Alors que les partenaires sociaux n’arrivent pas à s’accorder sur des mesures d’assainissement de la retraite anticipée, une polémique vient mettre de l’huile sur le feu
Syndicats et patrons du bâtiment se sont réunis le 4 mai lors de la séance du Conseil de fondation FAR (retraite anticipée). La génération des baby-boomers arrivant à la retraite ces prochaines années, les deux parties sont conscientes que des mesures d’assainissement s’imposent, et vite. Pour Unia, il s’agit d’un problème temporaire à résoudre, car, encore en 2017, les recettes de la FAR étaient supérieures aux dépenses. Alors qu’en temps normal, environ 1100 maçons prennent leur retraite anticipée chaque année, le syndicat table plutôt sur 1600 travailleurs par an jusqu’en 2024.
Unia et Syna ont, de leur côté, proposé des mesures d’assainissement «équilibrées» afin de garantir la retraite à 60 ans, à savoir l’augmentation des cotisations salariales pour la FAR de 0,75%, répartie entre travailleurs et employeurs, ainsi qu’une adaptation acceptable des prestations FAR à la prévoyance professionnelle. Ces mesures seraient abandonnées après 2024, car le nombre de rentiers diminuera.
Pas du tout convaincue, la Société suisse des entrepreneurs (SSE) a tout rejeté en bloc. De son côté, elle préconise une augmentation de l’âge de la retraite à 61,5 ans ou une réduction des prestations mensuelles de 30% pendant la retraite anticipée.
Ces deux variantes sont inacceptables pour les syndicats. «La rente moyenne s’élève à 4400 francs, précise un communiqué syndical. C’est déjà à peine suffisant pour vivre. Avec une rente encore plus basse, plus aucun travailleur de la construction ne pourra se permettre une retraite anticipée.» Sans oublier qu’aujourd’hui, passé 55 ans, les travailleurs de la construction sont souvent contraints d’abandonner leur métier en raison de la baisse de leurs capacités physiques ou bien sont victimes de licenciements.
Les syndicats vont plus loin. Pour eux, les propositions de la SSE sont clairement contraires à la loi. «Selon les prescriptions légales, l’assainissement d’une caisse de pension doit être équilibré et proportionné. Il n’est pas admissible que cela se fasse uniquement sur le dos des travailleurs.»
Retraite anticipée en péril?
Dans ce contexte très tendu entre les partenaires sociaux, qui ont en parallèle entamé les négociations en vue du renouvellement de la Convention nationale de la construction, une annonce a eu l’effet d’une bombe. Le 3 mai, le Conseil de fondation de l'Institution supplétive paritaire (la caisse de pension nationale où deux tiers des maçons à la retraite anticipée sont affiliés) a résilié son contrat avec la FAR au 1er janvier 2019, prétextant un système trop coûteux. Conséquence: les maçons qui souhaitent prendre leur retraite à 60 ans devront faire des démarches individuelles pour s’affilier auprès d’une nouvelle caisse de pension LPP. Pour Unia, la solution serait que les travailleurs puissent rester dans leur caisse de pension, tout simplement.
Les syndicats l’ont annoncé: ils poursuivront en justice la Fondation Institution supplétive, qui ne veut plus affilier les maçons âgés. «La Fondation Institution supplétive est tenue par la loi d’offrir aux travailleurs âgés exclus de leur caisse de pension la possibilité de poursuivre leur prévoyance professionnelle, informent les syndicats. Il est honteux que l’Institution supplétive cherche à se débarrasser d’un problème systémique sur le dos des maçons âgés.»
Quant aux maçons, plus remontés que jamais par cette nouvelle attaque de leur retraite à 60 ans, ils sont prêts à se mobiliser. «Les travailleurs de la construction ne resteront plus longtemps inactifs, insiste Unia. Ils organisent actuellement un vote portant sur une grève sur les chantiers.»
Dans l’intervalle, les négociations conventionnelles se poursuivent. «Les négociations de la FAR et de la CN ne peuvent pas être séparées, insiste José Sebastiao, secrétaire syndical coresponsable de la construction à Unia Genève. Pour discuter de la FAR, il est impératif de se mettre d’accord sur l’augmentation des salaires.» Pour ce dernier, l’absence d’augmentation salariale ces quatre dernières années a joué en défaveur de la retraite anticipée. «Si on augmente les salaires de 150 francs comme le demandent les syndicats, les cotisations de la partie employée augmenteront automatiquement.»
Une nouvelle rencontre des partenaires sociaux aura lieu fin mai. Hormis les mesures d’assainissement de la FAR, les syndicats devront se battre contre la volonté de la SSE de diminuer les salaires des maçons âgés, de réduire la protection contre le licenciement et d’allonger la durée du travail jusqu’à 50 heures par semaine.