Les 23 et 24 mars, une trentaine de communes romandes ont invité leurs citoyens à nettoyer des zones naturelles dans le cadre de la campagne «Coup de balai». Expérience faite à Ecublens
Une avenue fréquentée, un métro, des commerces. Le décor est citadin, sans aucun doute. Mais pour qui prendra la peine de s’arrêter, un murmure aquatique viendra chatouiller ses oreilles. A l’origine de ce bruit, une rivière qui coule paisiblement en contrebas du petit bois touffu bordant la route. La Sorge, tel est son nom, est ‒ avec la Venoge et la Chamberonne ‒ l’un des trois cours d’eau qui strient la commune d’Ecublens (VD). Ce 24 mars, notre groupe de huit personnes arpente un trottoir où le temps semble s’écouler à deux vitesses simultanées. Frénétiquement d’un côté, au rythme des voiture qui filent à toute allure. Calmement de l’autre, au son des branches et des feuilles que le vent encore frais de ce quatrième jour de printemps secoue doucement. C’est de ce côté que nous emmène notre balade du jour.
Gants blancs de rigueur
«Mais c’est horrible!» s’exclame Michèle. Dans le petit bois d’apparence idyllique, cette habitante d’Ecublens découvre une quantité de détritus qu’elle n’aurait pu soupçonner. Armée des gants blancs que la commune a offerts pour l’occasion à ses bénévoles, elle avance pliée en deux, tant les déchets à ramasser sont nombreux. Dans son sac poubelle, paquets de chips vides, bouteilles de verre, de PET, blocs de sagex et papiers d’aluminium s’amoncellent. «J’ai même trouvé un pot d’échappement», lâche-t-elle, incrédule. Son fils Maxime, âgé de 9 ans bientôt, achève de remplir son premier sac de 110 litres après trente minutes de travail seulement. Satisfaction mise à part, que ressent-il? «Ça m’énerve! Je trouve que les gens ne sont pas très sympas avec la nature parce qu’ils la polluent.» De son côté, David s’attelle au nettoyage d’une zone particulièrement exposée et maculée de détritus: «Il faut encore gratter les feuilles, on trouve une belle épaisseur de déchets dessous.» Le ramassage de papiers et de bouteilles, cet enseignant en sciences et en géographie connaît. «En classe, j’ai mis en place ce que j’appelle la Brigade verte. Les jours où je surveille la récréation, j’ai un groupe de cinq élèves qui est chargé de nettoyer la cour.» Laurence, doyenne du groupe, l’interrompt. «C’est quoi ce gros ballon là en bas?» David va chercher la chose en question… qui s’avère être un casque de moto abandonné. Laurence rigole: «A nous voir, les gens vont penser qu’on a été condamnés à un travail d’intérêt général!»
Poubelle, décharge et campement
«Tadaaa!» s’écrient les garçons en découvrant une trottinette, qui ira rejoindre le cadre de vélo trouvé plus tôt. «Oh, une balle de tennis fossilisée!» Laurence observe les multiples fils de caoutchouc qui recouvrent ce qui fut une balle verte aujourd’hui privée de ses poils caractéristiques. Hop. Poubelle. On nous avait prévenus, la zone n’est que rarement nettoyée. Preuve en est l’apparente ancienneté de certains déchets. Nous observons que les plastiques mous se dégradent avec le temps, devenant plus friables et cassants. Pris dans les ronces et entre les racines, ils se déchiquètent quand nous essayons de les extraire. De son côté, Nicole évacue, avec l’aide de Carlos, l’agent de la voirie qui nous accompagne, un campement de fortune abandonné à l’abri des regards. «Sans doute des réfugiés», suppose-t-elle. Tout comme son époux David, cette membre d’associations telles que Pro Natura et Greenpeace est une habituée des nettoyages en extérieur: «Dans mes balades, je ramasse surtout des mégots, des canettes de boisson énergisante et des bouteilles de bière. Pour tout vous dire, j’avoue être fâchée contre les fumeurs et les buveurs de bière.» Parce qu’elle n’en boit jamais? «Non, rigole-t-elle, moi je suis une amatrice de vin et, de toute façon, je ne laisse pas mes bouteilles dans la nature. Les gens ne se rendent pas compte que les papiers qu’ils jettent par terre peuvent, avec le vent, finir dans la rivière, puis dans le lac, puis, de fil en aiguille, dans la mer.»
Mégots d’ados
Après trois heures de labeur, le groupe rejoint le point de ralliement, sur la place principale de la ville, devant le centre socioculturel. Pour l’occasion, les animateurs du centre ont fait travailler les adolescents venus se distraire. Ensemble, ils ont nettoyé le quartier et rempli l’équivalent de quatre sacs poubelles de 110 litres. Leur récolte: beaucoup de mégots, des papiers, des bouteilles… alors que des poubelles publiques, la ville en compte beaucoup. Emer, 19 ans, est catégorique: «On a ramassé des cigarettes, du plastique et ces déchets, ce sont les nôtres!» Quand on lui demande ce que ça fait de remettre ses propres déchets à la poubelle, il sourit: «Ça fait plaisir, c’est propre et vert, maintenant, c’est la nature.» Et à Micha, 16 ans, qui s’allume une cigarette: où va-t-il jeter ce futur mégot? Réponse très sérieuse: «Dans le cendrier. Avant je l’aurais balancé par terre, par flemme et pour faire comme tout le monde. Maintenant, j’ai envie de donner l’exemple par respect pour ceux qui travaillent à ramasser sur le sol tout ce qu’on jette.»