Plusieurs mineurs non accompagnés ainsi que le collectif qui les soutient ont rappelé l’urgence de la situation devant l’Hôtel-de-Ville à Genève
A deux pas du Département de l’instruction publique, une salle de cours en plein air prend place. Tableau noir, chaises et professeur masqué à l’effigie de la conseillère d’Etat en charge de l’Instruction publique, de la formation et de la jeunesse. Celui-ci fait l’appel: «L’ATS présent? Oui! Léman Bleu? Oui! Le Courrier? Présent! Madame Emery-Torracinta? Elle est en vacances M’sieur!» Une conférence de presse pas tout à fait comme les autres menée par le «Collectif Lutte des MNA» (mineurs non accompagnés) en ce 30 juillet sous forme de cours d’histoire virtuel (après un saut de 60 ans dans le futur) sur «le scandale des années 2010» quand le globe terrestre était encore sujet aux migrations de tous les dangers.
S’ensuit un rappel des différents drames et des demandes du jeune collectif, créé il y a quelques mois, pour le respect des droits fondamentaux de ces jeunes mineurs, en errance, venant principalement du Maghreb, qui ne déposent pas de demande d’asile sachant qu’ils n’ont aucune chance d’obtenir le statut de réfugié. C’est, dès lors, au Service de protection des mineurs (SPMI) de s’occuper d’eux, alors que les RMNA (requérants d’asile mineurs non accompagnés) sont pris en charge essentiellement par l’Hospice général dans le cadre de leur procédure d’asile.
Errance
Reste que, de facto, la prise en charge des MNA semble très relative. Nassim*, jeune Algérien qui fête en ce mois d’août ses 16 ans, relève les incohérences du service. «Le SPMI m’a dit que je n’avais rien à faire ici. Cela fait vingt jours que je dors par-ci par-là», précise-t-il sans se départir pourtant de son sourire. En l’occurrence, les militants du collectif sont les premiers à rendre service à ces jeunes. «Pour le SPMI, Nassim est à la rue. Concrètement, il vit en ce moment chez moi. Même si ce n’est pas mon rôle. Je n’ai aucune compétence socioéducative. Je vis dans un studio, je suis étudiante… Au moins, je n’ai pas de mauvaises intentions. C’est un moindre mal. Mais c’est si facile d’exploiter un jeune dans une telle situation de précarité», explique Léa* en tenant le bras de Nassim telle une mère. «Ce sont un peu nos petits frères», ajoute Roman*, l’un de ses camarades de lutte. Sauf que la vie de ces jeunes migrants – ils seraient entre 50 et 100 à Genève – ne ressemble en rien à ce que peuvent évoquer les mots enfance, ni même adolescence. «J’ai risqué ma vie pour venir. Dans un petit bateau pendant 26 heures jusqu’en Espagne, puis je suis allé en France et en Suisse», explique Nassim. De l’Espagne à la Suisse, son exil dure depuis neuf mois environ. «Je suis allé retrouver mon frère en France. Mais quand il a été expulsé en Algérie, je suis revenu ici. Je sais que mon frère va reprendre la première barque pour regagner l’Europe… C’est pas possible de vivre là-bas. Chaque famille a ses problèmes.»
«Je pense que les raisons pour fuir son pays ne peuvent être que légitimes. Sinon comment oser franchir la Méditerranée en sachant qu’on risque de mourir?» questionne Léa*. «Ils sont tous mineurs et veulent tous apprendre, faire des études ou acquérir un métier. Face à la politique actuelle de dissuasion, ce que nous demandons est très simple, que l’Etat réalise l’urgence de la situation, que le SPMI les protège vraiment et que plus aucun jeune ne se retrouve à la rue.» Malgré son parcours chaotique, Nassim rêve encore, et notamment de se former au métier d’électricien ou de livreur.
Formation obligatoire
Le collectif rappelle que la formation est obligatoire jusqu’à 18 ans à Genève, depuis 2018 (selon la nouvelle Constitution genevoise), sans compter le droit à l’éducation promulgué par la Convention des droits de l’enfant ratifiée par la Suisse. Il demande aussi à ce que chaque jeune soit logé dignement.
«Certains se sont vus donner des sacs de couchage par leur curateur qui leur souhaitait bonne chance!» dénonce le collectif. D’autres vivent dans des foyers régulièrement critiqués pour leur manque d’encadrement, voire dans des hôtels, dont un des gérant est ouvertement raciste, n’hésite pas à entrer dans les chambres sans frapper, interdit aux jeunes de prendre l’ascenseur, les insultent, quand il ne les met pas à la porte sans préavis. Le collectif souligne aussi l’incohérence des prises en charge: ceux logés en foyer touchent l’aide d’urgence (10 francs par jour), ceux à l’hôtel, rien. L’association Païdos censée les accueillir de 10h à 14h a fermé ses portes plusieurs semaines cet été.
Face à ces drames, le collectif a demandé en juillet un rendez-vous urgent à la conseillère d’Etat Anne Emery-Torracinta qui leur a fixé une rencontre début septembre. «Le 3 septembre, c’est dans plus d’un mois. Le 3 septembre, la rentrée scolaire aura eu lieu depuis déjà une semaine. Le 3 septembre, les jeunes mineurs actuellement à la rue, y dormiront-ils encore?» dénonce le professeur masqué. Quelques jours plus tard, c’est le conseiller d’Etat Mauro Poggia, en charge de la Sécurité et de la santé, qui répondait au collectif être ouvert à avancer la réunion à fin août… Affaire à suivre.
*Prénoms d'emprunt.