Avocate et coordinatrice du Centre d’aide juridico-judiciaire, Sœur Nathalie Kangaji épaule les victimes de dommages provoqués par l’extraction minière en République démocratique du Congo
C’est un combat pour le moins inégal. Une lutte opposant David contre Goliath, version actuelle. D’un côté, la toute-puissante multinationale suisse Glencore exploitant à Kolwezi, dans le sud-est de la République démocratique du Congo (RDC) des mines de cuivre et de cobalt. De l’autre, des communautés pauvres, subissant de plein fouet les dommages collatéraux liés à ces extractions et leur avocate, Sœur Nathalie Kangaji, fondatrice du Centre d’aide juridico-judiciaire (CAJJ). De passage en Suisse, la Congolaise de 48 ans est venue témoigner des dommages liés aux activités du géant minier et des batailles engagées pour obtenir réparation. A travers la structure qu’elle a créée et avec l’aide d’ONG partenaires, Action de Carême et Pain pour le prochain. Une démarche entamée en 2013 à la suite d’une grave pollution de l’eau et des sols générée par le business de l’entreprise zougoise. «Des déchets toxiques ont été déversés dans la nature, empoisonnant champs et rivières. Les paysans directement affectés par la perte de leurs cultures vivrières ont tenté d’obtenir réparation. Sans succès. Ayant entendu parlé du CAJJ, ils ont alors sollicité notre soutien», raconte Nathalie Kangaji, de sa voix douce. Une visite sur les lieux de la catastrophe convainc la religieuse et son équipe d’intervenir. «L’impact était terrible. Tellement criant. Nous avons décidé de nous engager. Pour les victimes en première ligne mais aussi pour l’ensemble de la population. Afin de défendre notre environnement, notre patrimoine.»
Responsabilité niée
Etude étoffée. Réunion de preuves, le CAJJ documente l’affaire et doit lourdement insister pour rencontrer des représentants de Glencore. A force de persévérance, le contact finit par s’établir via un huissier de justice. De plaidoyers en plaidoyers, le Centre exige une indemnisation des agriculteurs floués, leur relocalisation et la restauration du site. Des actions sont aussi menées parallèlement en Suisse avec les ONG parties prenantes. Bataille partiellement remportée. Le groupe met la main au portemonnaie mais nie toute responsabilité écologique. Il ne procède pas à une décontamination effective des lieux comme il ne cherche pas de solutions de rechange pour les paysans touchés. Sentiment de révolte. D’impuissance. Mais pas de découragement pour autant. Sœur Nathalie Kangaji cache derrière sa sérénité, sa gentillesse, sa timidité, une force, une détermination à toute épreuve. Sa bonté naturelle, son besoin intrinsèque d’aider autrui et l’énergie qu’elle puise dans sa foi servent de moteur à sa lutte. «La vérité se trouve là. Sous nos yeux. Je veux faire avancer les choses», lance la catholique continuant à batailler sur ce dossier et confrontée aujourd’hui encore à d’autres cas de pollutions – «un problème récurrent» – qu’elle est en train de documenter. Et la Congolaise de dénoncer le fonctionnement de la multinationale.
Ressources maudites
«Glencore s’intéresse uniquement au profit. A produire à moindre coût, quel qu’en soit le prix environnemental et humain. Il se refuse à toute transparence, à l’établissement de dispositions préventives propres à protéger la santé.» Résistant aux pressions, mesures d’intimidations, chantages, la sœur souligne encore que les lois de la RDC, censées garantir le respect des droits humains et de l’environnement, ne sont guère appliquées. Que la corruption gangrène le système. «C’est pour cette raison que nous avons besoin de règles internationales contraignantes, d’une justice mettant fin à l’impunité. Les richesses de la RDC ne servent pas au développement du pays confronté pourtant à une grande pauvreté. Elles profitent uniquement aux investisseurs. Dans le contexte actuel, ces ressources sont une malédiction générant plus de misère encore», poursuit celle qui, entrée dans les ordres à 19 ans, a cimenté son engagement par des études de droit. «J’ai choisi une congrégation ouverte aux questions sociales. Au début, je donnais des cours de religion dans les écoles. Puis, je suis devenue membre d’une Commission justice et paix. J’effectuais alors des visites dans des prisons. J’ai découvert nombre de cas de procédures non respectées. D’emprisonnements arbitraires. J’ai ressenti le besoin d’aider plus concrètement ces détenus aux conditions de vie très précaires et, partant, d’élargir ma formation.» Brevet d’avocat en poche, Sœur Nathalie Kangaji fonde, en 2008, avec des collègues le CAJJ.
L’espoir au féminin
«Son but? Assister, conseiller et assurer la défense de personnes dans l’incapacité de s’offrir un avocat», explique la militante qui a grandi dans une famille très modeste et pratiquante. «J’ai toujours souhaité m’engager pour les personnes les plus vulnérables. Je préfère l’action à la théorie.» Mais comment fait-elle pour garder foi en l’humain au regard des circonstances? «Même dans des entreprises telles que Glencore, il n’y a pas que des businessmen, mais aussi des humains. Il faut aller de l’avant. Tenter de toucher les cœurs. L’homme a la capacité de changer.» Aujourd’hui, la croyante rêve d’un monde et d’un pays meilleurs. «Un Congo où les habitants seraient fiers de vivre. Où ils ne seraient pas contraints de fuir en raison de la pauvreté. Et aussi un Etat où les femmes, discriminées sur les fronts de l’éducation, de la culture, pourraient vraiment participer. Elles qui sont porteuses d’espoir, qui ont le sens de la vie et des valeurs.» Et Sœur Nathalie Kangaji de conclure: «Le bonheur, c’est l’harmonie avec soi, les autres, la nature. Aujourd’hui, je ne suis pas totalement heureuse. Je côtoie la misère au quotidien. Je ne peux aider tout le monde. Le bonheur ne se vit pas seul. Il se partage.»