«Losanna, Svizzera»: récits de vie d’Italiens lausannois
Un recueil de témoignages d’Italiennes et d’Italiens venus travailler en Suisse nous plonge au cœur de leurs existences marquées par l’exil, leur métier et leur nouvel enracinement
Une toile cirée. Une marque de tasse de café. Comme un écrin à la vingtaine d’histoires d’immigrées et d’immigrés italiens, la couverture du livre Losanna, Svizzera et la petite image qui le clôt suggèrent la richesse des témoignages transmis sur un coin de table par ces personnes vivant ou ayant vécu dans la capitale vaudoise. Recueilleuse en récits de vie, Emmanuelle Ryser nous emmène au cœur de cette immigration des années 1950 à 1980, avec une sensibilité et une écoute sans pareilles. Des parcours de vie rassemblés dans un projet de mémoire orale, réalisé dans le cadre d’une exposition du Musée historique de Lausanne sur les 150 ans de présence italienne dans cette ville. Prévue cet été, elle a dû être reportée à l’année prochaine en raison de la pandémie*. Mais le livre était prêt. Il est sorti fin septembre, moment où le Musée historique en a fait la présentation tout en honorant les personnes qui y ont participé. Cet ouvrage donne la voix à ces travailleuses et ces travailleurs, à ces jeunes, quittant leur pays ou nés ici, évoquant leurs joies et leurs souffrances, le racisme comme l’accueil, les problèmes d’intégration ou les révoltes, ainsi que leur engagement dans un pays devenu leur patrie, au prix parfois de difficultés d’acceptation.
Des témoignages forts
Dans ce livre simple et grandiose à la fois, par son contenu humain, son lien avec l’histoire, de l’Italie fasciste fuie par une jeunesse résistante ou sans travail, de l’Italie pauvre, de la Suisse xénophobe des années 1970, on découvre une multiplicité de parcours, agrémentés de beaux portraits des protagonistes. Des témoignages forts d’ouvrières chez Iril, de maçons, de femmes de ménage ou encore celui d’Armando, chauffeur de taxi pendant 50 ans, qui évoque sa vie, et sa discrétion, en poème. Ou celui de Giuliana disant son effroi quand, arrivée à même pas 18 ans à la frontière, elle doit se dénuder pour la visite médicale, «comme si on allait dans les fours crématoires». Au total, vingt-quatre personnes racontent leur existence entre la Suisse et l’Italie, dans cet ouvrage décliné en quatre temps: Voyager, Arriver, Sympathiser, Rester. Un recueil donnant aussi la parole à la seconde et à la troisième génération, dont l’identité tangue entre les deux pays. «Avoir quatre grands-parents Italiens fait de moi une Italienne à 100%, alors que je suis aussi une Lausannoise à 100% », raconte Laura, née en 1997 dans la capitale vaudoise.
Enfant de la génération arrivée dans les années 1960, le municipal Oscar Tosato a rappelé, lors du vernissage du livre, qu’il n’existe pas de trajectoire unique d’un migrant. Il a évoqué les dégâts causés par la xénophobie à l’encontre de ces gamins «non désirés» par la Suisse. L’élu lausannois, signataire de la préface, a salué ces récits où l’«on capte l’essence même de la pensée de tout un chacun, où tous ont une vision différente de la même problématique».
«Vous m’avez épatée»
«Ce livre est le vôtre, il est fait avec vos mots, vos souvenirs, vos portraits. J’aurais aimé lire une page pour chacun, mais ce n’était pas possible», a souligné Emmanuelle Ryser à l’attention des personnes ayant contribué à l’ouvrage. Avant de se souvenir: «D’abord vous m’offriez un café, ensuite je vous expliquais mon métier, puis je revenais chez vous. En une heure, vous me racontiez votre vie. Vous m’avez épatée, cela paraissait impossible. Vous avez trié, préparé, pensé ce que vous vouliez dire, et cela a abouti à des récits intéressants, touchants, émouvants.» Après un hommage à ceux qui sont décédés depuis le début de l’aventure, il y a six ans, elle a poursuivi: «Vous êtes arrivés à 16, 18 ou 22 ans. Avec toute la force de la jeunesse. J’ai été ébahie de voir comme vous étiez responsables, la tête sur les épaules, les pieds sur terre. Vous me disiez que vous ne pouviez pas faire autrement…» Et la recueilleuse de ces récits de témoigner à son tour que c’est à ce moment-là qu’elle a réalisé être elle aussi une fille d’immigrés, par son papa, binational, et sa maman venue de France. Une maman dont le décès a été à l’origine d’un autre ouvrage publié par Emmanuelle Ryser, hasard du calendrier, presque en même temps que Losanna, Svizzera. «Ces deux livres n’ont rien en commun. Sauf quatre lignes… Dans mon roman Le cake au citron, les paroles d’une des personnes du recueil se retrouvent dans la bouche d’un de mes personnages», confie l’auteure en aparté.
Directrice des Editions Favre ayant publié le livre, Sophie Rossier a aussi remercié les personnes qui ont confié leur existence: «Vous avez accepté que l’on entre dans votre intimité, de nous donner la possibilité de se mettre dans vos pas, de comprendre ce que vous avez vécu. C’est une leçon pour les gens qui n’ont pas connu cet ailleurs.» Une leçon et une découverte passionnante du parcours et des sentiments de ces Italiennes et de ces Italiens qui sont partie prenante de ce qu’est Lausanne et la Suisse aujourd’hui.
* Exposition «Losanna, Svizzera. 150 ans d’immigration à Lausanne». Ouverture prévue en juin 2020 et repoussée à l’année prochaine. Ouverture souhaitée en août 2021.
Retrouver notre article consacré à l'exposition ici.
Losanna, Svizzera, recueil de témoignages, Emmanuelle Ryser, Editions Favre, Lausanne, 2020, 125 pages, 20 fr. Disponible en librairie, au Musée historique ou sur le site editionsfavre.com/livres/losanna-svizzera