités, de son indignation à la suite de la disparition de la «Caisse décès». Introduit avant les années 1970, ce système permettait aux travailleurs d’exprimer concrètement leur soutien les uns envers les autres. Au décès d’un des leurs, qu’il soit encore actif ou retraité, chacun versait 2 francs à sa famille. Obligatoire dans un premier temps, cette contribution était devenue par la suite facultative et prélevée automatiquement sur le salaire des ouvriers adhérant au projet. Le montant récolté ainsi à chaque deuil avoisinait les 1500 francs. Le mécanisme a été étendu au fil des ans aux cinq sociétés du site, soit Cimo chargé de son administration, Syngenta, Huntsman, BASF et Sun Chemical. En janvier 2022, les différentes entités ont toutefois décidé d’y mettre un terme, sans prévenir les anciens collaborateurs. Quant aux travailleurs, ils ont été informés par voie d’affichage. Bernard Pilet qui, comme ses acolytes, a défendu les droits de ses collègues durant son parcours professionnel, a consacré trente ans de sa vie à la Ciba, devenue Cimo. Trente ans aussi à cotiser à la caisse en question, «pour ma famille et celle des collègues». L’homme est d’autant plus fâché que ce fonds était alimenté uniquement par les collaborateurs.
Un lien très fort
«Cette participation solidaire tissait un lien très fort au sein du personnel. La somme récoltée permettait par exemple de payer l’enterrement. J’y ai contribué pour ma part durant 37 ans», a déclaré de son côté Stéphane Nicolin. L’ex-collaborateur de Syngenta, entré en 1985 dans l’usine, a lui aussi estimé inadmissible l’abandon de cette prestation sociale alors qu’elle n’était pas financée par les entreprises. De son côté, Giovanni Cutruzzolà a dénoncé le démantèlement, tout au long de sa carrière, des différents acquis ayant soudé par le passé les collaborateurs. «A l’époque, quand on entrait à la Ciba, on adhérait à une usine, à un projet. On était fiers de participer à l’aventure. On avait de la reconnaissance. On avait mis sur pied plusieurs initiatives solidaires.» Et l’homme de mentionner, par exemple, un fonds destiné aux personnes rencontrant des difficultés financières passagères. Ou encore, l’organisation de cars conduisant les travailleurs à leur poste. Sans oublier la détention d’actions permettant «de mieux planifier la retraite». «Tout s’est effrité. Tout a été supprimé. Et aujourd’hui, même ces 2 francs», s’est-il indigné ayant lui aussi contribué à la «Caisse décès» durant plus de trente ans. «Autrefois, l’employeur était plus qu’un patron, il était un collaborateur. Je garde un souvenir positif de ma vie professionnelle, mais je suis déçu par tout ce qui a été abandonné. Des copains toujours actifs me parlent de souffrance au travail, l’ambiance a changé. Certains comptent les années, les mois, les jours et même les minutes qu’il leur reste à faire.»
Un préjudice de 2,9 millions de francs
Depuis déjà plusieurs mois, avec l’aide d’Unia, les trois retraités se battent pour obtenir réparation. «Les cinq entreprises doivent assumer les conséquences de cet acte insensé et antisocial», commente Blaise Carron, secrétaire syndical d’Unia. Et ce dernier de chiffrer le préjudice: «Il s’élève à environ 2900000 francs pour les 1938 ayants droit – 1188 cotisants retraités au 8 janvier 2021 et 750 cotisants actifs, pour un versement de 1500 francs aux familles lors d’un décès.» Le syndicaliste entend bien exiger des dédommagements pour l’ensemble des bénéficiaires potentiels. «Nous souhaitons trouver une solution amiable. Mais dans le cas contraire, nous entreprendrons une démarche juridique.» Les motifs énoncés par Cimo pour renoncer à la gestion de cet avantage social – à savoir un processus trop complexe – sont balayés. «Un site qui génère des milliards par année ne parviendrait pas à gérer cette caisse? Ça ne tient pas la route. Pourquoi veut-on casser ces dernières solidarités? C’est la vraie question», a poursuivi le responsable Unia, qui s’est défendu d’une attitude nostalgique ou passéiste, soulignant le bien-fondé de cet acquis solidaire «créant une unité par-delà les entreprises». De son côté, Me Yannis Sakkas, en charge du dossier, a indiqué qu’en l’absence d’un arrangement, il saisira les tribunaux. «Le règlement du personnel, accompagnant le contrat de travail, prévoyait la “Caisse décès”. L’employeur s’étant engagé dans ce sens, il ne peut pas la dissoudre comme ça, sans avertir les personnes concernées. Une information placardée ne suffit pas juridiquement», a souligné l’avocat, estimant bénéficier de «chances réelles» de gagner s’agissant du respect d’obligations contractuelles.