Témoignages de deux militantes de longue date
Simone Chapuis-Bischof, 89 ans, membre d’honneur de l’ADF, après avoir été présidente de la section lausannoise (1971-1975), vaudoise (1974-1980) et suisse (1988-1995):
« Les pionnières ne sont plus de ce monde, mais j’aime raconter l’histoire des suffragistes que j’ai commencé à fréquenter dans les années 1960 pour une question d’inégalité salariale. Les salaires de la fonction publique vaudoise allaient être augmentés, de façon linéaire, mais cela avait pour conséquence d’accroître l’écart entre les salaires féminins et les salaires masculins. J’ai rejoint un groupe de militantes et nous avons alerté tous les groupes, associations et partis qui pouvaient nous aider, comme, par exemple, le Syndicat des services publics. Et nous avons obtenu l’égalité de salaires dans la fonction publique vaudoise en 1967.
Comme j’avais adhéré à l’Association suisse pour le suffrage féminin (ASSF), j’ai milité pour le droit de vote au niveau fédéral. Nous étions souvent invitées à la radio par la journaliste Marie-Claude Leburgue qui nous a beaucoup formées au féminisme et appris à être à l’aise devant un micro. Dans les villages, on organisait des débats en faisant attention à ce que les oratrices et les orateurs soient toujours de partis différents. Reste qu’au fond de la salle, il y avait toujours des opposants de la Ligue vaudoise pour ronchonner et dire que les femmes devaient retourner à leur cuisine.
Le 7 février 1971, je me souviens de l’image de Gertrude Girard-Montet, présidente de l’ASSF, filmée au moment où l’on annonçait que 14 cantons avaient voté OUI. Ce qui voulait dire qu’on avait gagné! Celle qui allait devenir la première conseillère nationale vaudoise en 1974 était à la Télévision, alors qu’on m’avait envoyée à la Radio. Je devais répondre à des questions d’auditeurs dont certains s’offusquaient que le droit de vote soit accordé aux femmes alors qu’elles n’accomplissaient pas leur service militaire. L’ASSF a ensuite changé de nom pour devenir l’Association suisse pour les droits de la femme (ADF). Nous avons proposé beaucoup de cours d’éducation civique, car le taux d’absentéisme des femmes, pas habituées à voter, était encore plus élevé qu’aujourd’hui. En 60 ans, on a obtenu beaucoup de choses. Et les dernières élections en 2019 en sont la preuve. Mais ce n’est pas suffisant. Il faut régler enfin le problème de l’égalité des salaires dans tous les métiers en sanctionnant les entreprises qui ne la pratiquent pas. »
Josiane Greub, 75 ans, membre de l’ADF Neuchâtel, de la Grève des femmes et de la Marche mondiale des femmes:
« Dans les années 1960, à Genève, je me sentais peu concernée par le droit de vote. Je me souviens toutefois avoir voté à 20 ans au niveau communal ou cantonal, mais je ne sais plus sur quel sujet. Je n’étais pas dans un milieu où l’on parlait politique et égalité. J’ai pourtant vécu dans un milieu ouvrier où l’on discutait de la défense de la classe ouvrière dans son ensemble. Ma mère, malgré sa grande liberté de pensée et son féminisme discret, n’est jamais allée voter. Mon père non plus.
En général, la place des femmes était liée à la religion, aux soins des enfants et au ménage. On ne pensait pas qu’elles puissent prendre des décisions différentes de celles de leur mari. C’était une époque où elles ne pouvaient pas ouvrir un compte en banque sans l’aval de leur époux. Les femmes ont été utilisées dans le monde du travail en fonction des besoins. Pour compléter les revenus de leurs maris ouvriers mal payés, elles travaillaient à domicile dans l’assemblage de pièces. Elles aidaient l’industrie tout en restant à la maison. Si un couple d’enseignants postulait dans un établissement, l’homme était privilégié et l’épouse reléguée tout en bas de la liste des candidats. Car on estimait alors que le ménage avait un salaire suffisant et que la femme était mieux au foyer.
Ma militance est née lorsque je suis arrivée à La Chaux-de-Fonds et que ma belle-mère, Marguerite Greub, première femme élue au Conseil général de la Ville, m’a convaincue. Elle m’a embarquée dans l’ADF. Et, depuis, je n’ai pas arrêté.
On a vécu des avancées extraordinaires avec le droit de vote, le nouveau droit matrimonial, la dépénalisation de l’avortement et les élections de 2019, fruit de la conjonction de la grève du 14 juin et de la vague verte. Mais chaque droit conquis peut toujours être remis en question. La célébration des 50 ans du droit de vote des femmes m’évoque l’importance de leur longue lutte, et de la vigilance toujours nécessaire. L’augmentation de l’âge de la retraite sous prétexte d’égalité est une fausse égalité. Les postes dirigeants restent majoritairement aux mains des hommes et le partage des tâches n’est pas acquis, sans compter les inégalités salariales et les métiers féminins toujours mal payés. »