Témoignages
Manipulations et rabaissements quotidiens
«Je travaille dans une société de transport en tant que chauffeur de car. Lorsque j’ai commencé, un collègue m’a pris comme marionnette. Il me demandait des services à répétition auxquels je répondais toujours favorablement. Un jour, j’ai décidé que ça suffisait et j’ai commencé à lui dire non. Là, il s’est mis à me rabaisser avec des paroles telles que “Toi, ne parle pas beaucoup, parce que, nous, les Blancs, on n’aime pas trop quand les Noirs parlent trop” ou “Ne me coupe pas la parole, tu es un gros malhonnête.” Il s’est aussi mis à me faire des remarques sur ma manière de conduire. Lorsqu’il est devenu chef de team, la situation a empiré. Il a trouvé trois autres personnes ayant les mêmes idées que lui et qu’il s’est mis à utiliser comme pions pour m’accuser de prétendues fautes professionnelles. Du genre: “Les autres m’ont dit qu’ils t’ont vu rouler trop vite.” Il me charge auprès des supérieurs de fautes que je n’ai pas commises. Ses manipulations et ses rabaissements sont quotidiens. Il veut me pousser au licenciement ou au départ volontaire. Certains collègues observent le harcèlement, mais ils n’ont pas la force de le dire collectivement par peur des représailles. Moralement, c’est très dur. Mais j’ai besoin d’être en forme moralement pour bien faire mon travail.»
Regard de supériorité
«Je suis arrivée en Suisse à l’âge de 7 ans. Enfant, un monsieur m’a insultée dans la rue sans que ni la maîtresse, ni les camarades ne réagissent. A l’Université, un professeur m’a dit que je n’arriverais pas à prononcer son nom germanique. Comme j’y suis arrivée, il m’a complimentée de ma “remarquable intelligence africaine, devant une assemblée, sans que de nouveau, personne ne bronche. J’étais révoltée et, au fil des années, j’ai compris que je devais être meilleure que les autres. On avait un regard sur moi de supériorité. Heureusement, mes parents avaient des diplômes d’écoles occidentales, ce qui m’a épargné le complexe d’infériorité et ne m’a pas freinée pour évoluer plus ou moins normalement dans des milieux professionnels qualifiés. Durant une période de chômage, un conseiller de l’ORP m’a épaulée en cherchant à comprendre pourquoi je ne trouvais rien avec mes compétences linguistiques. Il s’est renseigné auprès d’employeurs qui lui ont dit que des «personnes comme moi» avec ces qualifications, c’était nouveau, et que cela soulevait de la méfiance. Actuellement, j’enseigne dans une institution ouverte à des personnes issues de minorités. En parallèle, je cherche un poste à responsabilité et quand j’apprends qui obtient la place, je réalise que c’est forcément une personne suisse de l’origine la plus courante. Ça me choque d’autant plus que d'autres personnes qualifiées issues des minorités rencontrent le même problème d'emploi. Je suis étonnée du silence des autorités vaudoises dans le contexte actuel et j’espère que cette problématique trouvera des solutions concrètes dans le canton.»
Différence de traitement
«Il y a 23 ans, j’ai trouvé un boulot dans une société de nettoyage. Lors de l’entretien, le directeur m’a dit: “Les Africains dorment la journée et pas la nuit!” Qu’est-ce que j’avais bien pu faire pour qu’il me dise ça? Toujours est-il que j’ai eu de très bons rapports avec mes collègues et qu’à cette époque, le racisme au travail, je ne savais pas encore ce que c’était. Bien sûr, je me suis fait contrôler plusieurs fois par la police, arrêter à de nombreuses reprises à la douane. J’ai essuyé des propos racistes des uns et des autres, auxquels j’ai donné suite en portant plainte ou en écrivant des courriers. Puis, en tant que soignant dans un grand hôpital, j’ai vécu une expérience difficile. Quand je suis arrivé dans l’équipe, je n’ai pas bénéficié des mesures d’accompagnement habituelles. Pourtant, d’autres collègues qui ont commencé en même temps que moi ont été accueillis normalement. Un collègue infirmier comme moi avait des propos racistes déguisés et demandait à notre supérieur de me faire licencier. Il se comportait de manière délétère. Je me suis longtemps demandé ce que j’avais fait pour mériter une telle différence de traitement. Dans le passé, je me suis fait insulter de nègre par des patients. J’ai compris, ce n’était pas grave, ils étaient malades. Mais un professionnel de santé qui fait ça, non. Je vais demander à ce que la direction examine l’attitude de ce monsieur. Je n’ai pas envie qu’il fasse subir ça à d’autres. Je suis content en Suisse et ça va bien, mais il y a des personnes qui abusent de leur autorité.»
«Le racisme ordinaire, encore plus dangereux»
Le point de vue de Brigitte Lembwadio, avocate associée à l’étude BLK Consulting à La Chaux-de-Fonds
«Il y a le racisme brut, mais aussi le racisme ordinaire, encore plus dangereux, car il a des conséquences sur la santé. Je me rappelle d’une dame travaillant dans le domaine de la santé. Face au harcèlement grossier dont elle faisait l’objet de la part de sa supérieure et de collègues (bruits de singes, nez bouché à son passage), elle a développé une affection cardiaque. Etant proche de la retraite, cela a marqué la fin de sa carrière. On a pu négocier une année de salaire, mais les personnes en poste ont pu continuer de sévir. Je pense également à une personne travaillant dans une entreprise depuis des années. Des collègues ont commencé à épingler sur le mur des images de singe avec son nom. Cela a duré un certain temps. On a approché l’employeur qui a ouvert une enquête, sanctionné les responsables et offert la garantie que cela ne se reproduirait plus. Mais pour la personne visée, ce n’était simplement plus possible de collaborer avec ces gens-là. Elle n’a pas réussi à revenir travailler et s’est finalement fait licencier. C’est terrible car, dans ce cas, malgré le soutien de l’employeur, il n’y avait que peu de marge de sanction contre les agresseurs sous l’angle du droit du travail. Ils ont reçu un avertissement mais un licenciement immédiat pour justes motifs n’aurait pas forcément été confirmé par un tribunal. J’ai également eu le cas d’un homme travaillant au sein de l’administration fédérale, très qualifié, même par rapport à ses chefs. Face au racisme pesant qu’il subissait, il a tenu une année, puis a démissionné. Ce que je trouve terrible, c’est que, quand vous osez vous plaindre, on vous traite d’hypersensible, d’émotionnel. On ajoute du mépris sur le mépris. Or, le racisme anti-Noir est très objectif. Qu’on arrête de croire que c’est subjectif.»