Peintures et sculptures reflètent la quête d’harmonie de l’artiste jurassien Claude Tièche. Un chemin où la lumière joue de ses fulgurances
Impossible de dissocier l’œuvre de l’artiste. Le peintre et sculpteur autodidacte Claude Tièche, 78 ans, témoigne, à travers son travail, de son monde intérieur. De ses révoltes. De son inlassable quête d’harmonie. Une recherche où des traits de lumière jaillissent, fulgurants, du noir profond de ses toiles. Se déclinent dans les lignes épurées de ses créations en acier. Etincelles de vie, qui en soulignent encore l’énigme et une indéniable dimension verticale donnant toute la force à la démarche. Une posture abstraite que Claude Tièche a adoptée dans les années 1990 après avoir été confronté à une situation hors du commun. Victime d’un accident de la route, le Jurassien fait une expérience de mort imminente. Plus question pour lui de réaliser des tableaux figuratifs qui ne lui permettent pas d’intégrer ce vécu. «Il y a eu comme une espèce de flash dans un no man’s land de brouillard et le sentiment, en en sortant, d’appartenir à un tout, d’une omniscience», tente d’expliquer Claude Tièche qui considère cet événement comme un «cadeau» dont il doit faire quelque chose.
Autodérision salvatrice
«Je ne pouvais toutefois en témoigner à travers une représentation formelle. Le figuratif est joli. Mais j’aime le beau. L’abstrait s’est imposé», poursuit le survivant animé d’un souci d’intégrité caractéristique de sa personnalité. Il dira d’ailleurs souvent l’importance de se montrer correct avec soi. D’agir en accord avec son être. Un homme d’une nature complexe, au tempérament plutôt solitaire mais certainement pas asocial, chaleureux sans se départir d’une certaine réserve, bohême et rigoureux à la fois, et à l’optimisme pour le moins modéré. «Nous allons droit dans le mur mais la vie continuera même si notre animalité humaine disparaît», affirme le septuagénaire, tirant pensivement sur sa vapoteuse. Pas de quoi toutefois entamer la joie de vivre qui l’escorte au quotidien et une bonne dose d’autodérision salvatrice. «Si on ne rit pas de certaines situations, on est mort. Il faut éviter de se prendre au sérieux mais faire sérieusement les choses.» Une ligne que Claude Tièche suit, traçant sa route sans peur ni regrets – «J’ai été parfois un peu stupide mais je me pardonne assez vite» – tout en gardant intacte sa capacité d’indignation. Révolte créative où il fustige les égoïsmes, l’injustice, les doctrines et les idéologies étriquées, les gourous de tous poils, l’intolérance, la course au profit, la compétition, l’érosion de la diversité... Autant de thèmes qui trouvent un écho dans ses œuvres, miroirs de son âme.
Elevé par la forêt
«Mon travail est la résultante d’un chemin intérieur. Le reflet de ce que je suis», insiste ce natif du Capricorne estimant que les deux langages artistiques choisis se complètent. «La sculpture me permet de traduire la peinture en trois dimensions. Cette dernière occasionne davantage de recherches pour trouver le geste juste. Elle se révèle plus exigeante.» Les teintes, quant à elles, sont utilisées avec parcimonie. «La couleur est presque une illusion, servant juste à définir les formes des choses. La reproduire est quasi une offense à la nature. Et en entrant dans le noir, on y trouvera peut-être la vie», précise l’artiste qui privilégie dans ses réalisations une certaine simplicité. Et se méfie des émotions: «Je peins la tête froide mais le cœur chaud. J’habite le moment présent. C’est un peu comme une méditation avec des temps de recul.» Perfectionniste, le Jurassien confie être constamment traversé par le doute quand bien même il dessine et peint depuis son plus jeune âge. Une enfance passée à Reconvillier où l’insouciance n’aura pas vraiment été au rendez-vous. Gamin, Claude Tièche se trouve confronté à un père particulièrement autoritaire, qui n’a guère de temps à lui consacrer. «A 10 ans, je me réfugiais à tout moment dans la forêt. C’est elle qui m’a élevé. Je partais seul avec mon chien, à la découverte des plantes, des arbres, et m’inventais des histoires», se souvient celui qui, aujourd’hui encore, se ressource lors de longues balades et toujours avec un compagnon à quatre pattes. Le féru de marche a d’ailleurs effectué le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle avec l’idée de se retrouver. Encore un exil intérieur, un tête-à-tête avec lui-même qui aura aidé le voyageur à rebondir sur une existence qu’on devine tout sauf lisse. «Le bonheur, c’est le chemin. Même avec des cailloux», notera Claude Tièche.
Quatorze métiers différents
Marié deux fois, père de trois enfants, le peintre et sculpteur a, avant de vivre de son art, exercé pas moins de 14 métiers différents pour faire bouillir la marmite. Si, gosse, il rêvait de devenir architecte, il sera détourné de son projet pour des raisons financières et effectuera un CFC de décorateur étalagiste. Un travail qu’il exercera un temps avant d’enchaîner différents boulots alimentaires – ouvrier d’usine, réfection de fresques dans une église, peintre en bâtiment, graphiste, etc. «Le pire travail que j’ai effectué c’était à la Ciba à Monthey. Je devais remplir à la chaîne des sacs de paillettes servant à la fabrication de colle... J’ai tenu presque une année avant de péter les plombs», se souvient Claude Tièche, qui passera aussi par la case transmission de savoirs, enseignant les travaux manuels et l’expression picturale dans différents milieux. Le professeur interviendra notamment auprès de jeunes délinquants et de handicapés mentaux. Des expériences qualifiées de très positives. Depuis 1992, l’autodidacte se consacre entièrement à sa passion. «Viable? Oui, mais sans faire d’excès», souligne l’artiste qui, questionné sur une de ses utopies, parlera d’amour et de fraternité. «Il serait temps de nous défaire des pulsions de notre cerveau reptilien. Nous ne sommes plus en mode survie.» Lui a su en tous cas transcender son existence...