Géorgie: la contestation contre le gouvernement s’inscrit dans la durée

«Je suis favorable à l’organisation d’une grève plus dure et au blocage non seulement de la capitale mais du pays tout entier», affirme Lela Jobava, journaliste et activiste.
Malgré la répression, les Géorgiens sont dans la rue depuis fin novembre pour dénoncer les fraudes électorales et le tournant prorusse et autoritaire du gouvernement. Le mouvement citoyen est aujourd’hui confronté à de nombreux défis pour atteindre ses objectifs.
Cela fait déjà plus de deux mois que les Géorgiens descendent chaque soir dans les rues pour dénoncer la suspension des négociations d’adhésion avec l’UE annoncée le 28 novembre dernier. Les citoyens appellent aussi à la tenue de nouvelles élections libres et transparentes, alors que le scrutin frauduleux du 26 octobre a reconduit le parti Rêve Géorgien au pouvoir pour quatre ans.
«Brûlons l’oligarchie» est devenu un des slogans les plus populaires parmi les manifestants qui dénoncent la mainmise de l’oligarque Bidzina Ivanichvili sur la nation caucasienne de 3,7 millions d'habitants. Cet homme d’affaires, âgé de 68 ans et fondateur du Rêve Géorgien, gouverne en sous-main le pays depuis 2012. Sa fortune est estimée à 25% du PIB national, il contrôle une grande partie de l’économie et des médias, toutes les institutions politiques, la justice et la police. En contradiction avec les aspirations européennes et démocratiques de la population, il a progressivement orienté son régime vers une ligne prorusse et une gouvernance autoritaire.
Crise des droits humains
D’après le rapport 2025 de l’ONG Human Rights Watch, le Rêve Géorgien a conduit en 2024 le pays à une «crise des droits humains». Encore impensable voici quelques années, la répression des manifestations pacifiques a été marquée par un usage planifié de la violence et de nombreux cas de mauvais traitements et de torture. Une quarantaine de citoyens arrêtés depuis fin novembre sont toujours incarcérés, dont la journaliste Mzia Amaglobeli qui a démarré une grève de la faim le 12 janvier.
Malgré la mobilisation populaire, le gouvernement campe sur ses positions et n’envisage ni l’organisation de nouvelles élections, ni la libération des prisonniers politiques, exacerbant une des plus graves crises politiques que traverse le pays depuis son accession à l’indépendance en 1991. «Nous sommes dans une confrontation entre la rue et le régime. Nous n’avons aucune certitude, l’évolution de la situation dépendra du rapport de force et tous les scénarios sont possibles», estime Davit Zedelashvili, juriste proche de l’opposition.
Organisation horizontale
La crise pourrait se prolonger pendant des semaines, voire des mois, et aboutir soit à un compromis concernant la tenue de nouvelles élections, soit à l’effondrement du régime ou encore à sa consolidation grâce à une répression plus féroce.
«Ce mouvement n’est dirigé par personne, les citoyens continuent de se battre malgré les violences et les traitements inhumains, car ils savent que ce sera bien pire s’ils s’arrêtent, affirme Katie Shoshiashvili, chercheuse à Transparency International Georgia. Nous aurons alors dans notre pays une autocratie de type russe, ce qui enterrera notre souveraineté et notre démocratie.»
L’organisation horizontale et l’absence d’institutionnalisation du mouvement est une force face à la répression, mais aussi une faiblesse pour pouvoir mener des actions sur les lieux de travail.
Purge des voix critiques
Dans la fonction publique, certaines initiatives de syndicalisation arrivent tard face à la purge des voix critiques. L’absence d’organisation collective des travailleurs caractérise aussi le secteur privé. Mais une initiative partagée sur les réseaux sociaux a permis d’organiser une grève de trois heures le 15 janvier dernier, principalement suivie dans la capitale Tbilissi. De nombreux employés du secteur des services ont cessé le travail et certains commerces ont baissé le rideau. La grève était aussi soutenue par des employeurs opposés à la dérive autoritaire et prorusse du Rêve Géorgien. Près de 2500 entreprises se sont regroupées dans la plateforme Free Business et ont signé une déclaration demandant la tenue de nouvelles élections.
Combattre la désinformation
Le mouvement citoyen est aujourd’hui confronté à plusieurs défis: l’endurance, l’élargissement de la mobilisation et de la diversification des modes d’action. «Je suis favorable à l’organisation d’une grève plus dure et au blocage non seulement de la ville mais du pays tout entier», affirme la journaliste et activiste Lela Jobava. Les propositions d’action sont principalement discutées sur le groupe Facebook Daitove qui rassemble 255000 membres. Dimanche dernier, les manifestants ont partiellement bloqué la principale entrée routière de Tbilissi à l’appel de Daitove.
«Nous devons être actifs sur les réseaux sociaux pour combattre la désinformation. Les partis d’opposition et les ONG doivent travailler avec les partenaires américain et européens pour augmenter les sanctions contre le Rêve Géorgien», soutient de son côté Data Kharaishvili, un manifestant qui avait été arrêté et tabassé début décembre.
D’après l’ONG Transparency International, près de 150 responsables liés au Rêve Géorgien – dont Bidzina Ivanichvili – font actuellement l’objet de sanctions (principalement des interdictions de séjour) de la part des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de quelques pays européens. Les manifestants espèrent que les pressions internationales, couplées à une mobilisation domestique sans faille, ébranleront progressivement le régime du Rêve Géorgien.