Accessoiriste, Séverine Blanc conjugue sa vie professionnelle avec le monde du spectacle. Entre réalisme et imagination débridée
Un bouquet de lys dans un vase Ming, une table danoise, une coiffe particulière, un cœur en latex, des têtes coupées et toutes sanguinolentes, un violon en plexiglas, une éolienne... Difficile d’imaginer activité plus variée que celle remplie par Séverine Blanc, fabriquant nombre d’objets hétéroclites ou se fournissant dans les brocantes ou via Internet. Accessoiriste, la Vaudoise de 47 ans contribue à créer l’atmosphère de pièces au gré des requêtes de metteurs en scène, de décorateurs ou recourant à son propre imaginaire. Une profession qui plante ses racines dans son enfance. «Petite, j’ai vu une représentation de la Fête des vignerons. J’ai été fascinée par son opulence, son faste, les déguisements des acteurs. J’ai aussitôt su que je travaillerai dans le monde du théâtre», raconte celle qui suivra l’école des Arts appliqués à Vevey, section décoratrice-étalagiste. Le cursus comprend alors un stage professionnel d’un an en entreprise. La jeune femme l’effectue au théâtre de Vidy qui deviendra, son diplôme en poche et un séjour de cinq mois en Australie plus tard, son employeur. S’enchaînent ensuite les tournées. De quoi ravir l’accessoiriste qui a aussi contracté le virus des voyages.
Aux quatre coins du monde
«Durant cinq ans, j’ai accompagné aux quatre coins du monde une troupe interprétant Oh les beaux jours, mise en scène par Peter Brook», raconte Séverine Blanc, des étoiles plein les yeux à l’évocation de ce souvenir. Période où elle devra notamment gérer «un gros et complexe tas de sable» figurant dans la pièce. «Mais je ne me suis pas ennuyée une minute, rencontrant chaque fois des personnes différentes, découvrant de nouveaux lieux.» Entre deux déplacements et par la suite, la passionnée va aussi travailler pour d’autres commanditaires. Le théâtre Malandro d’Omar Porras – où elle fait la connaissance d’un technicien vidéo, aujourd’hui son conjoint et père de ses deux enfants – celui de Barnabé à Servion, des organisateurs de fêtes locales, l’Opéra de Lausanne, d’Avenches... Séverine Blanc multiplie les collaborations. «A la naissance des enfants, j’ai toutefois freiné la cadence», poursuit cette mère travaillant aujourd’hui à 30% pour le théâtre de Vidy et acceptant toujours des mandats en indépendante. De quoi pimenter son quotidien professionnel, son employeur fixe privilégiant davantage la production de pièces réalistes. «Une tendance à l’épure et beaucoup de vidéos», note l’accessoiriste ravie dès lors d’élargir le spectre de ses interventions aussi à d’autres demandeurs susceptibles de recourir à sa fantaisie et à son âme de bricoleuse.
Touche-à-tout
«Je travaille avec tous les matériaux. Je peux souder, coudre, sculpter, dessiner.... Dans mon métier, on touche à tout. On sait tout faire. Mais mal», rigole cette femme-orchestre à même de réaliser une lime munie d’une poche de faux sang qui maculera une gorge lorsqu’on la compresse comme un costume en forme de patate géante ou de faire tomber la pluie... Mais non sans déplorer aujourd’hui des budgets à la baisse. «On doit souvent, hélas! créer au rabais.» Alors qu’elle passe également beaucoup de temps à dénicher des objets, à mener des recherches historiques. «Ce que j’apprécie le plus, c’est la diversité de mon travail», ajoute Séverine Blanc, conduite encore régulièrement à travailler au décor ou à jouer l’accessoiriste plateau. Poser un meuble entre deux scènes. Passer un habit à un comédien. Rouler un tapis... Electron libre interagissant avec les différents corps de métiers du spectacle, la passionnée confie aussi «faire souvent du social». «Il faut s’occuper des comédiens. Les soutenir. Gérer parfois des ego démesurés. Accepter les exigences des uns et des autres.» Et l’accessoiriste de citer, par exemple, qu’elle devait systématiquement tendre un baquet à un acteur avant son entrée sur scène pour vomir... le trac... ou veiller à poser l’anse d’une tasse toujours du même côté... accessoire-béquille. Patience, minutie et ténacité requises. Pas de quoi étioler l’enthousiasme de la Vaudoise. Et quand bien même elle réalise un travail de l’ombre.
Saint-bernard des coulisses
«Si j’avais voulu être dans la lumière, j’aurais fait un choix différent. J’apprécie me rendre utile. Les comédiens peuvent compter sur mon appui. Je suis un peu comme un saint-bernard des coulisses», lance, joyeuse, l’accessoiriste pleine d’énergie. Une personne déterminée et curieuse, irritée par l’injustice et la mauvaise foi, secrète mais non introvertie, qui précise encore se ressourcer dans la nature – elle habite d’ailleurs un hameau dans la campagne vaudoise. Un écrin de verdure vital pour cette femme aussi casanière qu’éprise de grand large – «Quel que soit l’endroit où je me trouve, je parviens à recréer un petit chez-moi». Mais ne lui parlez pas de voyages dans l’espace, de découvertes d’autres planètes. «Un peu présomptueux de vouloir s’y rendre alors qu’on n’a pas encore tout vu ici. Et puis, cette immensité me donne le tournis. Me fait peur. Et montre la petitesse de la Terre dans le cosmos.» Reste que si elle était un animal, elle opterait quand même pour un oiseau – toujours en accord avec son amour de nouveaux horizons – elle qui adore aussi les choses simples dans lesquelles se cache le bonheur: discuter, s’extasier devant l’esthétique d’un objet du commun, «un fouet mécanique par exemple», échanger un sourire ou juste perdre du temps, «le luxe extrême». Regardant dans le rétroviseur de son existence, la quadragénaire ne nourrit en tout cas aucun regret. «Je referais les mêmes bêtises. J’ai toujours croqué la vie à pleines dents. Et même parfois des cailloux», rigole Séverine Blanc sans plus de détail…