Militant genevois de longue date, Olivier de Marcellus revient sur les actions subversives du collectif écologiste Breakfree Suisse prônant le désinvestissement fossile
Figure genevoise du militantisme depuis plus de 40 ans, antinucléaire, altermondialiste, activiste du climat depuis 2009 dans le cadre de la Coordination Climat et Justice Sociale, Olivier de Marcellus est engagé dans la désobéissance civile avec Breakfree Suisse depuis 2016, collectif à l’origine d’actions subversives, souvent drôles, pour réclamer que caisses de pensions et banques – Credit Suisse et UBS en tête – mettent fin à leurs investissements fossiles, les combustibles (pétrole, charbon et gaz) étant les causes essentielles du réchauffement climatique. Credit Suisse est notamment pointé du doigt pour son financement de projets hautement polluants: fracturation hydraulique, sables bitumineux, forage dans l’Arctique et financement d’oléoducs.
Ancien chercheur en éducation, le militant de 75 ans porte un regard émerveillé sur la montée du mouvement pour le climat. Rencontre dans son vieil appartement du quartier des Grottes à Genève, baignoire dans la cuisine et affiches militantes au mur.
A la suite de vos parties de tennis dans les succursales de Credit Suisse à Genève, Lausanne et Bâle, la banque et Roger Federer vous ont-ils répondu?
Non. Par contre, alors que c’était notre cinquième action contre Credit Suisse, ce n’est que récemment que des activistes ont reçu des amendes. Nos amies et amis du LAC (Lausanne Action Climat) sont condamnés à 600 francs d’amende ou à 20 jours de prison pour avoir joué au tennis dans la succursale lausannoise, sans n’avoir causé aucun dommage! Au total, cela représente plus de 20000 francs, dont presque la moitié sans sursis. Les amendes seront contestées, certaines personnes étant prêtes à l’emprisonnement plutôt que de les payer. Procès et incarcération qui feront avancer la cause... A Genève, lors d’une autre action, nous avons affiché le dernier rapport du GIEC et appliqué une main rouge de peinture, lavable, sur la façade de la banque. Une des personnes présentes est aussi amendée. Et Credit Suisse réclame en sus plusieurs milliers de francs pour le nettoyage. Alors que nous avions nettoyé gratuitement leurs vitres lors d’une précédente mobilisation! Visiblement la banque change de tactique. Gandhi disait en substance que l’ennemi d’abord ignore, puis tolère avant d’attaquer et enfin de négocier. Cette réaction de Credit Suisse montre que nous devenons gênants. Nous allons plaider l’acquittement sur la base de l’«état de nécessité», soit la possibilité de commettre une action illégale pour empêcher un dommage plus grave encore. En Angleterre, des gens ont bloqué un site de fracking (fracturation hydraulique, ndlr). En appel, ils ont été acquittés sur la base de cette notion.
Les grandes manifestations «classiques» ne suffisent-elles plus?
Après l’échec du sommet climatique de Copenhague en 2009, le mouvement a réalisé qu’il fallait mobiliser à la base, localement et dans la durée. Alternatiba Genève est né de cette optique. Soit, d’un côté, des alternatives concrètes; et de l’autre, des actions de désobéissance civile, car il faudra une pression vraiment forte pour que les politiques prennent enfin des mesures. En 2016, nous étions un petit groupe d’une trentaine de personnes à Genève pour créer Breakfree Suisse. Nous sommes ravis de voir l’arrivée d’autres groupes, Climatestrike (mouvement international de grève estudiantine pour le climat, ndlr) et Extinction Rebellion, et de l’ampleur qu’a pris le mouvement. En Allemagne par exemple, une mine de charbon est bloquée chaque année. Jusqu’à l’an dernier, un bus suffisait pour y amener les manifestants suisses. Au mois de juin prochain, un train est prévu. Autre exemple: il y a peu, un cycle de conférences, «Apocapitalypse», s’est déroulé à l’Université de Genève sur le capitalisme synonyme de catastrophe. On y a fait la critique des limites du «développement durable» dans une salle comble. Une telle effervescence dans la jeunesse, je n’en ai pas vu ici depuis Mai 68. Et l’impact sur la politique est remarquable, car la mobilisation autour de Climatestrike a fait bouger le rapport de force en prévision des prochaines élections parlementaires.
Cela vous donne-t-il espoir?
Oui, même si je reste pessimiste, car la catastrophe climatique est devant nous. Nous ne pouvons qu’espérer la limiter... Et puis, si certains politiques semblent se réveiller, il y a aussi une contre-offensive d’une extrême droite climatosceptique, notamment en Europe, qui rejoint Trump et Bolsonaro au Brésil. L’UDC en fait partie. Alors que Trump construirait un mur pour protéger son golf de la montée des eaux et qu’une partie des super-riches bâtissent des bulles de survie, notamment des villages flottants… Déclarer l’état d’urgence est un premier pas, mais il faut aujourd’hui que des mesures radicales soient imposées au monde économique. Faire confiance au marché nous mènera à la catastrophe. La politique doit planifier un tournant radical. Le temps est compté. Comme le dit Daniel Tanuro (auteur de L’impossible capitalisme vert, ndlr), la catastrophe est déjà là, mais comment faire pour éviter le cataclysme, le point de non-retour?
Récemment, la BNS a déposé une demande d’adhésion au Network for «greening the financial system», réseau dont le but est de «verdir le système financier». Une bonne nouvelle?
L’avancée, c’est que certaines institutions commencent à reconnaître publiquement qu’il y a un problème. Mais ce ne sont encore que des paroles. Reste que cela permet de populariser la notion du désinvestissement des énergies fossiles. Pour la prochaine manifestation de Climatestrike du 24 mai à Genève, cette question sera bien visible. Si Breakfree s’attaque surtout aux pires investisseurs, tels que Credit Suisse et UBS, on attend surtout des réactions de la part des fonds de pensions. Dans ce sens la CGAS a adopté une charte sur les placements éthiques, qui est un modèle (lire en page 7, ndlr). Et l’Alliance climatique met la pression aussi (lire ci-dessous, ndlr). Selon le GIEC, 80% des réserves connues des énergies fossiles – qui déterminent la valeur en Bourse des entreprises concernées – doivent rester dans le sous-sol. Ces investissements seront à risque bientôt. Donc aux raisons climatiques s’ajoutent les raisons économiques pour arrêter d’investir dans le charbon, le pétrole, le gaz, car la «bulle de carbone» va finir par éclater.
Comment voyez-vous la suite du mouvement?
Les manifestations, les pétitions, l’action parlementaire, tous les niveaux ont leur rôle à jouer, mais le tout doit être impulsé par un mouvement toujours plus large et plus radical. Face à une menace aussi grave, on a besoin d’une désobéissance civile de masse, d’actions qui soient à la hauteur, qui transmettent l’urgence et la portée de la menace. Il s’agit de l’avenir de notre espèce et de la planète entière! Il faut espérer que cette vague verte soit aussi haute et aussi longue que possible.
Plus d’informations:
breakfreesuisse.org
climatestrike.ch
xrebellion.ch