De la banque à la sobriété heureuse, Lucien Willemin ouvre de nouveaux horizons en dénonçant l’énergie grise
«Je ne suis pas un écolo, je suis un homme de l’économie qui veut vivre avec son temps.» Lucien Willemin sourit devant son jus de pommes bio, dans l’un de ses cafés favoris de La Chaux-de-Fonds, La Belle Affaire. Aux pieds, ses emblématiques chaussures rouges. «C’est le symbole du prendre soin de la vie qui a été créé pour mettre en lumière le positif qui nous entoure au quotidien, et communiquer ensemble la volonté d’améliorer la situation.» Chantre de l’écologie, il veut toucher le public le plus large. Hors parti, le rouge est pour lui synonyme de cœur, d’amour et d’action. Mais aussi de solidarité. «La Chaussure Rouge permet de belles rencontres.» Une occasion aussi d’échanger pour ce communicateur-né. Depuis plusieurs années, le conférencier sillonne la Suisse romande pour parler d’écologie aux élèves, aux enseignants, au grand public, aux entreprises... bénévolement. Il écrit aussi de petits livres courts et accessibles, et partage ses idées avec des politiciens. Dans En voiture Simone!, il explique l’importance d’user sa vieille voiture (même un 4x4!) jusqu’au bout, plutôt que d’en racheter une qui consomme moins d’essence. «C’est une ineptie que nos programmes politiques ne tiennent pas compte de l’énergie grise. Cela nous met en danger. En changeant d’objets pour consommer moins d’énergie ici, nous rejetons du CO2 de l’autre côté de la planète mais aussi des substances chimiques toxiques dans l’eau, l’air et les sols. Et la pollution chimique n’est pas compensable par l’utilisation de l’objet. C’est un fait, pas un point de vue», explique Lucien Willemin, par ailleurs mordu de voiture et d’esthétisme! «C’était mon dada. Et j’adore toujours les belles voitures, mais je n’ai plus besoin de les posséder», s’amuse celui qui roule avec la même auto depuis vingt ans, privilégie le seconde main et la réparation des objets.
Son idée de consigne de réparation est d’ailleurs en discussion au niveau fédéral. Et il a réussi à faire diminuer la taxe voiture en fonction de l’ancienneté du véhicule dans le canton de Neuchâtel. Une première reconnaissance en Suisse de l’énergie grise ‒ l’énergie nécessaire à la fabrication et à l’élimination d’un objet ‒ que le conférencier dénonce depuis dix ans.
Une autre vie
Les grands tournants de sa vie se sont réalisés dans des fractions de seconde. «La vie met bien les choses en place. Quand elle se manifeste, il s’agit juste d’avoir le courage de la suivre…» explique avec chaleur celui qui respire la joie de vivre, et ne cesse de s’enthousiasmer sur les miracles de la vie.
En 2008, Lucien Willemin a changé de vie pour voir grandir ses trois enfants. A 40 ans, il remet sa société immobilière. Auparavant il avait été directeur des achats dans une entreprise horlogère et comptable dans une banque. «Enfant, je voulais être vétérinaire, mais le système scolaire ne me convenait pas. L’hémisphère droit du cerveau, celui de la créativité, y est trop peu privilégié. Je ne me voyais pas ajouter dix années d’études supplémentaires. J’avais besoin de concret. Et puis, mes parents n’avaient pas les moyens.» Il se souvient bien des mots de sa maman lorsqu’ils faisaient les courses ensemble à Saignelégier, village des Franches-Montagnes qui l’a vu grandir. «Ma mère me disait toujours de bien réfléchir, jusqu’à la caisse, si j’avais vraiment besoin du jouet que je lui demandais. Finalement, j’insistais rarement. On a manqué d’argent, mais débordé d’amour.»
De l’argent, il en a gagné lors de sa carrière express. De la connaissance également. «Le contraste saisissant entre mes voyages d’affaires dans le Sud-Est asiatique et mes voyages sac à dos à la rencontre de minorités ethniques m’ont ouvert à de nouvelles dimensions. Et l’énergie grise découverte dans mon activité immobilière a été la pièce du puzzle qui me manquait pour y voir vraiment clair.» Et d’ajouter: «Chaque fois qu’on fabrique un objet, on empoisonne le vivant. Ces dégâts-là ne sont pas calculables par les écobilans…» Même constat sur l’utilisation des pesticides dans l’agriculture, ou de produits chimiques dans notre quotidien. «Le Doubs se meurt. C’est un fait. J’ai donc décidé de changer mes comportements et, aujourd’hui, je peux le regarder dans les yeux», relève celui qui aime méditer dans la nature, mais aussi en regardant par la fenêtre du train ou en attendant un rendez-vous, lui qui n’a jamais eu de natel.
Changement de regard
«Il est important de comprendre que l’écologie, c’est prendre soin de nos vies. C’est simple: acheter moins et le plus souvent en seconde main, réparer et user jusqu’au bout. L’énergie grise, c’est la clé qui active un changement de regard et permet d’opérer une transformation vers la sobriété heureuse. La fabrication d’un objet abîme la vie et lorsqu’on le voit sous cet angle, on se libère de l’addiction du consumérisme. Ça fait sens. La décroissance extérieure va de pair avec la croissance intérieure. Aujourd’hui, toute l’intelligence humaine devrait être utilisée à nous sortir de l’économie productiviste.»
A l’aune des fêtes de Noël, plus de 3000 personnes se sont déjà inscrites sur son site pour appuyer son encouragement à offrir des cadeaux de seconde main. Pas à pas, un chemin de traverse prend forme.
«En voiture Simone! Comprendre l’énergie grise» (2013), «Fonce Alphonse! Croissance, décroissance: sortons de l’impasse» (2015), «Tu parles Charles! Manger local, c’est loin d’être idéal» (2017), Lucien Willemin, Editions G d’Encre. Pour la France: Editions Plume de Carotte.
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