Dans un premier temps, le verdict laisse sans voix. Vient ensuite la colère, qui a grondé aux quatre coins de l’Espagne. Le 26 avril, le Tribunal de Pampelune a condamné cinq hommes à 9 ans de prison pour abus sexuels et abus de faiblesse sur une jeune femme de 18 ans. Les faits se déroulent en juillet 2016, toujours à Pampelune, à l’occasion des fêtes de San Fermin. Les cinq copains âgés de 26 à 30 ans, qui se sont baptisés «La Manada» (La Meute), proposent à la jeune Madrilène tout juste rencontrée de la raccompagner à sa voiture. Elle n’y arrivera pas. Les cinq gaillards la coincent dans une entrée d’immeuble, la bâillonnent, la déshabillent, la pénètrent à tour de rôle, la souillent, la laissent à moitié nue sur le sol et s’enfuient en lui volant son portable. Les agresseurs immortalisent ce moment, tel un trophée, dans une vidéo de 96 secondes qu’ils diffusent avec l’annotation suivante: «En train d’en baiser une à cinq». Il s’avère que deux semaines avant leur voyage, les malfaiteurs avaient échangé des messages dans lesquels ils envisageaient d’emporter de la drogue et des sédatifs «pour les viols».
Malgré des preuves irréfutables, l’accusation de viol n’a pas été retenue par la justice. Alors que le Parquet requérait 22 ans et 10 mois de réclusion pour chacun d’entre eux, et la défense davantage, ils n’ont écopé que de 9 ans d’enfermement et pourront sans doute alléger leur peine au bout de trois ans. L’épilogue aurait pu être encore pire, l’un des magistrats ayant plaidé, sur la même ligne que les avocats de La Meute, l’acquittement des cinq hommes, ne voyant dans la vidéo aucune violence, aucun recours à la force, et interprétant les gestes de la victime comme de l’excitation sexuelle. Pour eux, donc, elle était consentante. Cette sentence a eu l’effet d’une bombe. Des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues pour manifester leur colère et leur dégoût, mais aussi leur solidarité envers la victime. La population a dénoncé une justice patriarcale complice et demandé une révision de la législation sur les agressions sexuelles.
Au vu de ces faits, la question qui se pose aujourd’hui en Espagne, où un viol est commis chaque huit heures, est la suivante: que doit-on faire de plus pour qu’un viol soit reconnu comme tel? Le message de ce jugement est clair: si la victime se soumet, ce n’est pas considéré comme un viol, peu importe qu’elle soit consentante ou pas. Dans ce cas précis, la jeune femme, en état de choc, a fermé les yeux et attendu que son calvaire prenne fin. Si l’on en croit la sentence, elle aurait dû se confronter physiquement à ses agresseurs, cinq bonhommes de dix ans ses aînés, et risquer sa vie. Quant aux autres nombreuses victimes de viol du pays, ce verdict ne les encouragera pas à poursuivre leurs agresseurs… Alors que la grève des femmes le 8 mars dernier témoignait d’une prise de conscience féministe dans le pays, cette histoire le ramène au Moyen Age. Reste quand même une lueur d’espoir, les différentes parties ayant décidé de recourir à la décision du tribunal.