Il y a deux semaines, des membres de la diaspora chilienne de Lausanne et de Genève se sont réunis pour faire le point sur la situation toujours brûlante de leur pays
«La hausse des prix du métro a été la goutte d’eau. Ce sont 30 ans de souffrance qui ont explosé ces dernières semaines.» C’est en ces termes qu’Elena Rusca, journaliste chilienne correspondante aux Nations Unies pour El Clarin de Chile, a introduit la soirée intitulée «Chili: le droit au bonheur! Solidarité avec le peuple chilien», organisée à Pôle Sud, à Lausanne, le 19 novembre.
«Le Chili s’est réveillé!» soulignent plusieurs militants tout au long de la soirée, qui dénoncent les militaires dans la rue, la proclamation de l’état d’urgence, les violations commises, les blessés, les morts, autant d’échos à la dictature de Pinochet… et saluent la combattivité du peuple chilien uni, luttant notamment pour une éducation qui n’entraîne pas des dettes à vie, pour un système de santé qui ne soit pas à deux vitesses et des retraites dignes, contre la concentration de richesses entre les mains de quelques familles seulement. Ariel Sanzana, de Mémoire et justice – l’une des quatre associations chiliennes regroupées dans la Plateforme Unité sociale à Genève – rappelle que les revendications sont très larges et amplifiées par un pays dont l’écosystème est mis à mal par le réchauffement climatique et l’exploitation des ressources. «Il y a toujours eu des révoltes. Mais là, c’est plus que cela. Même les classes moyennes supérieures sont dans la rue.» A ses côtés, Esteban Muñoz, de Nouvelles générations chiliennes, évoque les paradoxes de ce pays qui, depuis 2006, a élu Michelle Bachelet (soutenue par la coalition de gauche), puis Sebastián Piñera (soutenu par la droite), puis Bachelet, puis de nouveau Piñera; une société machiste qui a pourtant choisi deux fois une femme; très nationaliste, mais qui va chercher des entraîneurs argentins pour ses équipes de foot. Il souligne: «Ici, l’unité de la diaspora chilienne est nécessaire; il s’agit de mettre en relation les organisations sociales et syndicales; lister les cas de violations des droits humains, en trouvant des sources fiables et sortir de la censure médiatique.»
Lutte contre le néolibéralisme
Dans le public, une question est lancée: «Un pays qui ne sait toujours pas où sont ses morts ne peut pas soigner ses blessures. Comment peut-il avancer?» Si la mémoire est douloureuse et les dissensions sont palpables, plus largement, un consensus s’esquisse sur l’importance de changer la Constitution héritée de la dictature et sur le fait que la mobilisation n’attaque pas seulement le Gouvernement chilien, mais le néolibéralisme dans son ensemble. Et même le néocolonialisme, selon Lincoyan Nehuen, militant mapuche: «Les Mapuche ont toujours été réprimés, car leur mode de vie va à l’encontre du système capitaliste. Il n’y a pas de leader, nous sommes tous frères et sœurs, nous portons le même respect à l’animal, au végétal. Notre vision spirituelle est à l’opposé du matérialisme. Un Mapuche va demander à l’arbre s’il peut le couper. Tout le contraire de l’industrie du bois qui détruit la forêt originaire. Ce qui me touche, c’est que le peuple chilien adopte les luttes des Mapuche. Nous sommes pour une Assemblée constituante qui soit plurinationale – au même titre que la Suisse qui reconnaît ses différentes langues et régions –, antipatriarcale et qui tienne compte du droit à l’autodétermination.»
Alors que les manifestations se poursuivent, l’avenir reste flou. «Le gouvernement était au bord de la chute, mais la gauche l’a finalement sauvé en signant cet accord sur l’organisation d’une Assemblée constituante, estime Ariel Sanzana. Quelles seront les méthodes pour la création de cette nouvelle Constitution? Les travaux seront pilotés par qui?» Et d’ajouter: «Plus largement, comment la colère sociale va réussir à se structurer politiquement? Pour les bases sociales, notamment les syndicats, il s’agit peut-être de convertir cette rage en organisation politique.»