Réalisatrice, Katharine Dominicé met en lumière celles et ceux qui n’ont que trop rarement la parole
Une journée marathon pour Katharine Dominicé. Entre ses cours d’enseignante de français langue étrangère le matin, ses deux filles de 3 et 8 ans l’après-midi, la projection le soir des Lettres ouvertes réalisées dans le cadre de l’exposition «Nous, saisonniers, saisonnières…», sans compter la préparation d’un tournage sur des formateurs d’apprentis, elle réussit à nous accorder un entretien dans un café genevois. «Ce n’est pas tous les jours comme ça», confie-t-elle sans perdre un calme qui paraît olympien.
En quelques mots, toute en sobriété, elle revient sur son parcours. Déjà adolescente, elle se découvre une passion pour le récit, qui se renforce au fil des années. L’écriture de scénarios est son moteur pour se présenter aux concours d’écoles de cinéma en Belgique. Avec succès. L’Institut des arts de diffusion (IAD) de Louvain-la-Neuve lui ouvre ses portes. Des années riches en rencontres pour la Genevoise qui revient au pays quatre ans plus tard. Assistante de production, elle mène alors de front plusieurs projets de documentaires.
Son premier long métrage, Sœurs, sort en 2009, l’année de ses 30 ans. Un film sur l’univers reclus des moniales, sujet qui prend sa source dans un voyage au Japon où la cinéaste a l’occasion de loger dans des monastères bouddhistes; et dans la vie d’une amie de sa famille, basketteuse de haut niveau, entrée dans les ordres avant d’en ressortir. «C’est un monde plein de mystères en somme que j’avais envie de découvrir. Plus que de parler de religion, je voulais voir comment ces femmes cohabitent et de l’importance, dans ces conditions, de développer une communication non violente. Ce qui m’a beaucoup surprise, c’est leurs doutes, intrinsèques à leur vocation», témoigne la réalisatrice. Pour ce travail, elle réussit à s’entourer de femmes, dont la première ingénieure du son (pour des reportages) de la RTS, Mathilda Angullo.Alorsque les métiers du cinéma restent éminemment masculins. «Quand j’ai eu mes enfants, on m’a demandé si je continuais à faire des films, comme si c’était mon loisir. J’ai mis du temps à réaliser la discrimination existant dans ce milieu, alors que, pourtant, les chiffres parlent d’eux-mêmes. A Hollywood, 5% des films sont réalisés par des femmes! Mais en Suisse, on était à 25% il y a cinq ans et les chiffres continuent de grimper d’année en année», se réjouit la Suisso-américaine.
Des histoires migratoires
«Mes parents se sont rencontrés à New York en 1965. Une année après, ma mère, Américaine donc,arrivait en Suisse», raconte Katharine Dominicé qui garde de beaux souvenirs de ses étés de l’autre côté de l’Atlantique, chez ses grands-parents. «Dans ma famille, il y a de nombreuses origines: italiennes, anglaises, écossaises, suédoises, russes. Mon arrière-grand-mère suédoisea quitté l’Europe sur un paquebot à l’âge de 18 ans avec sa meilleure amie…Elle serait fille illégitime d’un prince russe.» Une histoire familiale, digne d’un roman, marquée par l’exil.
Coréalisatrice en 2010, avec Luc Peter, du documentaire Les années Schwarzenbach, Katharine Dominicé plonge dans d’autres migrations.Un thème qui la poursuit puisque son travail pour l’exposition «Nous, saisonniers, saisonnières…» à Genève donne à voir dix portraits intitulés Lettres ouvertes: des récits intenses de femmes et d’hommes, d’Italie, d’Espagne, du Portugal, de Slovénie, du Kosovo, de Macédoine,de première ou de seconde génération, au travers de missives mises en contexte et en valeur par des images d’archives. «Les lettres permettent d’éviter la victimisation, en faisant notamment un aller-retour entre le passé, souvent difficile, et le présent, meilleur», explique Katharine Dominicé qui a ainsi réussi à amener ces personnes à aborder, entre autres thèmes, leur solitude, le sentiment d’être «une pierre qu’on lance et qui ne tombe jamais» ‒ soit de n’être jamais chez soi, ni ici ni là-bas ‒ leur solidarité, leur sentiment d’humiliation, leurs forces... «Je ne vois plus Genève de la même manière, confie la réalisatrice. Quand on prend conscience de tous ces bâtiments créés par les saisonniers, cela donne à réfléchir.» Elle fait ainsi référence à la carte dessinée par Emilie Gleason, Jeanne Gillard et Nicolas Rivet, intitulée «Qui a construit Thèbes aux sept portes?», mettant en évidence les constructions des travailleurs venus d’ailleurs, à voir dans l’exposition.
Déformation professionnelle sûrement, Katharine Dominicé préfère parler de celles et ceux qu’elle rencontre plutôt que d’elle-même. Discrète, elle ne cache cependant pas sa curiosité infinie et ses projets nombreux. Entre autres intentions: réaliser un film pour réunir ces différents portraits de saisonniers, un documentaire sur les chauffeurs routiers ou sur les frontaliers – elle-même en étant une depuis quelques années –, ou encore une fiction sur les secondos des années 1980. Parallèlement, la femme de cinéma étudie pour obtenir une maîtrise universitaire de formatrice d’adultes. «Ce n’est pas facile de vivre financièrement de la réalisation, et j’adore enseigner aux adultes. Pour l’instant, je leur donne des cours de français. Cela me permet de côtoyer la si riche diversité de Genève.»
Jeudi 21 novembre, 18h30-20h30, foyer du Théâtre Forum Meyrin, place des Cinq-Continents 1, Meyrin: projection des films Lettres ouvertes de Katharine Dominicé et Les traces de Pablo Briones, en présence des réalisateurs