Directeur d’un club d’arts martiaux et moniteur, Miguel Feo se définit comme un passeur. La bienveillance au cœur de sa démarche
«La vie est un combat. Il faut se battre. Mais elle est magnifique.» Si Miguel Feo consacre son existence aux arts martiaux, il ouvrira largement la discussion au-delà du seul horizon des tatamis. Et pour cause. Le fondateur et directeur technique du club Zen Do Ryu à Morges appréhende sa pratique – il est ceinture noire de ju-jitsu, sa spécialité, et de karaté – comme une véritable philosophie. Et les cours qu’il donne aux côtés de douze autres moniteurs s’inscrivent dans cette vision. Une approche où il est constamment question de justice, de bienveillance, de droiture et d’empathie. Une démarche que cet homme, tout juste 50 ans, poursuit avec humilité. Pas question de l’appeler «sensei»un mot communément traduit du japonais par celui de «maître» octroyé généralement aux professeurs. «Le senseiest celui qui sait. Moi non. On n’a jamais fini d’apprendre», se défend Miguel Feo, estimant qu’après 10000 heures de travail, on conserve «une âme de débutant». Et que le ju-jitsu – l’ancêtre des différentes disciplines martiales – n’est rien d’autre qu’une «clef, une quête de toute une vie vers l’ultime, la vérité, perdue en raison de nos ego.» Une vérité qui renfermerait des réalités multiples, au-delà de l’imaginable... Un langage un rien ésotérique mâtiné de spiritualité dans la bouche de cet interlocuteur qui dégage une grande sérénité. Et rayonne de gentillesse. Mais aussi de bonne humeur et de joie de vivre. Deux traits de caractère qu’il associe à ses origines.
De la boucherie au club
Né en Espagne, Miguel Feo est arrivé dans nos frontières à l’âge de 4 ans. L’homme se rappelle encore de son premier jour de classe. «Je ne parlais pas français mais j’ai invité tous mes camarades pour les quatre heures à la maison», rigole-t-il. Guère assidu à l’école – «Je m’ennuyais et n’appréciais pas l’esprit de performance et de concurrence qui y régnait» – l’élève d’alors opte pour la voie de l’apprentissage. Il veut devenir menuisier ébéniste. Mais le conseiller en «désorientation» le dirige vers une autre profession, arguant que celle choisie s’annonce sans avenir. La faute aux machines... L’adolescent entame alors une formation de... boucher-charcutier. «Déjà à cette époque, l’individu passait derrière l’argent», soupire-t-il. Son CFC en poche, Michel Feo travaillera dans des boucheries, puis comme commercial pour différentes entreprises de l’alimentation avant de lancer son propre magasin qui partira en faillite. «Je n’étais pas doué pour la vente», confie-t-il. A quelque chose malheur est bon.... L’ex-entrepreneur, qui n’a jamais cessé de pratiquer et d’enseigner les arts martiaux, décide alors d’ouvrir un club. En 2006, le Zen Do Ryu (l’école de la voie du zen) – comptant aujourd’hui 300 membres – voit le jour à Morges. Un nouveau chapitre s’ouvre pour ce moniteur, divorcé et père de deux enfants, qui avait déjà décroché son brevet en 1998, fort d’une longue expérience.
L’importance de la transmission
«J’ai commencé les arts martiaux avec mon frère à l’âge de 4 ans et je me suis piqué au jeu. Depuis, je n’ai jamais arrêté», raconte Miguel Feo. Un pied dans le dojo, l’homme profite, tout au long de sa progression, de tester différentes disciplines, histoire de pouvoir contrecarrer tous les types de coups avant d’acquérir, entre autres, la maîtrise du ju-jitsu. «Il s’agit d’un des arts les plus complets visant à annuler l’attaque, pas l’attaquant.» Une voie et une technique de la souplesse du corps et de l’esprit que le sportif pratique au quotidien, lui procurant équilibre et bien-être. Un savoir hérité des samouraïs – «qui signifie servir» – qu’il a à cœur de partager avec ses élèves. «Je me considère comme un passeur, un guide», relève le moniteur qui forme des jeunes et des petits dès 6 ans, insistant sur l’importance de la transmission. Comme sur la nécessité de s’intéresser vraiment aux autres. Plus que des mots dans la bouche de Miguel Feo qui se voue sans compter à la tâche, doté d’une grande énergie et d’un bel optimisme. «J’espère que mes élèves en sauront plus que moi», relève encore cet homme ouvert et hypersensible. Qui aime aussi citer le code moral entourant la pratique, fondé sur le courage, l’honneur, l’amitié, la modestie, la politesse, le respect, la sincérité et le contrôle de soi. Des aptitudes qui, réunies, forment «l’équilibre parfait». Loin du compte dans ce monde...
Un café avec Dieu
Et Miguel Feo de regretter la perte de valeurs et de fustiger l’injustice sociale, l’absence de réflexions – «avec cette tendance à suivre comme des robots» – le pouvoir de l’argent, et autres dérives de notre société. Pas de quoi toutefois le mettre en colère – l’homme ne lui cède jamais ou presque – ou d’entacher son bonheur, qu’il associe au fait même de vivre. «Je suis heureux. Absolument», lance ce Vaudois d’adoption qui se ressource dans la nature, en présence des enfants, et dans l’amour, «l’énergie la plus puissante de l’univers». Et qui précise n’avoir d’autres peurs que celle de perdre des personnes qui lui sont proches. «La mort, en ce qui me concerne, ne m’effraie pas. Je l’ai acceptée. Comme j’ai accepté l’incroyable, l’impossible», note, énigmatique, cet homme qui laisse entendre avoir échappé à plusieurs croche-pied de l’existence qui auraient pu lui être fatals. Interrogé sur les personnes avec lesquelles il prendrait volontiers un café, Miguel Feo cite Michael Jackson ou Elvis Presley, «artistes hors pair», lui qui se passionne aussi pour la musique et la danse. Mais mentionne également, en rigolant... Dieu. «Je lui dirais qu’il aurait pu nous faciliter la chose. Même si c’est à nous d’apprendre.» Gageons que ce samouraï des temps nouveaux chemine sur la bonne voie...