Afro-Equatorienne, Maria Folleco a vécu douze ans sans statut légal avant de recevoir son sésame
Maria Folleco porte en elle plusieurs histoires collectives. Celle des descendants d’esclaves africains en Amérique latine, celles des femmes qui élèvent seules leurs enfants, celles des employées domestiques sans papiers.
Son premier cri, elle le pousse dans le hameau de la Concepción au nord-est de l’Equateur il y a plus de 60 ans. Ses parents sont de petits paysans, analphabètes, cultivant canne à sucre, coton, bananes et légumes. Maria, elle, aime étudier. Encouragée par un enseignant à la fin de l’école primaire déjà, la jeune femme entre à l’Université de Quito, la capitale.
En marge de ses études, elle élève ses deux enfants et travaille comme domestique. Avant de faire face au décès de son époux. Elle terminera, malgré tout, ses études de Lettres, avec brio. Mais la discrimination raciale étant très forte dans le pays, l’Afro-Equatorienne ne trouve pas d’emploi fixe en tant que professeure de littérature espagnole.
L’universitaire continue de travailler comme employée domestique. Et, quelques années plus tard, avec son nouveau compagnon, elle met au monde deux petites filles. «Quand on s’est quittés, j’ai dû me débrouiller avec mes quatre enfants. C’était impossible de trouver un équilibre financier», se souvient-elle.
La Suisse par hasard
En 1997, alors que la situation économique et politique de l’Equateur est des plus instables, elle décide de se rendre en Angleterre. Ses aînés sont assez grands pour se débrouiller. Quant aux deux petites, c’est leur grand-père qui les prendra sous son aile. Mais juste avant de partir, la Grande-Bretagne change sa politique de visa en le rendant obligatoire aux Equatoriens, ce qui oblige Maria Folleco à modifier sa destination. «L’agence de voyages m’a proposé la Suisse. J’ai accepté. Je savais seulement que c’était un pays neutre.»
En arrivant à Genève, elle demande l’asile avec pour motif le racisme subi dans son pays. Elle passe une semaine dans la prison de l’aéroport, puis est hébergée dans un centre d’accueil pour réfugiés où elle tombe en dépression. «Deux mois plus tard, j’ai reçu une réponse négative à ma demande d’asile. J’ai cherché de l’aide auprès d’amies péruviennes qui m’ont soutenue pour trouver du travail et sous-louer une chambre.» De requérante d’asile, Maria Folleco devient sans-papiers. Elle fait du baby-sitting et des ménages, avec chaque jour cette même pensée lancinante: je vais rentrer bientôt. «Même si on est illégale, même si c’est difficile, on se sent prisonnière de la situation économique en Equateur. Là-bas, je n’aurais rien pu offrir à mes enfants. On aurait été ensemble, mais mal.»
Elle survit avec quelques centaines de francs par mois, envoie le reste de ses maigres revenus à son père. «Jusqu’à aujourd’hui, il m’est très reconnaissant. Mes enfants ont pu étudier grâce à l’argent gagné ici. C’est un moyen de récupérer de la dignité, même si les Afro-Equatoriens, comme les Indiens, sont toujours discriminés.»
De l’art d’être invisible
Pendant ces années sans statut légal, Maria Folleco fait tout pour ne pas se faire remarquer. «Un jour, je me souviens, j’attendais le bus quand les policiers se sont arrêtés devant moi. J’ai cru que c’était fini. Je me suis dit: “Seigneur! Que la terre s’ouvre et me mange!” Et ils ont pris un homme juste derrière moi qui avait fui l’hôpital psychiatrique de Marsens», raconte-t-elle encore avec émotion.
Dans son petit appartement fribourgeois, l’hôte offre café et biscuits, et s’éclipse juste un instant après avoir entendu une sonnerie. «Je réponds à Madame, et j’arrive», lance celle qui vit et fait le ménage dans cette jolie maison au jardin verdoyant.
Son très bon français, elle l’a appris grâce à un enfant surtout. «Je regardais avec lui des dessins animés. Quand je parlais, il me corrigeait tout le temps. Lui, sa sœur puis son petit frère ont été un cadeau du ciel. Je leur ai donné tout l’amour que je n’ai pas pu offrir aux miens. Je travaille encore dans cette famille, vingt ans plus tard, où je suis invitée à chaque Noël et anniversaire.»
Lutte des sans-papiers
En juin, Maria Folleco était présente à la fête de célébration des 20 ans de l’occupation de l’église Saint-Paul à Fribourg. C’est en 2001 qu’elle rejoint timidement le mouvement des sans-papiers fribourgeois. Et devient rapidement l’une des porte-parole. De juin à septembre, elle occupe avec d’autres l’église Saint-Paul, puis l’espace Fri Art. «J’ai lutté, avec Lionel, Sandra, Gaëtan, Jean et tous les autres, alors que je savais que je n’entrais pas dans les critères de régularisation. Je voulais aider. Quelques familles ont eu des papiers grâce à ce combat.»
Maria Folleco attendra encore huit ans avant de déposer sa demande. «C’était risqué. Je savais que cela tenait à un fil, mais je ne voulais plus vivre avec ce sentiment de peur.» En 2009, après plus d’une année d’attente fébrile, elle apprend que la décision est positive. «J’ai pleuré de joie! C’était comme si je venais de renaître, de revenir à la vie, comme si mes pieds pouvaient de nouveau marcher. Jusque-là, j’avais le sentiment d’être une morte-vivante, comme si je n’existais pas.» Après avoir passé douze ans sans sortir de Suisse, elle peut enfin retourner voir sa famille. En février 2010, à l’aéroport de Quito, elle s’agenouille et embrasse sa terre natale. «Avec mes enfants, pendant une semaine, on a parlé jusqu’à 4 ou 5 heures du matin. On a dû beaucoup s’expliquer, car ils étaient fâchés de mon absence. Je ne souhaite à personne de faire ce que j’ai fait.» Maria Folleco dit aujourd’hui ne se sentir ni d’ici ni de là-bas. Elle pense à se naturaliser tout en souhaitant perfectionner son français, rêve de pouvoir voyager de nouveau en Equateur et connaître mieux ses origines congolaises. Une femme aux multiples mondes qui, à la fin de l’entretien, enfile sa blouse de travail pour aller faire le ménage dans une maison voisine, le sourire lumineux.