La Suisse est neutre. Mais ses armes tuent et mutilent. Au Yémen, comme vient de le rappeler Amnesty International, des grenades fabriquées par Ruag ont été retrouvées sur des lieux de combats. Des milliers de civils ont perdu la vie dans ce conflit alimenté notamment par les Emirats arabes unis. Un pays par lequel transitent des équipements de notre industrie d’armement. Au profit de milices semant la terreur et la famine menaçant des millions de personnes. Du matériel de guerre helvétique utilisé également en Syrie ou en Lybie.
Les armes suisses font des ravages en France aussi. Où les lanceurs de balles de défense (LBD), du fabriquant Brügger & Thomet de Thoune, sont utilisés à large échelle contre les Gilets jaunes. Ces fusils projettent des balles en caoutchouc dur, sortes de balles de golf de 40 millimètres de diamètre, à une vitesse de plus de 300 km/h. De quoi terrasser n’importe quel bipède. Une arme censée être employée pour neutraliser une personne dangereuse, mais en aucun cas pour gérer une foule de manifestants. Or, depuis le début du mouvement des Gilets jaunes, et jusqu’à fin janvier, 9228 cas de recours au LBD ont été recensés. Et au moins 116 enquêtes ont été ouvertes pour les blessures subies par des manifestants. Des lésions lourdes, allant de la perte d’un œil, au crâne ou à une mâchoire fracturés. C’est que les forces de l’ordre se fichent bien de la précision helvétique. Ces armes sont prévues pour frapper la personne au torse ou aux jambes, afin de l’immobiliser. Mais là, elles visent la tête. Provoquant des mutilations à vie. Pour l’heure, cette arme considérée comme «sublétale», c’est-à-dire proche de la mort, n’a pas encore causé de décès dans la révolte française. Mais, selon un neurochirurgien du centre hospitalier de Besançon, le risque de mourir ou d’avoir un grave handicap est de un sur cinq.
La Suisse pays neutre. Et pas assez rentable pour son industrie d’armement qui a fait pression l’année passée sur le Conseil fédéral pour que ce dernier révise l’ordonnance sur les exportations d’armes. Et l’autorise à vendre sa production dans les pays en proie à des conflits internes. Ni une ni deux, le gouvernement répondait positivement, droit dans ses bottes. Une attitude ayant soulevé un tollé. Jeunes, socialistes, Verts, et même des représentants de partis de droite s’y sont fermement opposés, obligeant le Conseil fédéral à faire marche arrière. Reste que l’ordonnance avait déjà été assouplie il y a quelques années. En décembre, une initiative était lancée pour rectifier le tir. Elle a recueilli en moins de deux mois plus de 100 000 signatures! Un véritable succès, qui influera sur le débat sur les armes à l’ordre du jour de la session de printemps du Parlement. La mobilisation pour l’interdiction des exportations vers les pays en guerre ou en proie à des conflits internes doit se poursuivre. Il est urgent de mettre fin à l’hypocrisie d’une Suisse «neutre».