Travail forcé: davantage de victimes et des profits faramineux
Le travail contraint dans le secteur privé a augmenté, selon une nouvelle étude internationale consacrée à la question
Victimes et gains en hausse: en 2021, selon la dernière étude de l’Organisation internationale du travail (OIT), le travail forcé concernait 27,6 millions de personnes dans le monde, soit 3,5 individus pour mille. Un chiffre qui a augmenté ces dernières années, de même que les profits qui lui sont associés. Ce fléau génère, dans l’économie privée, 236 milliards de dollars de bénéfices illégaux par an, soit, depuis sept ans, 37% de plus. Une progression qualifiée de spectaculaire par l’OIT, qui tient et à l’augmentation du nombre des victimes et à des rendements plus élevés. Le phénomène, peut-on encore lire dans la recherche, concerne la planète entière, aucune région n’étant épargnée. La plus forte concentration des cas en proportion de la population s’observe dans les Etats arabes avec 5,3 personnes pour mille, suivis de l’Europe et de l’Asie centrale (4,4 pour mille), des Amériques, et de l’Asie et Pacifique (3,5 pour mille) et de l’Afrique (2,9 pour mille). Le secteur privé concentre la majorité des situations de travail forcé, soit près de 9 sur 10. Les 63% de ces cas concernent l’exploitation par le travail et touchent tous les domaines professionnels – industrie, services, agriculture, économie domestique. L’exploitation à des fins sexuelles commerciales représente, elle, 23% des cas. La majorité des victimes sont des filles et des femmes et, pour un quart environ, des enfants. Les 14% restants sont imputés à du travail forcé par l’Etat (non étudié dans la recherche). Des centaines de milliers d’hommes et de femmes sont par ailleurs contraints de mendier dans les rues ou de se livrer à des activités illicites.
Des milliards de dollars à la clé
Le rapport de l’OIT estime que les trafiquants et les criminels génèrent près de 10000 dollars par victime de travail forcé, contre 8269 dollars il y a dix ans. Ces pratiques coercitives rapportent à l’Europe et à l’Asie les gains illégaux les plus élevés, soit 84 milliards de dollars annuels, devant l’Asie et Pacifique (62 milliards), les Amériques (52 milliards), l’Afrique (20 milliards) et les Etats arabes (18 milliards). L’exploitation sexuelle commerciale génère les bénéfices les plus juteux représentant 73% du total des profits. Et cela quand bien même le nombre de victimes n’équivaut qu’aux 27% de l’ensemble. Viennent ensuite les secteurs de l’industrie avec 35 milliards de dollars, des services (20,8 milliards), de l’agriculture (5 milliards) et du travail domestique (2,6 milliards). Ces profits illégaux correspondent aux salaires qui reviennent de droit aux travailleurs, mais qui restent dans les mains de leurs exploiteurs.
Perpétuation des cycles de pauvreté
«Les personnes contraintes au travail forcé sont soumises à de multiples formes de coercition, la rétention délibérée et systématique des salaires étant l’une des plus courantes. Le travail forcé perpétue les cycles de pauvreté et d’exploitation et porte atteinte à la dignité humaine. Nous savons aujourd’hui que la situation n’a fait qu’empirer. La communauté internationale doit s’unir d’urgence pour prendre des mesures afin de mettre fin à cette injustice, protéger les droits des travailleurs et défendre les principes d’équité et d’égalité pour tous», a déclaré Gilbert Houngbo, directeur général de l’OIT, s’exprimant par voie de communiqué.
Dans ce contexte, les auteurs du rapport soulignent le besoin urgent de prendre des dispositions propres à endiguer le flux des profits illégaux et à traduire leurs auteurs en justice. Renforcement des cadres juridiques, formation des responsables chargés de la mise en œuvre des lois, extension de l’inspection du travail aux secteurs à hauts risques et amélioration de la coordination entre l’application du droit du travail et du doit pénal figurent parmi les solutions préconisées. Ces dispositions doivent, selon l’OIT, s’inscrire encore dans une approche globale «qui s’attaque en priorité aux causes profondes et protège les victimes» sans laquelle, estime-t-elle, le travail forcé ne pourra pas être éradiqué.