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Une trace de Papyrus

Grande séance d'information Papyrus en 2017.
© Eric Roset

En février 2017, une grande soirée d’information a été organisée pour présenter l’opération Papyrus.

Un livre essentiel retrace l’histoire de l’opération inédite de régularisation de sans-papiers à Genève

«Les immigrés ne devraient pas être perçus comme une réserve de main-d’œuvre taillable et corvéable à merci, internationalement mobile au gré des besoins.» En guise d’épigraphe, ces mots de Guy Ryder, directeur de l’Organisation internationale du travail, introduisent Papyrus – La combinaison gagnante. Un ouvrage coécrit par «deux citoyennes ordinaires», Martine Schweri et Laurence Bolomey, soucieuses «de laisser une trace de ce projet pilote» unique en Suisse. Le livre remonte aux origines de Papyrus, cette opération de régularisation de sans-papiers à Genève, et décrypte le processus. Entre autres gages de sa réussite: l’implication de la Confédération, du Conseil d’Etat, des associations de soutien aux sans-papiers et des syndicats, de longues négociations secrètes, l’apport économique estimé, des critères stricts et un temps limité de 2017 à 2018 pour déposer les dossiers... Les associations ont dû faire des compromis, sur la durée du séjour requis par exemple ou sur le fait d’exclure les requérants d’asile déboutés de la procédure.

Près de 3000 personnes ont ainsi été régularisées sur les quelque 13000 sans-papiers estimés à Genève. Un permis B qui leur a ouvert les portes d’une liberté retrouvée après des années à s’effacer, à se cacher, sans droits, ou si peu. Une situation qui implique des milliers d’employeurs, mais pas seulement. «Qu’on le veuille ou non, cela touche tout le monde, directement si l’on fait appel aux services de sans-papiers, indirectement parce que certains d’entre eux paient des cotisations sociales et des impôts redistribués à l’ensemble de la communauté», écrivent Martine Schweri et Laurence Bolomey.

Bénévolat intensif

La préface du livre est signée Dominique Föllmi, ancien conseiller d’Etat, qui, en 1986, a été le premier politicien à accompagner une enfant sans papiers à l’école, lançant ainsi un débat sur le droit à l’éducation. Plongeant dans le passé, les autrices reviennent sur l’histoire migratoire de la Suisse, sur le statut de saisonnier, sur la politique des trois, puis des deux cercles, sur le refus répété d’une régularisation collective, avant de décrypter la mise en place politique de Papyrus, puis la constitution des dossiers en rendant hommage à tous les bénévoles engagés dans cette course contre la montre: moins de deux ans pour informer les éligibles au permis B, recueillir les informations attestant de leurs années passées en Suisse et de leur indépendance financière, ou encore pour réussir des tests de français.

Le livre laisse aussi une large place à la parole des personnes migrantes, si souvent exploitées, si souvent seules, trimant pour survivre et soutenir leurs familles restées au pays. Ruth Dreifuss, citée dans le livre, dit d’elles: «Ce sont toujours les gens les plus dynamiques qui partent de chez eux… Nous avons des femmes de ménage les mieux éduquées du monde, des maîtresses d’école, des infirmières…» Les sans-papiers travaillent aussi dans les secteurs du bâtiment, de l’hôtellerie-restauration, de l’agriculture.

Pas d’appel d’air

Papyrus a pris fin, mais chaque permis délivré comme tout permis B doit être renouvelé régulièrement. Ni appel d’air ni recours à l’aide sociale n’ont été observés.

«Les chiffres sont éloquents, 88% des personnes interrogées dans le cadre de cette étude ont maintenu leurs relations professionnelles. Ce qui signifie en substance, selon les chercheurs, que les employeurs ont, dans l’ensemble, plutôt préféré se mettre en conformité que congédier leur personnel», notent les autrices. Rien que par le biais de Chèque service, 5,7 millions de francs de cotisations sociales ont été engrangés. Bien sûr, hors Papyrus et partout en Suisse, des demandes de régularisation ordinaires continuent à être déposées.

Toutefois, en 2020, la pandémie a révélé encore l’ampleur de l’exploitation et la fragilité de milliers de personnes à Genève et ailleurs. «Papyrus est passé, la crise l’a dépassé. Et a montré les lacunes du système, avec ou sans Papyrus d’ailleurs. L’exclusion n’amène rien de bon à une société qui compte sur les plus faibles pour accroître le bien-être des autres», soulignent Martine Schweri et Laurence Bolomey, qui espèrent que ce premier programme de régularisation des sans-papiers en Suisse ne sera pas le dernier.

Papyrus – La combinaison gagnante, Martine Schweri et Laurence Bolomey, Editions Slatkine, 2021

«C’est un miracle, Papyrus!»

Les nombreux témoignages, collectés par Martine Schweri et Laurence Bolomey, rythment leur livre. Il y a Dona*, 43 ans, arrivée à Genève en 2007. Ancienne maîtresse d’école aux Philippines, elle fait le ménage dans une famille. Lorsqu’elle reçoit son permis, son premier réflexe est d’aller enfin voir ses enfants. «Je ne les avais pas vus depuis 2007, c’est ma mère qui les gardait. C’était très dur, mais c’est la vie! (…) La chose difficile, sans papiers, c’est de ne pas pouvoir sortir de Suisse et d’avoir la famille là-bas… J’ai pleuré beaucoup et j’ai toujours prié», témoigne-t-elle. Il y a aussi Mustafa*, 33 ans, peintre en bâtiment, à Genève depuis 2006 qui a reçu son permis fin novembre 2020: «Une femme m’a proposé de se marier pour que j’aie les papiers, j’ai dit non. (…) Si j’ai les papiers, les choses vont changer. Je pourrai prendre un téléphone à mon nom, sortir, faire des voyages avec les amis (…), je ne travaillerai plus que cinq jours par semaine, pas les week-ends. Je suis fatigué, le cœur ne supporte plus.»

Inday*, 57 ans, employée de maison à Genève depuis 2006, se confie aux autrices ainsi: «C’est un miracle, Papyrus! (…) Comme d’autres, j’ai essayé d’avoir des papiers par quelqu’un que j’ai payé 10000 euros, et qui n’a plus donné signe de vie. Beaucoup de Philippins tombent dans le piège: ils économisent pendant des mois, paient et n’ont rien en retour.» Dea*, 41 ans, femme de ménage depuis 2007 à Genève, esclavagisée durant des années dans une riche famille, revient de loin. Son permis B, après dix ans de lutte, lui permet enfin de «marcher la tête haute».

*Prénoms d’emprunt utilisés dans le livre.

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