Repair Café participatif, le premier jeudi du mois au Centre socioculturel Pôle Sud (Av. J.-J. Mercier 3), voir sur: polesud.ch
Au Portugal ou en Suisse, Dina Müller fourmille de projets. Elle a cocréé des Repair Café là-bas et ici
Femme de terrain et d’expériences, créatrice de liens, Dina Müller est une héroïne du quotidien qui parle avec générosité de sa vie, et surtout de celle des autres. Bénévole au grand cœur, elle est celle qu’on surnomme Mère Teresa dans son quartier lausannois. Sa boîte aux lettres se remplit régulièrement de dossiers à traiter, son téléphone ne cesse de sonner. Elle vient en aide à des immigrés pour une recherche d’emploi ou d’appartement, ou encore pour une explication sur le système suisse afin d’éviter aléas et spirale de l’endettement. Financièrement, en tant qu’indépendante, elle travaille comme couturière, aide à domicile pour des personnes âgées et dans le secteur du nettoyage. Et pourtant, au Portugal, cette femme-orchestre n’avait jamais fait le ménage…
Le Portugal
Irundina, dont le diminutif s’imposera très vite, est née en Angola en 1968. Elle a 5 ans quand sa famille, dont cinq frères et sœurs, retourne dans leur village natal du Portugal. «J’ai eu de la chance de grandir entourée de personnes magnifiques. On n’est rien sans les autres», raconte-t-elle, très élogieuse notamment à l’égard de son grand-père, son mentor. «Il m’a appris une chose essentielle qui m’accompagne tous les jours: “Si tu vois quelqu’un par terre, tu lui donnes la main pour qu’il se lève. Sinon tu risques de tomber sur lui.”» Et de le citer plus précisément en portugais: «Quando, no teu caminho, encontrares alguém no châo, dá-lhe a mão para o ajudares a levantar-se, porque na tua cegueira de seguir em frente, podes tropecar nele.»
Cette phrase et un livre, lu à 7 ans déjà, Le train de la mort de Christian Bernadac sur les déportations pendant la Seconde Guerre mondiale, constituent le fil rouge de sa vie: être aux côtés des gens dans le besoin. «Depuis, je rêve d’un monde d’entraide», explique-t-elle.
Enfant, elle apprend la couture avec sa mère. «Elle faisait des robes sur mesure, comme des gants.» Mais la fibre sociale de Dina lui fait choisir le métier d’infirmière, puis d’ambulancière. Elle se marie et met au monde un garçon en 1990. A Viseu, dans sa luxueuse maison, Dina Pestana élève son fils et six autres enfants en tant que famille d’accueil, des chiens et des chats, emploie femmes de ménage et jardiniers, tout en gérant un atelier d’artisanat (bijoux, poupées en tissu…). Très sensible à l’environnement, elle est interpellée par la vitesse à laquelle les consommateurs jettent les choses, notamment les smartphones, tout comme par l’extrême pollution générée par l’industrie de la mode. Cette conscience aiguë l’amène à fonder avec des amis un Repair Café pour réparer plutôt que jeter, tout en créant du lien.
Dans l’ombre, son époux aussi riche que maladivement jaloux lui fait subir une violence extrême. Un enfer qu’elle a aujourd’hui surmonté. «Je ne ressens même plus de haine contre lui», déclare-t-elle, avec calme. Mais son empathie envers les femmes agressées, surtout dans leur périple migratoire, en est décuplée.
La Suisse
Elle divorce, part à Porto, refait sa vie, et rencontre son futur mari. «Il descendait les fleuves à pied, de la source à son embouchure», se souvient-elle. Il est Suisse, elle prend son nom, puis son envol en 2016 pour ce pays qu’elle s’imagine être un paradis. «Quelle douche glacée! se souvient Dina Müller. Le pays est riche, mais pas les gens.» Celle qui avait l’habitude de se vêtir et de se maquiller «comme une star» commence alors sa mue. Elle se rend à l’orientation professionnelle qui l’envoie chez Unia pour se renseigner sur une formation «propreté». «Je ne savais même pas ce que ce mot signifiait. Et je ne faisais jamais le ménage au Portugal. Au syndicat, vu mon parcours, on m’a conseillé de faire autre chose.» Cinq ans après, la quinquagénaire maîtrise le français avec maestria, mais se résout toutefois, entre autres travaux, à faire des ménages. «La fois où j’ai dû laver un container à poubelles, j’ai vomi pendant deux heures. Les concierges ont depuis toute mon admiration», raconte celle qui se maquille moins, ne marche plus avec de hauts talons, mais continue à porter chapeau et vêtements très colorés de sa confection.
Dina Müller propose des ateliers d’art, de couture, de coiffure et d’informatique dans différentes organisations et milieux associatifs, avec toujours cet amer constat: «J’ai rencontré des personnes immigrées qui ont des talents que la Suisse ne veut même pas voir. Tout est centré sur les diplômes, alors que leurs expériences et leur savoir-faire sont incroyables. Au final, tout le monde est perdant.» Elle-même fourmille de projets, et souhaiterait travailler comme animatrice socioculturelle. «Je crois avoir toutes les compétences, mais il faut un diplôme qui nécessite du temps et de l’argent que je n’ai pas.»
Une large part de ses journées est consacrée à ses activités bénévoles. Sa palette de rencontres est aussi large que son cœur. «Des gens très riches ont parfois juste besoin d’être écoutés. Et je sais qu’ils vont m’aider pour soutenir d’autres personnes bien moins loties. J’accompagne des Italiens, des Espagnols, des Portugais dans certaines démarches. Aux requérants d’asile, je ne leur demande jamais d’où ils viennent, mais ce qu’ils veulent faire de leur vie. Quel est leur but?»
De son côté, elle rêve d’un lieu réservé aux échanges de savoir et de troc. Pour l’heure, elle a créé, de nouveau avec des amis, un Repair Café participatif*. «L’idée n’est pas de concurrencer des réparateurs ou des couturiers, mais de permettre à chacun, même ceux qui croient avoir deux mains gauches, de prolonger la vie de leur objet», explique celle pour qui la connaissance, le savoir-faire, les expériences de vie doivent être partagés comme les semences d’une plante doivent quitter la main du jardinier pour avoir la chance de grandir.