Photographe professionnelle, Marina Forney a publié en mars dernier un livre au profit de la Fondation Théodora. Une démarche inspirée de son vécu
Si elle était un animal, elle opterait pour un fennec. «Il est futé, voit tout et, comme moi, est un peu sauvage», se justifie Marina Forney, 31 ans, qui s’est pliée avec gentillesse au jeu de l’interview. Quand bien même elle n’apprécie guère de se mettre en avant, plus à l’aise derrière son appareil photo que dans des opérations de médiatisation. Mais la démarche sert la cause qu’elle promeut à travers son livre publié en mars dernier, Je suis nez, au profit de la Fondation Théodora. Un album réunissant 100 portraits inhabituels de personnalités croquées par la photographe. Point commun entre ses différents modèles recrutés dans son réseau professionnel, privé et «au culot»: tous ou presque ont accepté de poser avec un nez de clown. Un clin d’œil aux docteurs Rêves qui s’emploient, par le rire, à soulager les enfants hospitalisés. Alors qu’au départ, l’initiative s’ancre dans le vécu de Marina Forney.
Renvoi d’ascenseur
Atteinte d’une dyscrânie faciale et d’une fente palatine, la Veveysane d’adoption effectue jusqu’à l’âge de 20 ans de fréquents allers et retours à l’hôpital. Des séjours pour le moins douloureux et pesants qui seront allégés par la présence de thérapeutes d’un autre genre, ouvrant des parenthèses souriantes dans le quotidien des enfants malades. La patiente se rappelle encore de sa première rencontre avec la dénommée Méli-Mélo. «Sa présence illuminait la journée. Un vrai rayon de soleil. Les docteurs Rêves nous faisaient oublier un moment notre souffrance, nous sortaient de la solitude. Traumatisés par les blouses blanches, nous voulions les fuir, se demandant chaque fois ce qu’ils allaient encore nous faire subir. Théodora amenait de la joie, un moment d’évasion», raconte la jeune femme qui a souhaité, à travers son ouvrage, exprimer sa reconnaissance à la Fondation, lui renvoyer l’ascenseur. Alors que ces années difficiles ont aussi forgé le caractère bien trempé de la trentenaire qui a appris à se battre et ne nourrit ni révolte ni sentiment d’injustice par rapport à un parcours difficile.
Sacré luxe
Abandonnée bébé par sa mère biologique brésilienne qui n’avait pas les moyens d’assumer le prix d’opérations et de reconstructions chirurgicales, Marina Forney, adoptée par une famille vaudoise, arrive dans nos frontières à l’âge de 6 mois. De sa ville d’origine, Curitiba, et de ses racines, elle ne ramène que les souvenirs d’un voyage effectué dans son pays en 2006. «Je voulais connaître le lieu où je suis née. J’ai alors surtout été frappée par la différence de niveau de vie avec la Suisse, la misère des favelas, la prostitution de jeunes.... Ici, on vit dans un sacré luxe. Depuis, je prends garde, par exemple, de ne pas laisser couler l’eau inutilement», résume Marina Forney qui a toujours considéré ses parents adoptifs comme ses «vrais» parents. Et souligne, à plusieurs reprises, le rôle qu’ils ont joué durant ses hospitalisations à répétition, mais aussi celui de ses frères «très protecteurs» et de sa sœur – elle est la dernière d’une fratrie de cinq enfants dont trois ont été adoptés. «J’ai eu des problèmes de santé, mais je ne me plains pas comparée à d’autres... J’ai eu de la chance. Tous m’ont beaucoup aidée. Et aussi plus tard mon compagnon, mon pilier, qui est devenu mon époux», sourit la jeune femme, lançant à son mari et à son petit garçon de 2 ans, présents lors de l’entretien, un regard plein d’amour. Un homme aussi calme qu’elle est impulsive et «têtue pour la bonne cause», elle qui s’irrite devant toute forme de racisme ou de manque d’égard envers l’autre. Et entend bien transmettre à son fils une valeur qu’elle estime cardinale: le respect.
Beauté des personnes
«Mon vécu a aussi contribué à mon évolution», affirme encore cette battante qui – titulaire d’un CFC de gestionnaire d’économie familiale et formée un an comme assistante en soins et en santé communautaire – a travaillé plusieurs années en tant qu’aide-infirmière et veilleuse de nuit dans des EMS et des instituts spécialisés, avant de se lancer en professionnelle dans la photo. «La naissance de ma passion? Mon grand-père a fondé le Musée suisse de l’appareil de photo de Vevey. J’ai baigné dans le domaine. J’ai toujours pratiqué la photographie en parallèle de mon emploi», précise Marina Forney qui, autodidacte, a franchi le cap de l’indépendance en 2016. Une activité viable? «Il y a des hauts et des bas», note celle qui apprécie particulièrement de réaliser des portraits. «On peut alors se faire l’idée de l’histoire d’un modèle en l’immortalisant dans son environnement. Et mettre en valeur sa beauté. Toutes les personnes sont belles.» Le cadre qu’elle choisirait pour elle? La nature, loin du stress de la ville et en écho à son caractère sociable mais un rien sauvage. «Mon rêve? Vivre dans une maison retirée, au milieu de nulle part, à la montagne par exemple», lance Marina Forney, associant le bonheur à la paix avec soi, et révélant sans hésitation être heureuse. Alors qu’elle confie encore sa peur du futur. «Je n’aime pas l’inconnu. Et la mort. Pourtant, je l’ai côtoyée dans le cadre de mon ancien travail.» Pas de quoi paralyser la photographe ou entamer son optimisme, elle qui n’oubliera jamais comment la magie d’un simple nez de clown peut opérer sur le moral, réduire les craintes au silence et raviver l’espoir dans les pires moments de l’existence...
Livre Je suis nez, à commander via le site https://marinaforney.ch au prix de 29 francs.