RFFA, la lutte s’engage dans des cantons
A Fribourg, Genève et dans le Jura, la gauche et les syndicats s’opposent à des cadeaux fiscaux offerts aux entreprises
Le référendum contre la réforme fiscale des entreprises et le financement de l’AVS (RFFA) a formellement abouti, a annoncé mercredi dernier la Chancellerie fédérale. Rappelons que, à la suite du rejet dans les urnes en 2017 de la troisième réforme de l’imposition des entreprises (RIE III), qui visait clairement à supprimer les statuts fiscaux privilégiés accordés à des sociétés étrangères, un compromis s’est dégagé au Parlement pour remettre l’ouvrage sur le métier en l’accompagnant, après l’échec devant le peuple la même année du projet Prévoyance vieillesse 2020 (PV2020), d’un assainissement du 1erpilier. La votation sur la RFFA aura lieu le 19 mai prochain, mais certains cantons n’attendent pas le résultat de la consultation.
C’est le cas à Fribourg, où le Grand Conseil a voté en décembre un volet local présenté par le gouvernement et qui comprend comme principales mesures un taux d'imposition du bénéfice des entreprises à 13,72% (contre 19,86% actuellement pour les sociétés suisses) et des compensations sociales à hauteur de 30 millions constituées d’une augmentation de 20 francs par mois des allocations familiales et d’autres mesures consacrées aux crèches, à la formation professionnelle et aux subsides maladie. Le Conseil d’Etat évalue les incidences financières globales du projet à 40 millions de francs par an pour le canton et à 33 millions pour les communes et les paroisses. «La réforme coûtera en réalité 120 millions de francs, nuance Pierre Duffour, militant d’Attac Fribourg. 47 millions proviendront de la péréquation fédérale durant quatre ans. Si la RFFA passe, cette somme sera maintenue jusqu’en 2030. Après cette date, 120 millions seront à la charge de la population. C’est énorme.»
La gauche fribourgeoise a toutefois longtemps tergiversé sur la nécessité du référendum. «Nous avons perdu un mois à cause du Parti socialiste, qui a finalement décidé en comité directeur, à une courte majorité, de ne pas le lancer», explique Pierre Duffour. C’est Attac qui s’est résolu à demander le référendum. L’association a été rejointe par les syndicats, Solidarités, les Verts et des sections socialistes. 6000 signatures doivent être récoltées d’ici au 28 mars. Il va falloir ramer. «On est sous pression, admet Pierre Duffour. Mais le référendum marche très bien. Je fais signer neuf fois sur dix dès que les enjeux sont clairement posés. Les jeunes surtout sont réceptifs. Nous comptons aussi sur la manif de la fonction publique du 20 février. Nous sommes dans un canton où, lorsque les budgets sont à l’équilibre, le gouvernement fait des économies sur le dos des fonctionnaires. Que se passera-t-il l’année prochaine lorsque les comptes seront négatifs? Il y a de quoi s’inquiéter. Nous souhaitons donc que la population s’exprime sur ce sujet, car il y a un décalage entre la population et le Grand Conseil formé aux trois quarts par la droite. C’est ce qu’a montré la RIE III, qui a été refusée à 60% par le peuple fribourgeois.»
372 millions de trou à Genève
A Genève aussi, le Grand Conseil a voté fin janvier un taux unique d’imposition à 13,99% (contre 24,2% aujourd’hui pour les sociétés suisses). Les pertes fiscales estimées s’élèvent à 186 millions pour l’Etat et à 46 millions pour les communes. Le paquet ficelé comprend deux mesures compensatoires: un financement cantonal pour l’accueil de la petite enfance et une augmentation des subsides maladie là aussi. La première disposition rapporterait 18 millions aux crèches par une ponction de 0,07% sur la masse salariale. La seconde se présente comme un contre-projet à une initiative socialiste visant à plafonner les primes à 10% du revenu. L’idée est que, pour un franc de perte fiscale sur le plan cantonal, un franc soit alloué au social. Les charges de l’Etat seraient donc alourdies de 186 millions.
«De telles pertes entraîneraient, par la force des choses, des baisses de prestations publiques dommageables pour toute la population: investissements, protection de l’environnement, développement des transports publics, éducation, santé publique, formation… De fait, ce ne sont pas les bénéficiaires des cadeaux fiscaux qui seraient appelés à financer les prétendues compensations sociales, mais les pouvoirs publics… dont les ressources seraient réduites», dénonce Paolo Gilardi, syndicaliste responsable de ce dossier au sein de la Communauté genevoise d’action syndicale.
Les syndicats et toute la gauche du bout du lac sont vent debout contre cette réforme fiscale et ont formé un comité de campagne. Toute la gauche? Sauf le Parti socialiste, qui la soutient… tout en appelant à rejeter la RFFA. Le Parti socialiste suisse, séduit par l’apport de 2 milliards à l’AVS et la suppression des privilèges aux multinationales, avait pourtant accepté la RFFA, arguant que les baisses fiscales dans les cantons n’étaient pas inéluctables et qu’il fallait les combattre. Mais la section genevoise a décidé de faire exactement le contraire, piétinant au passage ses engagements antérieurs.
Il n’y aura pas besoin de lancer un référendum à Genève, le Conseil d’Etat a voulu faire voter la population, comme s’il craignait d’assumer seul la responsabilité d’un trou de 372 millions pour l’Etat et de 46 millions pour les communes. La votation aura lieu le 19 mai, le même jour que la RFFA.
Prestations en péril
Dans le Jura, le gouvernement a transmis la semaine dernière son projet au Parlement, il s’agirait de réduire graduellement le taux d’imposition de 20,5 à 15%, avec un manque à gagner à terme de 12,8 millions pour le canton, 8,6 millions pour les communes et 1,4 million pour les paroisses. Il est prévu d’augmenter les déductions fiscales sur les cotisations maladie et les frais de garde et, là encore, de prélever 0,08% de la masse salariale pour participer à hauteur de 1,4 million au financement de l’accueil extrafamilial.
Durant la période de consultation, la gauche et les syndicats se sont montrés assez hostiles au projet. Unia Transjurane considère que «rien ne justifie d'accorder des baisses fiscales générales aux sociétés implantées dans le Jura», «la stratégie globale du gouvernement apparaissant incontestablement privilégier les intérêts des entreprises au détriment de ceux des personnes physiques qui apparaissent clairement lésées». Alors que l’exécutif se félicite que le Jura devienne «l’un des cantons les plus compétitifs de Suisse», le syndicat juge, au contraire, «malsaine» la concurrence fiscale intercantonale. «C'est un leurre de croire que l'attractivité de notre canton trouve son fondement principalement au niveau fiscal, écrit Unia. La seule certitude est que la baisse du taux préconisé mettra, par ricochet, en péril de nombreuses prestations offertes par l'Etat, ce qui ne sera pas sans conséquence à terme sur la perte d'attractivité cantonale.»