Syndicaliste jusqu'au bout de la plume
Mardi 24 avril 2007
Rôle inversé... Se prêtant au jeu de l'interview, Serge Baehler livre son regard sur des thèmes syndicaux récurrents
Au terme de 23 ans de syndicalisme et de journalisme, Serge Baehler a décidé de réorienter sa carrière professionnelle. Nommé secrétaire adjoint au Département de l'instruction publique du canton de Genève, le rédacteur en chef de L'Evénement syndical consacrera désormais ses compétences à la politique éducative. Anecdote symbolique, son départ coïncide avec l'entrée du journal dans sa 10e année, journal qu'il a fondé avec Jean-Claude Rennwald, membre du comité directeur d'Unia. Avant de tourner la page et d'embrasser une autre bonne cause, la figure de proue de L'ES accepte de revenir sur quelques événements marquants de son parcours. Et donne son point de vue sur des thèmes récurrents qui l'ont jalonné.
Fabrique de skis Authier, Bière, mars 1994... Une grève éclate suivie d'une prise de contrôle de l'usine par les travailleurs. Durant plusieurs mois, le personnel assume seul la gestion de l'entreprise. Le matériel vendu sert à payer les arriérés de salaires. La lutte se poursuit jusqu'à épuisement des stocks. Parmi les personnes en première ligne, Serge Baehler. Secrétaire SIB, celui-ci intervient à ce titre et en tant que rédacteur. Son implication dans ce conflit illustre le double engagement qui a toujours été le sien: celui de syndicaliste d'abord - sa profession de foi - et de journaliste. Une tâche «secondaire» à laquelle il se consacrera entièrement par la suite et qui l'amènera à relater sans relâche les causes embrassées par le syndicat dont certaines reviennent avec récurrence. Florilège et commentaires à brûle-pourpoint.
Que t'inspirent:
les questions liées à l'augmentation des salaires?
Une bagarre de tous les jours.
l'âge de la retraite?
A déterminer en fonction de la pénibilité du travail et l'employabilité des personnes. Pour moi? Chut!
l'ouverture prolongée des magasins?
Une attaque à la vie en société; la fin des congés pour tous, des soirées en famille ou entre amis au profit de la transformation des êtres humains en consommateurs.
la grève?
C'est l'arme par excellence des travailleurs; un droit constitutionnel qui, comme n'importe quel autre, doit être utilisé pour rester en vigueur. Il faut l'imposer, le banaliser.
la fusion du SIB avec la FTMH?
Une nécessité pour éviter le cul-de-sac. Une alternative aux divisions. Soit on prônait le mariage - avec les problèmes qui en découlaient - soit on entérinait une concurrence malsaine. Mais aujourd'hui il faut combler les déficits démocratiques qui entourent les fusions, promouvoir le dialogue et favoriser une participation accrue des militants et des employés.
la libre circulation des personnes?
Si tous les êtres humains doivent bénéficier de ce droit fondamental, ce dernier pose un immense défi aux syndicats pour qu'il ne crée pas de divisions entre les travailleurs.
les lois sur l'asile et les étrangers et leur durcissement respectif?
La preuve que l'UDC est devenue hégémonique en Suisse...
les sans-papiers?
Disons plutôt ceux qui n'ont pas les bons papiers. Un problème qui ne peut être résolu par des lois policières mais par une modification du système capitaliste qui sème la misère.
le 1er Mai?
Un jour de fraternité, de rappel, de fidélité au mouvement. Une date où l'on se retrouve entre amis.
Parmi les luttes menées par le syndicat, une t'a-t-elle particulièrement marquée?
La «ManiFête», une manifestation organisée le 15 septembre 1990 contre le statut saisonnier. Promu par l'aile progressiste du syndicat, cet événement - 25000 travailleurs à Berne - a ouvert la voie à un syndicalisme plus combatif. Le résultat le plus marquant de cette nouvelle orientation est sans doute l'introduction de la retraite anticipée dans la construction.
Les syndicats sont-ils aujourd'hui trop tièdes?
Nous vivons une période difficile. Nous avons affaire à des associations de patrons qui se montrent plus brutales que par le passé. Les syndicats doivent trouver leurs marques dans ce nouveau contexte.
Que retires-tu de toutes ces années d'engagement?
Le syndicat m'aura permis de rencontrer des milliers de militants, de permanents, de personnes issues de différentes cultures, provenant d'horizons professionnels multiples. Au-delà des luttes menées, ce sont ces échanges qui auront été les plus importants.
Quelle est ta vision du monde du travail?
Longtemps nous avons pensé que la progression des sciences, des techniques favoriserait l'émancipation, que le travail serait moins lourd et plus intéressant, plus participatif. Pour certains c'est le cas, mais nous assistons aussi à une explosion des emplois rébarbatifs et précaires.
Un regard plutôt amer et pessimiste...?
Non. Mais il faut constamment remettre l'ouvrage sur le métier. Rien n'est jamais acquis. Aucune pause n'est possible. Nous devons continuer à nous battre ne serait-ce que pour ne pas reculer. J'y crois encore.
Comment vois-tu l'avenir?
Les syndicats ne doivent être ni des assurances individuelles, ni des lobbies dont l'activité principale serait d'agir au niveau politique. La place du syndicat est dans l'entreprise, dans la rue.
Un mot de conclusion...
Deux souvenirs qui datent de quelques semaines: Ce lecteur frontalier qui nous demande comment s'y prendre pour offrir un abonnement à son fils «pour l'inciter à se syndiquer» et cette famille qui décide, après une interview, que le parrain de son nouveau-né sera notre journaliste. Deux «retours» de notre travail qui suffisent à mon bonheur.
Si Serge Baehler quitte la rédaction, il ne renonce pas pour autant à sa quête d'un monde meilleur. Le terrain de l'instruction publique cristallisera désormais son énergie. «L'école est l'un des derniers endroits où l'Etat a encore un rôle central. Elle est attaquée de toute part, car nous plaçons en elle les espoirs perdus ailleurs.» Nommé secrétaire adjoint au DIP de Genève, Serge Baehler se mobilisera pour que tous les jeunes, sans exception, accèdent à une instruction de qualité et bénéficient d'une égalité des chances. Futur collaborateur du socialiste et ancien syndicaliste Charles Beer, le titulaire en sciences politiques de l'Université de Genève s'engagera «pour que les 30 dernières années ne restent pas dans l'histoire comme celles qui ont vu se développer puis s'éteindre la démocratisation des études. L'accès au savoir est primordial et doit permettre aux enfants, aux jeunes, de se dépatouiller dans une vie toujours plus difficile.» Bon vent...
Propos recueillis par Sonya Mermoud
Lettre à un bâtisseur
Serge,
J'ai eu la chance de vivre avec toi l'une des plus belles aventures de ma vie, la création de L'Evénement syndical! Contrairement à ce que beaucoup croient, la mise en œuvre de ce projet n'a pas été un jeu d'enfant. Il a d'abord fallu créer un concept crédible, porteur d'un projet intersyndical avant la lettre et qui devait être davantage, sur le plan qualitatif, que la simple addition des journaux de la FTMH (La Lutte syndicale) et du SIB (Le Nouveau syndicat).
Mais il a surtout fallu convaincre les instances de nos deux organisations syndicales. Même si Christiane Brunner et Vasco Pedrina nous ont toujours soutenus, cela n'a pas forcément été facile, car tant au SIB qu'à la FTMH, les réflexes corporatistes existaient encore, de même que la peur de «se faire manger par l'autre».
Durant toute cette période, nos relations syndicales et professionnelles se sont peu à peu transformées en liens d'amitié. Et dans toutes les situations, même les plus difficiles, nous avons toujours fait front commun. Parmi d'autres facteurs, cette complicité de tous les instants a assurément joué un rôle essentiel dans la naissance du premier journal intersyndical et interprofessionnel du pays!
Nommé rédacteur en chef de L'Evénement syndical, tu es rapidement devenu le pivot central de notre nouveau journal. Et cela grâce à tes capacités d'organisation, à ton esprit d'initiative, à ta créativité, ainsi qu'à une connaissance hors du commun du mouvement syndical, de ses cadres, de ses militants et du terrain.
Par la suite, nous nous sommes battus ensemble pour que les syndicats FCTA et SEV rejoignent notre journal. Le résultat de ce processus, c'est que L'Evénement syndical a un tirage de près de 80000 exemplaires, et surtout qu'il est devenu une référence pour une grande partie du mouvement syndical en Suisse romande, mais aussi pour les milieux associatifs, politiques et économiques.
Je regrette profondément ton départ, mais je le respecte. Car après avoir passé plus de vingt ans dans le sérail syndical, tu es parfaitement en droit de donner une nouvelle orientation à ta carrière professionnelle et à ta vie personnelle.
Au moment de conclure ce message, je souhaite simplement que L'Evénement syndical poursuive sur sa lancée, et qu'il reste, comme jusqu'ici, un journal intersyndical aussi large que possible et la principale voix du syndicalisme en Suisse romande.
Au nom du conseil d'administration de L'Evénement syndical, de sa rédaction, des dirigeants, des cadres et des militantes et des militants d'Unia et du SEV, je te remercie très sincèrement pour tout ce que tu as apporté à ce journal et te souhaite bonne route pour la suite.
Salut confrère, salut collègue, salut l'ami, et merci!
Jean-Claude Rennwald, président du conseil d'administration de L'Evénement syndical
Fabrique de skis Authier, Bière, mars 1994... Une grève éclate suivie d'une prise de contrôle de l'usine par les travailleurs. Durant plusieurs mois, le personnel assume seul la gestion de l'entreprise. Le matériel vendu sert à payer les arriérés de salaires. La lutte se poursuit jusqu'à épuisement des stocks. Parmi les personnes en première ligne, Serge Baehler. Secrétaire SIB, celui-ci intervient à ce titre et en tant que rédacteur. Son implication dans ce conflit illustre le double engagement qui a toujours été le sien: celui de syndicaliste d'abord - sa profession de foi - et de journaliste. Une tâche «secondaire» à laquelle il se consacrera entièrement par la suite et qui l'amènera à relater sans relâche les causes embrassées par le syndicat dont certaines reviennent avec récurrence. Florilège et commentaires à brûle-pourpoint.
Que t'inspirent:
les questions liées à l'augmentation des salaires?
Une bagarre de tous les jours.
l'âge de la retraite?
A déterminer en fonction de la pénibilité du travail et l'employabilité des personnes. Pour moi? Chut!
l'ouverture prolongée des magasins?
Une attaque à la vie en société; la fin des congés pour tous, des soirées en famille ou entre amis au profit de la transformation des êtres humains en consommateurs.
la grève?
C'est l'arme par excellence des travailleurs; un droit constitutionnel qui, comme n'importe quel autre, doit être utilisé pour rester en vigueur. Il faut l'imposer, le banaliser.
la fusion du SIB avec la FTMH?
Une nécessité pour éviter le cul-de-sac. Une alternative aux divisions. Soit on prônait le mariage - avec les problèmes qui en découlaient - soit on entérinait une concurrence malsaine. Mais aujourd'hui il faut combler les déficits démocratiques qui entourent les fusions, promouvoir le dialogue et favoriser une participation accrue des militants et des employés.
la libre circulation des personnes?
Si tous les êtres humains doivent bénéficier de ce droit fondamental, ce dernier pose un immense défi aux syndicats pour qu'il ne crée pas de divisions entre les travailleurs.
les lois sur l'asile et les étrangers et leur durcissement respectif?
La preuve que l'UDC est devenue hégémonique en Suisse...
les sans-papiers?
Disons plutôt ceux qui n'ont pas les bons papiers. Un problème qui ne peut être résolu par des lois policières mais par une modification du système capitaliste qui sème la misère.
le 1er Mai?
Un jour de fraternité, de rappel, de fidélité au mouvement. Une date où l'on se retrouve entre amis.
Parmi les luttes menées par le syndicat, une t'a-t-elle particulièrement marquée?
La «ManiFête», une manifestation organisée le 15 septembre 1990 contre le statut saisonnier. Promu par l'aile progressiste du syndicat, cet événement - 25000 travailleurs à Berne - a ouvert la voie à un syndicalisme plus combatif. Le résultat le plus marquant de cette nouvelle orientation est sans doute l'introduction de la retraite anticipée dans la construction.
Les syndicats sont-ils aujourd'hui trop tièdes?
Nous vivons une période difficile. Nous avons affaire à des associations de patrons qui se montrent plus brutales que par le passé. Les syndicats doivent trouver leurs marques dans ce nouveau contexte.
Que retires-tu de toutes ces années d'engagement?
Le syndicat m'aura permis de rencontrer des milliers de militants, de permanents, de personnes issues de différentes cultures, provenant d'horizons professionnels multiples. Au-delà des luttes menées, ce sont ces échanges qui auront été les plus importants.
Quelle est ta vision du monde du travail?
Longtemps nous avons pensé que la progression des sciences, des techniques favoriserait l'émancipation, que le travail serait moins lourd et plus intéressant, plus participatif. Pour certains c'est le cas, mais nous assistons aussi à une explosion des emplois rébarbatifs et précaires.
Un regard plutôt amer et pessimiste...?
Non. Mais il faut constamment remettre l'ouvrage sur le métier. Rien n'est jamais acquis. Aucune pause n'est possible. Nous devons continuer à nous battre ne serait-ce que pour ne pas reculer. J'y crois encore.
Comment vois-tu l'avenir?
Les syndicats ne doivent être ni des assurances individuelles, ni des lobbies dont l'activité principale serait d'agir au niveau politique. La place du syndicat est dans l'entreprise, dans la rue.
Un mot de conclusion...
Deux souvenirs qui datent de quelques semaines: Ce lecteur frontalier qui nous demande comment s'y prendre pour offrir un abonnement à son fils «pour l'inciter à se syndiquer» et cette famille qui décide, après une interview, que le parrain de son nouveau-né sera notre journaliste. Deux «retours» de notre travail qui suffisent à mon bonheur.
Si Serge Baehler quitte la rédaction, il ne renonce pas pour autant à sa quête d'un monde meilleur. Le terrain de l'instruction publique cristallisera désormais son énergie. «L'école est l'un des derniers endroits où l'Etat a encore un rôle central. Elle est attaquée de toute part, car nous plaçons en elle les espoirs perdus ailleurs.» Nommé secrétaire adjoint au DIP de Genève, Serge Baehler se mobilisera pour que tous les jeunes, sans exception, accèdent à une instruction de qualité et bénéficient d'une égalité des chances. Futur collaborateur du socialiste et ancien syndicaliste Charles Beer, le titulaire en sciences politiques de l'Université de Genève s'engagera «pour que les 30 dernières années ne restent pas dans l'histoire comme celles qui ont vu se développer puis s'éteindre la démocratisation des études. L'accès au savoir est primordial et doit permettre aux enfants, aux jeunes, de se dépatouiller dans une vie toujours plus difficile.» Bon vent...
Propos recueillis par Sonya Mermoud
Lettre à un bâtisseur
Serge,
J'ai eu la chance de vivre avec toi l'une des plus belles aventures de ma vie, la création de L'Evénement syndical! Contrairement à ce que beaucoup croient, la mise en œuvre de ce projet n'a pas été un jeu d'enfant. Il a d'abord fallu créer un concept crédible, porteur d'un projet intersyndical avant la lettre et qui devait être davantage, sur le plan qualitatif, que la simple addition des journaux de la FTMH (La Lutte syndicale) et du SIB (Le Nouveau syndicat).
Mais il a surtout fallu convaincre les instances de nos deux organisations syndicales. Même si Christiane Brunner et Vasco Pedrina nous ont toujours soutenus, cela n'a pas forcément été facile, car tant au SIB qu'à la FTMH, les réflexes corporatistes existaient encore, de même que la peur de «se faire manger par l'autre».
Durant toute cette période, nos relations syndicales et professionnelles se sont peu à peu transformées en liens d'amitié. Et dans toutes les situations, même les plus difficiles, nous avons toujours fait front commun. Parmi d'autres facteurs, cette complicité de tous les instants a assurément joué un rôle essentiel dans la naissance du premier journal intersyndical et interprofessionnel du pays!
Nommé rédacteur en chef de L'Evénement syndical, tu es rapidement devenu le pivot central de notre nouveau journal. Et cela grâce à tes capacités d'organisation, à ton esprit d'initiative, à ta créativité, ainsi qu'à une connaissance hors du commun du mouvement syndical, de ses cadres, de ses militants et du terrain.
Par la suite, nous nous sommes battus ensemble pour que les syndicats FCTA et SEV rejoignent notre journal. Le résultat de ce processus, c'est que L'Evénement syndical a un tirage de près de 80000 exemplaires, et surtout qu'il est devenu une référence pour une grande partie du mouvement syndical en Suisse romande, mais aussi pour les milieux associatifs, politiques et économiques.
Je regrette profondément ton départ, mais je le respecte. Car après avoir passé plus de vingt ans dans le sérail syndical, tu es parfaitement en droit de donner une nouvelle orientation à ta carrière professionnelle et à ta vie personnelle.
Au moment de conclure ce message, je souhaite simplement que L'Evénement syndical poursuive sur sa lancée, et qu'il reste, comme jusqu'ici, un journal intersyndical aussi large que possible et la principale voix du syndicalisme en Suisse romande.
Au nom du conseil d'administration de L'Evénement syndical, de sa rédaction, des dirigeants, des cadres et des militantes et des militants d'Unia et du SEV, je te remercie très sincèrement pour tout ce que tu as apporté à ce journal et te souhaite bonne route pour la suite.
Salut confrère, salut collègue, salut l'ami, et merci!
Jean-Claude Rennwald, président du conseil d'administration de L'Evénement syndical