Face à la crise, une dynamique sociale à amplifier
Syndicaliste depuis vingt ans, Kıvanç Eliaçık est responsable des relations internationales de la DİSK, la Confédération des syndicats révolutionnaires de Turquie. Forte de plus de 200000 membres présents dans un grand nombre de secteurs économiques, la DİSK est reconnue comme une organisation combative et proche des mouvements politiques de gauche. Interview
Du point de vue des travailleurs, quels sont les événements les plus marquants de l’histoire turque depuis 1923?
Notre histoire est jalonnée de grandes grèves et d'importants mouvements syndicaux. Le massacre du 1ermai 1977 est un des jalons de l'histoire républicaine. Au cours de la manifestation organisée par la DİSK, plus de 40 personnes ont été tuées au cœur de la ville d'Istanbul, sur la place Taksim, par des tirs de fusil et de pistolet. On ne sait toujours pas qui sont les auteurs de ce massacre.
La «résistance des travailleurs» des 15 et 16 juin 1970 est un autre événement marquant. Il s'agit d'une grève générale et d’un soulèvement de la classe ouvrière contre un projet de loi sur le travail qui visait à modifier les activités et les droits des syndicats. C’est un succès. Mais, à la suite du coup d'Etat de 1980, la junte a fait adopter exactement la même loi liberticide.
Elle est toujours en vigueur et, aujourd'hui, selon la Confédération syndicale internationale, la Turquie fait partie des dix pires pays du monde pour les travailleurs. Dans ce groupe, nous sommes le seul pays qui soit candidat à l'Union européenne, membre de l'OCDE et du G20.
Comment cela se manifeste-t-il? Pouvez-vous donner des exemples?
Les lois restreignent fortement les activités syndicales. Adhérer à un syndicat est assez compliqué et il est très difficile de signer une convention collective. Le droit de grève est très limité.
De plus, nous sommes victimes de répressions de la part des autorités. La détention ou l'emprisonnement d'un syndicaliste n’est pas un fait inhabituel. Les activités syndicales, les réunions ou les manifestations sont souvent interdites ou bloquées par la police.
Devez-vous parfois opérer dans la clandestinité?
C’est souvent le cas, car adhérer à un syndicat est un motif de licenciement très fréquent. Pour démarrer un processus de négociations collectives, il faut syndiquer au moins la moitié des employés d'un lieu de travail. Donc, nous devons d’abord recruter de nouveaux membres de manière clandestine. Les réunions syndicales se déroulent secrètement en différents groupes qui parfois ne se connaissent pas entre eux. Nous fonctionnons comme cela au niveau de l'usine, mais au niveau national toutes nos actions et nos idées sont transparentes. Le gouvernement peut nous arrêter, utiliser des gaz lacrymogènes, interdire nos activités, nous continuerons à dire ce que nous pensons.
Actuellement, quelles sont vos principales actions ou campagnes au niveau national?
Nous militons pour que le système de retraite soit plus équitable et que les retraités aient de meilleures pensions. Nous faisons également campagne pour une plus grande justice fiscale. Nous demandons qu’un système d'imposition progressif soit établi. Nous avons actuellement un taux unique et les grandes entreprises bénéficient de nombreux avantages. Nous souhaitons que les riches, les grandes entreprises et les activités financières soient davantage taxés et que les plus pauvres le soient moins.
Avec la crise économique qui s’approfondit en Turquie, est-ce que vous avez observé une mobilisation accrue des travailleurs?
L’agitation est grande dans la société et sur les lieux de travail. Les gens sont mécontents. Nous avons toujours été une nation protestataire qui aime organiser des manifestations, ce n'est malheureusement plus le cas. Nous sommes moins en mesure d'organiser de grandes manifestations qu’avant. Les causes sont multiples: la pandémie, les attentats de l’Etat islamique qui ont ciblé un cortège de manifestants en 2015, et puis la limitation de la liberté d'expression et de la liberté de réunion à la suite du coup d'Etat manqué de 2016. Mais tout de même, nous dénombrons beaucoup de grèves, de manifestations et de rassemblements sur les lieux de travail. Par exemple, les employés de l’usine Colgate-Palmolive ont obtenu l’été dernier une hausse de salaire de 66% après une grève de 17 jours.